Dans le cadre du projet de mise en place d’un nouveau code de déontologie, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) a lancé une consultation interne visant à recueillir l’avis de la profession sur l’introduction d’une clause de conscience selon laquelle le pharmacien pourrait “refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine”. Une pétition a été lancée contre “ce recul dans l’accès aux soins”.
En mars 2016, un pharmacien de Gironde a été suspendu pour une semaine par l’Ordre pour avoir refusé de vendre des contraceptifs par conviction religieuse. Depuis, l’Ordre semble faire volte-face. Tout a démarré courant décembre 2015 sur le site de l’Ordre des pharmaciens. Une consultation ouverte a été lancée lors de laquelle la question de la mise en place d’une clause de conscience dans le code de déontologie a été posée. “3 395 personnes ont répondu et à 85 % ils étaient favorables à la mise en place de cette clause”, déplore La Gélule*, pharmacienne twittos adjointe de 37 ans.
“J’peux pas, j’ai clause de conscience”
Devant de tels résultats, le CNOP propose un sondage à tous ses inscrits portant sur le projet d’article instaurant une clause de conscience. “Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte susceptible d’attenter à la vie humaine” “Cet article doit-il figurer dans le code de déontologie ?”, questionne l’Ordre.
Isabelle Adenot
quel esprit tordu a pondu cette formule ? “attenter à la vie humaine” 1/2
“Le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte susceptible d’attenter à la vie humaine”… Que signifie cette formulation ? Léo, pharmacien adjoint qui s’est exprimé sur le blog de son confrère Hygie, a analysé cette phrase. Selon lui, “Il semblerait donc que cette fameuse clause de conscience, telle qu’elle est proposée, ne serve qu’à protéger les pharmaciens qui souhaiteraient s’opposer à la contraception ou l’IVG. Même si, on l’a vu, dans le cas de l’IVG, ils peuvent déjà se réfugier derrière le hors-AMM.”
la gélule
… Après le “j’peux pas, j’ai piscine”, l’ONP, invente le “j’peux pas, j’ai clause de conscience ” Imaginons un instant :
la gélule
– Bonjour, je voudrais un norlevo, svp
– Nan, fallait rester vierge jusqu’au mariage, et pis, j’peux pas, j’ai clause de conscience
Si la clause de conscience figurait dans le nouveau code de déontologie, le pharmacien sanctionné en mars 2016 ne le serait donc plus. “C’est un véritable recul pour la prise en charge des patients et surtout des patientes. A partir du moment où il y a une base légale, c’est la porte ouverte à des dérives importantes. Il s’agit là d’une véritable perte de chance pour les patientes, notamment celles qui vivent en zones rurales et qui devraient parcourir des kilomètres pour trouver une pharmacie qui accepte de leur délivrer une contraception “, s’indigne La Gélule qui s’exprime au nom d’un collectif de pharmaciens unis contre cette clause.
Même indignation du côté de la ministre du droit des femmes Laurence Rossignol qui a publié un communiqué intitulé “Consultation sur la création d’une clause de conscience pour les pharmaciens : l’accès à la contraception et à l’IVG ne peut être remis en cause”. “Si cette consultation était suivie d’effet, elle ouvrirait clairement la possibilité pour des pharmaciens de refuser de délivrer la contraception d’urgence (pilule du lendemain), la pilule, le stérilet ou même le préservatif. (…) Quel que soit le résultat de cette consultation, le simple fait d’interroger les pharmaciens sur ce sujet nous rappelle que l’accès à la contraception et à l’IVG, en tant que droits à part entière, n’est jamais définitivement acquis. Il serait raisonnable de la part de la Présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de clarifier l’objet de cette consultation et de réaffirmer l’attachement de l’Ordre à assurer aux femmes leur autonomie et la liberté de choisir leur contraception”, écrit la ministre.
“Une perte de chances pour le patient”
D’autant que dans l’actuel code de déontologie, les pharmaciens peuvent déjà refuser de vendre un médicament sur la base d’un motif médical. “Lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l’ordonnance”, indique l’article R4235-61.
Une pétition adressée à Isabelle Adenot, présidente du CNOP intitulée ” Nous refusons la clause de conscience pour le pharmacien” a déjà recueilli ce mercredi matin près de 6 000 signatures. “Il est INACCEPTABLE qu’un pharmacien refuse de délivrer certains médicaments sous prétexte que cela heurte ses convictions. Nous, collectif de pharmaciens, refusons que le Code de Déontologie inclue une telle disposition, qui est une attaque directe des droits des patients. Le devoir des pharmaciens, c’est d’aider les patients et non d’entraver leurs droits ou de leur compliquer l’accès à un traitement. La clause de conscience a déjà démontré qu’elle était une perte de chances pour le patient. Jusqu’ici, les pharmaciens pouvaient s’honorer de ne pas en avoir”, écrit le collectif à l’origine de la pétition.
Fin de vie
Dans un entretien à l’AFP, Isabelle Adenot s’est défendue en indiquant que le sujet n’est “pas du tout lié à la contraception mais à la fin de vie, question qui fait énormément débat dans la profession”. Le conseil national a délibéré début juillet sur un projet de nouveau code mais il était “très divisé” sur l’introduction d’une clause de conscience. Il a donc décidé de lancer une nouvelle consultation, jusqu’au 31 août, sur un unique article, “pas du tout celui qui circule sur internet, qui n’est qu’un extrait de la phrase”.
Des propos anticipés par Léo selon qui “l’euthanasie étant illégale, elle n’est pas concernée par la clause. Même si on peut imaginer que les rédacteurs aient anticipé d’éventuels changements législatifs à ce sujet. Cependant, dans l’hypothèse d’une légalisation de l’euthanasie, celle-ci serait réalisée soit à l’hôpital, soit à domicile, mais sans passer par le circuit officinal”.
La ministre de la Santé Marisol Touraine a exprimé sa “pleine confiance” en Isabelle Adenot “pour que le droit à la contraception d’urgence et à l’IVG ne soit aucunement remis en cause”. “La ministre ne croit pas que l’Ordre ait jamais eu l’intention de porter une proposition qui remette en cause ces droits fondamentaux des femmes”, a ajouté son entourage, soulignant que le nouveau code de déontologie devra être validé par Marisol Touraine, qui “ne laisserait jamais place à une telle disposition.”
* Il s’agit de son pseudo sur Twitter
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin