50 000 euros pour les jeunes souhaitant s’installer dans un désert, la somme marque les esprits. Mais la CNAM ne s’est pas contentée de jouer les chiffres ronds, elle a notamment proposé des aides au compagnonnage, touchant les médecins partant à la retraite en zone fragile, et proposé 30 000 euros aux ophtalmos pour qu’ils embauchent un orthoptiste salarié. Les internes et jeunes médecins sont intéressés, mais les plus anciens critiquent un “effet d’annonce” construit sur du “recyclage”.
 

 

C’est un peu un coup de théâtre, alors que les syndicats médicaux (Csmf, FMF, SML, MG France et Le Bloc), s’étaient bien échauffés à l’idée que la reprise des négociations conventionnelles, après deux semaines de break, allait enfin lancer l’épreuve de force avec la Cnam, sur le terrain budgétaire. De fait, alors que les délégations d’internes, chefs de cliniques et jeunes médecins avaient pris place autour de la table pour participer à la réunion plénière sur le thème de la démographie médicale, ce mercredi, l’Assurance maladie a surpris tout le monde en proposant, d’emblée, 50 000 euros aux jeunes souhaitant s’installer en zone sous-dotée.

 

“C’est un effet d’annonce”

“Spectaculaire”, a commenté Claude Leicher, le président de MG France, assez bluffé par le chiffre. “A noter quand même la disparition des honoraires bonifiés. Ces propositions constituent des éléments significatifs et intéressants”.

La somme est rondelette, en effet. Elle correspond au regroupement des aides à l’installation actuellement en vigueur, jugées insuffisamment attractives et donc inefficaces. Notamment l’option démographique, qui était censée attirer de nouveaux médecins vers les déserts médicaux. Entre 2013 et 2014, sur 485 nouveaux médecins installés, 190 ont adhéré à cette option démographique, soit 39% des nouveaux installés en zone déficitaire, relève l’Assurance maladie, dans le document remis aux participants. Dispositif mal connu, mal ficelé, payé trop tardivement, effet d’aubaine pour les anciens installés (pour les deux tiers de l’enveloppe)… Les jeunes médecins ont voté en la boudant.

L’idée de l’assurance maladie est de remettre le mécanisme à plat et d’encourager l’exercice regroupé pour les médecins qui s’engagent à rester exercer sur la zone au moins trois ans. Le forfait serait versé en deux fois, la première lors de l’installation, la seconde l’année suivante. Des majorations sont également envisagées dans le cas où le praticien assure des vacations dans des hôpitaux de proximité.

“Cela ne coute rien au directeur de la Cnam, tempère le Dr Eric Henry, le président du SML. C’est un effet d’annonce, il déshabille Pierre pour habiller Paul. La dotation sera de 25 000 euros sur deux ans alors qu’elle était de 15 000 euros sur trois ans, plus une majoration sur les actes. Il fait même des économies, mais les jeunes semblent apprécier, alors…”. De fait, les délégations d’internes et jeunes médecins semblent satisfaites de la tournure des discussions. Reagjir souligne notamment l’amélioration de l’option démographie, avec versement d’une partie de l’allocation forfaitaire dès la première année d’installation “période qui peut faire peur aux jeunes médecins” du fait de l’investissement à apporter. Ils apprécient également cette autre proposition de mise en place d’un référent installation pour accompagner les arrivants dans les méandres administratifs.

 

D’autres idées novatrices ont été avancées

Mais Jean-Paul Ortiz est lui aussi dubatif. “C’est un peu du recyclage”, lâche-t-il. Il souligne que cette option ne concerne que les installations en zones sous-denses et qu’elle devrait, de plus, priver d’une aide conséquente les médecins installés en zones fragiles et qui restaient là grâce à cet apport. “Il faut absolument que l’assurance maladie maintienne cette aide, qui vient d’être prolongée jusqu’en 2018. Ces médecins risquent de se trouver sans rien, brutalement. Cela pourrait déstructurer l’offre de soins dans ces territoires”, fait-il valoir.

D’autres propositions ont été avancées par la CNAM, qui veut maintenir le principe de l’option santé solidarité, la vieille idée du médecin volant concoctée par le SML en son temps. “Je suis content que le concept du médecin volant soit maintenu. Il peut devenir le Airbnb de la médecine, explique le Dr Henry. Un confrère va remplacer dans un autre cabinet durant les vacances, au moins 14 jours, et vice-versa, ce qui lui permet de joindre l’utile à l’agréable”, imagine-t-il. Car l’option propose un bonus de 10 % sur les honoraires annuels réalisés dans la zone, dans la limite de 20 000 euros/an.

D’autres idées novatrices ont été avancées par la CNAM. Celle, notamment, de mettre en place une aide (majoration de 10 % des honoraires annuels, plafonnés à 20 000 euros/an) pour une forme de compagnonnage sur une période de trois ans, qui permettrait à un médecin âgé d’au moins 60 ans, de prendre un “associé” de moins de 50 ans avec lui, jusqu’à sa retraite. “Une disposition sans doute difficile à mettre en place, et sur une période un peu courte. Il faudrait cinq ans, tempère Jean-Paul Ortiz. Un jeune préfère faire des remplacements, exercer en assistanat ou en tant que collaborateur libéral avant de s’associer”.

Toujours pour les plus âgés, l’assurance maladie propose de valoriser la maîtrise de stages (300 euros de plus par mois, soit 50 % de plus qu’aujourd’hui, pour les stages de niveau 1), avec de possibles modulations régionales.

Enfin, l’amélioration de la protection sociale a été envisagée. Un sujet particulièrement sensible pour les jeunes générations, qui y voient le moyen de mieux se projeter dans l’avenir. Les libéraux ont donc demandé la réduction du délai de carence de 90 à 15 jours avant de toucher des indemnités journalières de la Carmf. Cela coûterait 34 millions d’euros. Pas de réponses.

 

Un effort sur le prix des actes et des forfaits

Ils ont évidemment rappelé l’engagement de la ministre à bonifier le congé maternité, mais il faut un texte législatif pour cela. Ce qui fait douter les jeunes de Reagjir que ces dispositions bénéficient à la convention 2016. La pérennisation du régime de retraite, complémentaire et ASV, déjà actée en début de négociations, a été officialisée. Au ministère, maintenant, de publier les décrets ad hoc pour que ces dispositions puissent entrer en vigueur.

“Ces dispositions vont dans le bon sens, estime Claude Leicher. Mais il faut également porter un effort sur le prix des actes et des forfaits”, fait-il valoir. De même a-t-il exigé que les médecins généralistes, débordés comme certains spécialistes, soient également bénéficiaires de l’aide forfaitaire de 30 000 euros, proposée aux ophtalmologistes pour financer l’emploi d’un orthoptiste salarié.

Mais en cette réunion de reprise, demeure toujours le même mystère : le montant de l’enveloppe que la CNAM veut consacrer à cette convention. “On ne sait rien, alors que Marisol Touraine vient d’annonce qu’elle débloquait 2 milliards d’euros pour l’hôpital. Nous sommes des chefs d’entreprise, nous avons besoin de savoir où on va”, s’agace le président du SML, qui salue néanmoins la méthode Revel, et sa “façon positive de procéder”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne