Cet été Egora.fr donne la parole aux associés, pour que chacun parle de l’autre. A la fin des années 80, les Dr Jean-Marc Geidel et Jean-Pierre Brosseau ont créé une maison médicale dans un quartier défavorisé de banlieue parisienne. Un lieu où ces deux militants ont voulu prodiguer une médecine “différente”, plus à l’écoute du patient. Aujourd’hui, les deux médecins qui se sont rencontrés sur les bancs de la fac, racontent leurs 35 années d’association dans une interview croisée.
 

 

Egora.fr : Racontez-nous votre première rencontre…

Dr Jean-Marc Geidel : On était étudiants en médecine, en deuxième année. J’étais un peu le bon élève, lui jouait le mauvais élève. Un jour, il avait dû se passer quelque chose dans l’amphi et nous avons eu un échange un peu provocateur, mais au second degré. Après cela, nous sommes allés boire un verre. Je me souviens que nous avons parlé et échangé. C’est là qu’un courant de sympathie est né entre nous.

Dr Jean-Pierre Brosseau : Nous nous sommes rencontrés sur les bancs de la fac, rue des Saints-Pères à Paris. Jean-Marc Geidel posait des questions à l’enseignant en interrompant régulièrement son cours, questions d’ailleurs souvent pertinentes. Ces interventions répétées m’agaçaient fortement. C’est à cette occasion que je suis intervenu pour demander qui était cet étudiant “impertinent”.

Quelle a été votre plus grosse prise de bec ?

Dr Jean-Marc Geidel : L’année dernière à l’occasion d’une panne d’ordinateur. Un patient spécialisé dans les ’macs’ a proposé de me dépanner. Mais le docteur Brosseau m’avait mis en garde en me disant : “Attend que je m’en occupe”. Finalement, le patient est venu quand même, et ça a été une catastrophe. (rires).

Dr Jean-Pierre Brosseau : Jean-Marc défend toujours les causes perdues ! Ce positionnement incessant a enclenché des prises de bec entre nous au sujet de sa collaboratrice, qu’il défendait à tout prix. J’ai pu avoir des prises de bec au téléphone, des conversations interminables qui finissaient par la nécessité d’abréger ces échanges stériles.

Quelle est votre principale différence ?

Dr Jean-Marc Geidel : J’ai écrit un livre* cette année dans lequel j’avais un peu caricaturé nos personnages. Lui, c’était le “super médecin généraliste” qui essaie d’avoir des connaissances en tout. Je l’ai présenté comme un défenseur de la rigueur, de la médecine et de la science. Moi je me suis présenté comme un défenseur du doute qui se méfie de la science et de la médecine. En y réfléchissant, je pense que les choses sont un peu plus compliquées. Je pense que lui au bout du compte, ce qui le caractérise, c’est ce mariage entre un grand savoir et une intuition extraordinaire. Au fond, ses décisions ne sont jamais froides et purement scientifiques elles sont intelligentes, dans le sens sensible du terme. Moi, dans ma façon de me méfier de la science, j’ai en fait un côté très rationnel, cartésien. J’ai le “doute méthodique”. En fait, je suis quelqu’un de raisonnable, alors que le Dr Brosseau est plus dans l’affect. Même si c’est un affect très sensible et intelligent.

Dr Jean-Pierre Brosseau : J’ai pu avoir des divergences sur certains points de vue politiques. Avec des idées politiques très proches, je trouvais Jean-Marc trop dogmatique.

Qu’est-ce qui vous rapproche ?

Dr Jean-Marc Geidel : On a énormément travaillé ensemble durant nos études. On était très complémentaires. J’étais le bon élève, il était le bon vivant. Dans le duo, c’est moi qui étais l’élément raisonnable. Lui était imprévisible, avec un côté un peu brouillon mais petit à petit, j’ai vu qu’il était beaucoup plus au fait des choses importantes. En médecine notamment, il était au fait des dernières innovations, recommandations si bien que quand j’étais en difficulté, je lui demandais souvent conseil. Il avait aussi un côté pratique, terre à terre, bricoleur. Ce qui fait que dès que j’avais un pépin de voiture, d’ordinateur… c’est vers lui que je me tournais. On était complémentaire. Et au fil des années, les choses se sont un peu inversées, c’est lui qui est devenu moteur dans notre association. Il avait plus l’esprit d’organisation, il a informatisé le cabinet, il avait plus contact avec les services administratifs. Un de nos grands points communs, c’est aussi qu’on s’est tous les deux beaucoup intéressés au VIH. Moi, parce que j’avais beaucoup de patients marginaux ou toxicos, lui parce qu’il avait un poste de responsabilité au service des transfusions à l’hôpital.

Dr Jean-Pierre Brosseau : Nous partageons les mêmes combats depuis des années depuis le début de notre activité. Nous partageons la même vision militante de la médecine pour la défense des patients, une vision de la médecine où le patient a la première place. Tout cela est bien entendu favorisé par une solide amitié.

Quel est votre souvenir le plus marquant au cabinet ?

Dr Jean-Marc Geidel : Quand nous avons ouvert notre cabinet, nous avons bricolé pendant trois à six mois pour transformer ce qui était un foyer de travailleurs en cabinet médical. C’est un souvenir assez fort. C’est ce qui a ouvert notre vie professionnelle et on l’a fait en faisant quelque chose qui n’avait rien à voir avec notre profession. Et là encore il était moteur, ses talents de bricoleurs étant largement supérieurs aux miens. L’autre image forte que j’ai, ce sont les réunions qu’on faisait ensemble, avec les patients sur des thèmes de prévention, de santé publique. On installait des chaises dans son bureau et on échangeait avec nos patients. On était un peu militants.

Dr Jean-Pierre Brosseau : Le départ de Jean-Marc a été un événement marquant qui a occasionné des soulèvements de la part des jeunes collègues. Des soirées de règlements de compte sur le trottoir. Le départ de mon collègue a été d’autant plus marquant que notre maison MEDICALE aura perdu son “âme”, m’incitant à laisser place aux jeunes.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

 

* C’est vous qui voyez, Docteur… par Jean Marc Geidel, éd. Publibook, 256 pp., 17,95 €.