Dès ce soir, un grand concert sur le Champ-de-Mars, à Paris, va donner le coup d’envoi du Championnat d’Europe de football avant le match d’ouverture vendredi soir au Stade de France. Quelques mois après les attentats de Paris, alors que l’état d’urgence est toujours en vigueur, médecins et soignants sont à cran.

 

“C’est notre job de prévoir, d’anticiper les catastrophes. Nous avons réfléchi à tous les scénarios possibles. On n’a jamais de système totalement performant, mais là, on a mis le paquet”, promet Patrick Pelloux, responsable de la sécurité médicale à Paris, pour l’AP-HP, avec le Pr Pierre Carli. Dès demain, et jusqu’au 10 juillet, quelque 3 000 000 de supporters sont attendus dans les stades et le double dans les fan-zones, qui retransmettront les matchs en direct.

 

“Actuellement, nous cherchons 200 000 euros”

Depuis janvier, les hôpitaux, les pompiers, les policiers enchaînent les réunions et les exercices. “Notre travail, c’est de tout envisager. Ça veut dire le risque d’attentats, mais aussi les mouvements de foule, les états d’ébriété, les bagarres… On se souvient de 1998”, assure Patrick Pelloux. En termes de moyens, les équipes sont renforcées. “L’AP-HP a ouvert un nombre d’heures supplémentaires et d’astreintes qui correspondent à 360 plages de docteurs, explique l’urgentiste. Et nous avons renforcé de manière considérable l’ensemble des soignants, infirmières, permanenciers du Samu, les ambulanciers, les médecins…” Seul hic, le budget. L’ARS et le ministère de la Santé ne semblent pas s’être entendus sur la somme : “L’ARS nous a dit qu’il y avait 100 000 euros, et l’autre jour au ministère, on nous parlé de 300 000 euros. Ente les deux, nous avons donc perdu 200 000 euros. Actuellement, nous cherchons 200 000 euros”, glisse le Dr Pelloux qui se veut malgré tout confiant.

Pourtant, la semaine dernière le Pr Philippe Juvin signait une tribune au vitriol remettant en question cette préparation. “Nous avons découvert l’existence des fan-zones dans la presse”, s’indigne le chef des urgences de l’hôpital Pompidou, le plus proche de la plus grande zone de rassemblement de supporters à Paris. “48 heures avant le début de l’évènement, je ne sais toujours pas combien de personnes seront réunies dans cette zone. Je ne sais pas non plus les moyens médicaux qui seront développés, hormis le Samu et le Smur”, s’inquiète celui qui est aussi député européen pour Les Républicains. “Quand vous avez de grands rassemblements, vous vous exposez à des malaises, des bagarres, des entorses, des accidents d’exposition sexuelle. Ces pathologies ne sont pas suffisamment graves pour nécessiter un Smur, mais doivent néanmoins avoir un contact médical. Il faut des antennes médicales avec des urgentistes sur place, capables de prendre en charge des patients et de faire en sorte qu’ils ne viennent pas chez nous, nous emboliser. Il faut un traitement en amont de ces éventuels blessés”, plaide Philippe Juvin.

 

“Monsieur Juvin, c’est la honte de la République”

“Monsieur Juvin n’a aucune légitimité ! Il peut parler au nom de son parti Les Républicains, mais pas sous l’étiquette chef de service de l’HEGP où il n’est jamais !”, rétorque l’urgentiste Christophe Prudhomme. “Il reste en poste comme chef de service d’un des plus grands hôpitaux parisiens, et dans le même temps, il est député européen, maire, président de la fédération Les Républicains des Hauts-de-Seine… Monsieur Juvin, c’est la honte de la République. Qu’il dise qu’il n’a pas été prévenu, que rien n’est préparé, c’est honteux. S’il était plus souvent dans son hôpital, il serait au courant de ce qu’il se passe !”, fulmine le Dr Prudhomme, urgentiste à l’hôpital Avicenne, en Seine-Saint-Denis, à quelques kilomètres du Stade de France où se tiendront plusieurs matchs, dont celui d’ouverture et la finale.

Pour autant, Christophe Prudhomme ne cache pas son inquiétude quant aux jours à venir. “Le problème, ce n’est pas qu’on ne soit pas prévenus, préparés, organisés. On sait très bien faire ça. Le problème, c’est qu’il n’y a que 24 heures par jour et on a déjà été fortement sollicités ces derniers mois.”

Outre les jours éprouvants des attentats, il y aussi eu la gestion de la COP 21 début décembre. “Quand nous avons été sollicités pour l’Euro, nous n’avions pas été payés pour la COP ! Ils viennent juste de nous payer, et à des tarifs ridicules. Il y a une menace des personnels dans mon service de ne pas s’inscrire pour les plages supplémentaires pour aller au Stade de France. Il y a une vraie colère des personnels. On nous demande beaucoup, alors qu’on est fatigués avec ce qu’il s’est passé cette année, alors qu’on ne sait pas comment va se passer l’été et qu’on nous pressure en permanence…”, rappelle l’urgentiste de l’hôpital Avicenne.

D’autant, confie le Dr Prudhomme, qu’un étonnant phénomène affaiblit encore un peu plus les équipes des hôpitaux publics. “A l’intérieur des stades et dans les fan-zones, ce sont des intervenants privés qui sont en charge des secours. A l’extérieur, c’est le service public.” Les intervenants privés, des médecins, des infirmières, sont engagés par l’organisation de l’Euro. “Mais le nombre de médecins n’est pas extensible à l’infini. Et une partie des médecins recrutés, sont ceux qui travaillent habituellement dans le service public. Ils ne pourront pas être dans deux endroits à la fois. Et ces boîtes privées payent très bien…” Un débauchage qui est loin d’être marginal, à en croire le Dr Prudhomme et qui aggrave les tensions dans les services. “Du travail supplémentaire pour des Jeux du cirque qui brassent beaucoup d’argent, ça pose problème. J’aimerais bien qu’un peu d’argent de la Fifa arrive dans les hôpitaux pour qu’on puisse mettre des dispositifs à disposition”, ajoute l’urgentiste. Un vœu pieu, puisque le gouvernement a décidé d’exonérer d’impôts l’UEFA, qui économise ainsi près de 300 millions d’euros.

 

“Nous sommes très sereins par rapport au risque d’attentat”

Syndicaliste, Patrick Pelloux se dit bien conscient de l’état d’esprit des équipes à quelques heures du coup d’envoi. “Il y a ce qu’on nous demande de faire, donc on le fait. Ce sera difficile. D’autant qu’il faudra aussi gérer la Fête de la musique, qui est la nuit la plus difficile de l’année pour les services d’urgence… Mais on n’oublie pas !”, glisse Patrick Pelloux à propos des conditions de travail des urgentistes. Mais, reprenant sa casquette de co-organisateur, il tient à rassurer : “Nous sommes très sereins par rapport au risque d’attentat. C’est tout ce que je peux vous dire. Nous avons appris à garder le silence, parce que les terroristes peuvent lire sur Egora ce qu’on aurait préparé pour protéger la population. J’ai de la bouteille, j’en ai vu des préparations, mais jamais je n’ai vu l’Assistance publique se préparer comme ça à un tel évènement.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier