C’est le premier grand scandale des infections nosocomiales en France. Entre 1989 et 1993 une soixantaine de patients opérés à la clinique du sport, à Paris, ont contracté une infection post-opératoire au xenopi. 20 ans plus tard, trois chirurgiens sont jugés. Ils n’auraient pas respecté les règles de stérilisation dans cette prestigieuse clinique où les patients passaient au bloc à la chaîne.

 

Fin des années 80, la clinique du sport est un établissement très réputé en matière de chirurgie orthopédique. Elle s’est fait connaître en se spécialisant dans la nucléotomie percutanée, une technique novatrice à l’époque, qui permet d’opérer les hernies discales sous anesthésie locale. Cette technique n’a pas montré de résultats probants et n’est désormais plus utilisée. Mais jusqu’au milieu des années 90, les patients arrivent de toute la France pour se faire soigner dans cette prestigieuse clinique parisienne.

En septembre 1997, le scandale éclate. Le journal Le Parisien révèle le cas de Béatrice Ceretti, une patiente opérée d’une hernie à la clinique du sport en 1991 qui depuis souffre de terribles douleurs à la colonne vertébrale. Après des années de soins et d’examens médicaux les médecins ont enfin trouvé de quoi souffrait Béatrice : elle contracté une infection post-opératoire au xenopi, un germe de la famille de l’agent de la tuberculose. Suite à la médiatisation de ce cas, d’autres anciens patients de la clinique du sport se font connaître. Au total, 57 personnes opérées des lombaires ou des cervicales entre 1989 et 1997 souffrent depuis d’une tuberculose osseuse qui touche leur colonne vertébrale. Treize d’entre eux, plus grièvement touchés, portent plainte au pénal. D’après leurs avocats, la clinique du sport aurait fait passer la rentabilité avant la sécurité.

 

Une série de manquements

Il faudra pourtant attendre plus de 10 ans pour que le procès des dirigeants de la clinique du sport s’ouvre enfin. Entre temps, c’est une instruction fleuve qui met au jour une série de manquements et de fautes au sein de l’établissement.

Les enquêteurs remontent jusqu’en 1989, où une première alerte est donnée à la Clinique du sport. La bactérie est découverte dans les lombaires d’un patient, mais la cause de l’infection demeure inconnue. En 1993, voyant arriver d’autres cas de contamination, Pierre Sagnet, le directeur de l’établissement alerte les autorités sanitaires. Une spécialiste des infections osseuses, le Dr Nicole Desplaces, est appelée pour mener une expertise. C’est elle qui découvre la source de l’épidémie : une contamination des instruments chirurgicaux lors d’un rinçage à l’eau. Des dispositions sont alors prises au sein de la clinique, mais les anciens patients ne sont pas informés du risque de contamination… Jusqu’à la publication de l’histoire de Béatrice Ceretti dans Le Parisien, quatre ans plus tard.

 

Onze hernies opérées en une journée

En fait, il y a deux raisons à ces contaminations. La première est la contamination du circuit d’eau potable de la clinique du sport par la myobactérie xenopi. La deuxième est une mauvaise stérilisation des instruments chirurgicaux, qui étaient rincés à l’eau froide contaminée. L’enquête révèle en effet que les règles de stérilisation n’étaient pas respectées par les équipes chirurgicales, en raison notamment d’un trop grand nombre d’interventions programmées. Un chirurgien pouvait opérer jusqu’à onze hernies en une journée. Les juges instructeurs déterrent ainsi une foule de négligences : “l’intrusion du personnel en cours d’intervention”, “un lavage manuel sans contrôle”, ou encore “le réemploi de l’eau de rinçage sale dans la salle d’opération”. Un aide-soignant révèlera que seuls les deux premiers malades de la journée bénéficiaient d’une parfaite stérilisation. On apprend aussi qu’un chirurgien utilisait plusieurs fois des kits d’instruments à usage unique.

La justice décide donc de poursuivre trois chirurgiens pour “coups et blessures involontaires” et “non-assistance à personne en danger”. Le procès de Pierre Sagnet, directeur de l’établissement, de Didier Bornert et de Patrick Béraud, libéraux qui opèrent à la clinique, s’ouvre donc en octobre 2009, au tribunal correctionnel de Paris. Les victimes, qui ont déjà été indemnisées, attendent que les responsables soient punis. “C’est le symbole de presque tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de ’médecine business’ et le point de départ de la mise en lumière des maladies nosocomiales dans l’opinion publique”, estime Me Patrick de la Grange, qui défend les intérêts de plusieurs victimes.

 

“Ce n’est pas de ma faute”

A l’audience, il est question des conditions de travail au sein de la clinique du sport. Le témoignage d’une infirmière est éloquent : “Après mon expérience à la Clinique du sport, je me suis dit “plus jamais ça”. Les chirurgiens, en particulier le Dr Bornert, nous pressaient tout le temps, afin de réduire le temps d’attente entre deux patients… Quand j’ai demandé de l’eau stérile, le Dr Bornert m’a dit qu’il n’en voyait pas la nécessité.”

Pour, les chirurgiens, la faute incombe au personnel du bloc, chargé de la stérilisation. “Moi je suis chirurgien, a répondu sèchement à plusieurs reprises, lors des audiences le Dr Bornert. La stérilisation, ce n’est pas de ma responsabilité. Je paye une redevance à la clinique et c’est elle qui me fournit mon outil de travail.” Quant aux kits à usage unique qui étaient réutilisés, là encore le médecin botte en touche. “Le matériel était re-stérilisé. Ce n’est pas de ma faute si ce matériel était rincé ensuite avec de l’eau que l’on me disait stérile, mais qui en fait ne l’était pas.”

 

Prison ferme

Lors des réquisitions le parquet a clairement désigné les trois médecins comme responsables de ces contaminations et a réclamé des peines de prison ferme. Les condamnations seront encore plus sévères. Pierre Sagnet, l’ancien directeur à qui il est aussi reproché d’avoir tarder à régir et à informer les patients, est condamné à 4 ans de prison dont 18 mois ferme et 50 000 euros d’amende. Le docteur Bornert est condamné à deux ans dont six mois ferme et le troisième chirurgien, le docteur Béraud à huit mois avec sursis. Pierre Sagnet s’est dit “très, très mal” à la sortie de la salle d’audience. “Je suis meurtri, déçu. J’essaie de comprendre. On a jugé avec les connaissances d’aujourd’hui quelque chose qui s’est passé il y a vingt ans”, a-t-il dit.

Les docteurs Sagnet et Bornert ont fait appel de leurs condamnations. En juin 2013, ils ont vu leurs peines réduites à trois et deux ans de prison avec sursis.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Liberation.fr, Lemonde.fr, Lexpress.fr et Lepoint.fr]