C’est au cœur de l’été que la décision a été prise sans concertation. Les tarifs des prestataires de santé à domicile seront rabotés jusqu’à 10%. C’est une baisse inédite de chiffre d’affaires de 200 millions d’euros, en plein “virage ambulatoire”. Pour Jean-Philippe Alosi, président de la Fédération des prestataires de santé à domicile, la profession fait les frais d’un Ondam non tenu. “Ils se sont rendu compte, au milieu de l’été qu’ils n’allaient pas tenir les objectifs. Ils devaient récupérer beaucoup d’argent sur peu de temps. On paye pour les autres.”

 



Egora : Que concerne cette baisse de remboursement ?

Jean-Philippe Alosi : Cela concerne des produits et prestations remboursés par l’Assurance maladie. Il y a une liste de dispositifs médicaux et de prestations qui y sont associées, pour les malades chroniques, personnes handicapées et personnes âgées. Ce niveau de remboursement est remis en cause aujourd’hui.

Les prestataires de santé à domicile sont des acteurs associatifs ou privés qui mettent en œuvre ces produits ou prestations. Quand un traitement est prescrit par un médecin, et qu’il y a besoin d’un dispositif médical et de prestations de suivi, le prestataire fait l’installation et la coordination avec les autres professionnels de santé. Toute la facturation se fait en tiers payant.

Quelles sont les conséquences de ces baisses sur votre activité ?

Ces tarifs sont définis par les autorités. C’est un tarif plafond, les dépassements ne sont pas autorisés. On a comme chiffre d’affaire que ce que ces tarifs nous permettent de faire. Et là, d’un trait de plume dans une réunion, il a été décidé de baisser de 10% nos tarifs. On ne peut pas se retourner, on nous baisse de 10% notre chiffre d’affaire.

Vous n’avez pas été informés de cette baisse ?

Non. On a l’habitude de négocier avec le Comité économique des produits de santé. Sur toutes les prestations ou dispositifs, ils peuvent engager des négociations pour baisser les tarifs. On est habitués à le faire. On sait qu’il y a des tensions dans les dépenses de santé, on le sait depuis longtemps. On a fait des propositions pour rendre les dépenses de santé plus efficientes, on est très concernés par le fait de faire des économies. Là, ce qui est inédit, c’est qu’il n’y a eu aucune négociation. Ç’a été fait d’un seul coup sur toutes les lignes à la fois, c’est-à-dire 250 produits ou prestations. Ça représente 200 millions d’euros. Ce n’est jamais arrivé. La dernière fois qu’on a négocié un montant élevé, c’était une baisse de 7%. Ça s’est fait en deux fois, avec une date d’application qu’on avait négociée. Là, ça s’est fait au cœur de l’été. On est totalement pris de court.

Comment expliquez-vous cette attitude ?

L’analyse que l’on fait c’est qu’ils se sont rendu compte, au milieu de l’été qu’ils n’allaient pas tenir les objectifs de l’Ondam pour la fin de l’année. Donc il leur fallait des sous. Ils devaient récupérer beaucoup d’argent sur peu de temps, puisqu’il reste grosso modo deux mois d’ici novembre. Le problème, c’est que pour nous, cette baisse sur une année pleine, c’est absolument insupportable.

Il faut aussi dire qu’ils ont eu des déconvenues pendant l’année qui ne sont pas de notre fait. Le Conseil d’Etat a cassé leur décision de baisser les tarifs sur les prothèses de hanches, ils ont perdu une économie qu’ils attendaient. On paye pour les autres.

Quelles sont vos propositions pour faire des économies ?

Il faut faire des économies fondées sur le transfert hôpital-ville. On sait que la ville, ça coûte moins cher. Aujourd’hui, il y a des traitements qui peuvent être pris en charge à domicile avec des technologies avancées. Il faut faire le pari du domicile, c’est là qu’on peut faire des économies. On entend beaucoup Marisol Touraine vanter le virage ambulatoire, donc nous, on ne comprend pas. On dit virage ambulatoire d’un côté, et de l’autre, on casse les jambes d’un acteur qui permet la mise en œuvre de ce virage. Sans prestataires de santé à domicile, la sortie d’hôpital est beaucoup plus compliquée. Dans le cadre d’une perfusion, par exemple, le prestataire fait le lien avec l’hôpital, avec l’infirmière libérale, avec le médecin, le pharmacien… On ne comprend pas la logique. Pour moi, c’est une logique budgétaire court-termiste. Avec des effets induits qui sont épouvantables.

Quelle est votre demande maintenant ?

On veut que l’avis soit suspendu, et que de vraies négociations soient ouvertes. On est prêts à discuter. On ne veut pas être piétinés juste parce que c’est l’été et qu’on a trouvé une profession sur le dos de laquelle faire des économies. Nous sommes disponibles pour trouver une solution respectueuse des différents acteurs. On a écrit au Président de la République pour qu’il demande à sa ministre de suspendre l’avis. On était devant le Ministère de la Santé mardi matin pour qu’ils nous entendent. On sollicité tous les parlementaires, on a une pétition en ligne.

Comment réagissent les médecins à ce sujet ?

Ils sont inquiets concernant les conséquences en termes de traitements et de suivi de qualité de traitement. On est une chaîne, chacun contribue à la prise en charge. Voir un maillon tellement dégradé qu’il n’existera plus ou n’aura plus les moyens de faire son boulot, ça inquiète les médecins.

 

Le virage ambulatoire de Marisol Touraine

Depuis qu’elle est au gouvernement, Marisol Touraine a fait un objectif prioritaire du virage ambulatoire. Il est au cœur de la loi de Santé, qui est la mise en pratique du Pacte territoire Santé, présenté au début du quinquennat. La ministre l’a dit et répété, le médecin traitant doit être le pivot du parcours de soins entre la ville et l’hôpital, l’organisation de la prise en charge en ville devant permettre de limiter le recours à l’hôpital. In fine, le virage ambulatoire sera source d’économies pour l’Assurance maladie.

Pour 2016, l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie a été fixé à 1,75%, un taux historiquement bas, quasiment d’un même montant pour l’hôpital et pour la médecine de ville. Logiquement, les syndicats médicaux qui viennent de négocier la nouvelle convention médicale ont fait remarquer que le compte n’y était pas, et qu’il manquait des moyens pour organiser ce transfert qui se traduit par un alourdissement des tâches allouées à la médecine ambulatoire.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier