Cet été, Egora revient sur les procès qui ont impliqué des médecins. En novembre dernier, le Dr Jacques Furlan était condamné à deux ans de prison avec sursis et deux ans d’interdiction d’exercer pour escroquerie. Le médecin généraliste avait rédigé en deux ans 25 000 ordonnances de Subutex, dont une grande partie servait à alimenter un trafic. A la barre, le Dr Furlan a défendu pratiquer une médecine “humanitaire” en accueillant les patients marginaux que personne, dans la région ne voulait soigner.
Le Dr Jacques Furlan a-t-il été volontairement négligeant ou bien est-il tombé malgré lui dans un engrenage qui le dépassait ? C’est toute la question de ce procès qui s’est tenu en novembre dernier au tribunal correctionnel de Sarreguemines, en Moselle.
Les faits en tous cas accablent le généraliste sexagénaire de Hombourg-Haut. Le médecin suivait en tout 285 patients sous Subutex, dont un quart prenait une dose maximale de 16mg par jour. Entre mars 2011 et avril 2013, le Dr Furlan a rédigé pas moins de 25 000 ordonnances de ce substitut à l’héroïne. Un chiffre colossal, qui lui a valu, en 2013, une mise en garde par courrier de l’Assurance maladie.
15 000 euros par mois
Depuis, la justice a examiné à la loupe l’activité du médecin. Elle lui reproche un nombre très important de consultations quotidiennes, dont beaucoup ne dépassaient pas les trois minutes, ce qui lui permettait de gagner jusqu’à 15000 euros par mois alors qu’il exerçait à temps partiel. Pour exemple, le juge cite cette journée du 27 février 2012, où il a reçu 84 patients dont 18 sous Subutex. “C’était uniquement pour des renouvellements d’ordonnance, en accord avec le patient”, assume Jacques Furlan.
Du côté des parties civiles, l’Ordre des médecins a dénoncé la “médecine go fast” pratiquée par le docteur Furlan, par ailleurs interdit d’exercer depuis 2013. Le généraliste a, selon Stanislas Louvel, avocat du conseil de l’Ordre “eu un comportement mercantile et fait partie de ses médecins qui ont la carte vitale un peu facile”.
Servir d’exemple
Le Dr Furlan, lui, réfute ces accusations, arguant qu’il n’a joué qu’un rôle social. Il exerçait dans un quartier très pauvre, et sa patientèle comptait beaucoup de toxicomanes.”On me reproche d’être cupide, laxiste et irresponsable, explique Jacques Furlan.On me dit : Vous prescrivez trop facilement, vous en faites un commerce. Mais je veux juste accompagner ces personnes pour augmenter leur espérance de vie et les aider à retrouver un peu de dignité.”, confie-t-il à Libération, au moment de son procès. “On veut que je serve d’exemple et que les autres médecins aient peur et ne prescrivent plus de Subutex”, a estimé le Dr Furlan à la barre. Le généraliste a dénoncé la “médecine bourgeoise” défendue par l’Ordre des médecins, face à sa “médecine humanitaire”.
Le médecin exerce dans une cité sensible de Hombourg-Haut, en Moselle, où il a aussi été maire jusqu’en 2014. Une population très touchée par le chômage, la pauvreté et la drogue. Ces patients, sont “des marginaux, agités, en état de défonce ou de manque, toujours pressés. Leur présence provoque des remous dans la patientèle, qui risque de fuir le cabinet. Les autres médecins disent : “Allez voir le docteur Furlan, il est habitué”.
Trafic vers l’Allemagne
Le problème, c’est qu’une grande partie des produits prescrits servaient à alimenter un vaste trafic vers l’Allemagne. L’enquête n’a finalement pas révélé de “prescriptions irrégulières” de Subutex, mais le juge l’a renvoyé en correctionnelle pour ses “consultations au rabais”. Il lui reproche aussi “un déni de prise de conscience” à l’égard du trafic de Subutex qu’il contribuait à alimenter.
“Je ne peux pas mener moi-même une enquête” sur chaque patient, se défend le médecin. Pour son avocat, “si certains patients ont pu faire, grâce à ses prescriptions, un trafic pour obtenir de l’argent ou acheter de l’héroïne, il n’en est pas responsable et a été abusé”. Beaucoup de patients du médecin ont fait part de leur soutien. “Le docteur Furlan a toujours été à l’écoute, a témoigné l’un d’eux. Certes, des consultations pouvaient être rapides pour un renouvellement d’ordonnance, mais quand il y avait un problème il creusait toujours.”
La procureur, Marion Freitag, a requis à l’encontre du sexagénaire trois ans de prison, dont deux avec sursis, 50 000 euros d’amende et l’interdiction d’exercer son métier. “En distribuant du Subutex à des patients qui n’en ont pas besoin, on alimente un réseau”, a-t-elle déclaré. Finalement, les juges ont prononcé une peine deux ans de prison avec sursis et deux années d’interdiction d’exercer.
Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.
[Avec Liberation.fr, Lemonde.fr et Francebleu.fr]