QUEL AVENIR POUR LES MEDECINS ? (1/2) – Egora a demandé à deux observateurs du système de santé de se projeter dans le futur et d’imaginer comment vous exercerez demain. Selon le chirurgien Guy Vallancien, le système de santé français doit prendre en marche le train des nouvelles technologies et s’adapter s’il ne veut pas s’effondrer. Le médecin, lui, renouera avec sa vocation : la relation humaine.

 

Egora : L’évolution actuelle des technologies implique-t-elle des bouleversements d’une importance nouvelle pour la médecine ?

Pr Guy Vallancien : Oui, nous assistons à une mutation. Jusque là, l’homme changeait le monde grâce aux technologies à sa disposition. Aujourd’hui, c’est la première fois que l’homme est capable de se changer lui-même. Demain, il pourra être encore davantage en capacité de s’augmenter et de se transformer. Et les hommes iront toucher le feu, pour s’apercevoir qu’on s’y brûle. Nous voudrons comprendre jusqu’où nous pouvons aller dans les manipulations génétiques, dans la compréhension de l’intelligence artificielle, dans la mise au point des robots etc. Nous irons jusqu’à créer des monstres. Tant que nous n’aurons pas eu cela, nous serons fascinés par la génomique et la manipulation du vivant humain, à des fins qui ne seront pas forcément thérapeutiques. Mais cette mutation est par ailleurs extrêmement positive. Elle permet des avancées médicales considérables pour améliorer diagnostiques et traitements. Il y a donc un débat de fond, philosophique, éthique, sociétal sur notre humanité, qu’il faut engager et qui n’existe guère en France.

Ces avancées placent le médecin sous une emprise technologique croissante. Ne risque-t-on pas de connaître une médecine déshumanisée ?

Non, au contraire. Il faut que le médecin retrouve l’essentiel de son art, qu’il a perdu au profit d’éléments techniques. Ces éléments techniques doivent être laissés à des ingénieurs. De nombreuses tâches peuvent également être assurées par des médecins intermédiaires, situés entre l’infirmière bac + 3 et le médecin bac + 12, à un niveau master, comme les sages-femmes et les auxiliaires anesthésistes. Le médecin, lui, aura un rôle intégrateur : il aura collecté les données auprès des différents professionnels et il mettra en perspective ce qu’il faut faire, il accompagnera le patient dans son parcours de santé. Plus nous baignerons dans la technologie et plus nous aurons affaire à des ordinateurs qui moulineront des diagnostiques et des thérapies, plus le patient aura besoin de retrouver la relation humaine. Il y a un avenir fantastique pour le médecin, à condition que l’on se place dans ces dispositions-là. Or, les études de médecine restent aujourd’hui très techniques, aux dépens de la compassion et de l’accompagnement.

Les médecins ne seront donc pas les infirmiers de 2030 comme l’annoncent certains….

Si l’on ne change rien, ils ne seront pas des infirmiers mais de simples ouvriers spécialisés et c’est l’infirmier qui montera en compétences. Les choses vont extrêmement vite. Sans pousser jusqu’au très américain délire post-humaniste – auquel je ne crois pas du tout car je pense que l’immortalité est un pur fantasme – la crainte de voir le médecin disparaître existe. Quand le médecin est vissé devant son écran, qu’il ne parle plus à son patient, c’est inadmissible. Il faut savoir se couper des outils pour être dans la relation humaine. En revanche, les médecins doivent savoir utiliser ces outils, en connaître les avantages et en pister les horreurs. Cela demande une formation, qui va bien plus loin que l’appétence naturelle de la nouvelle génération pour le digital. Il y a urgence à revoir le cursus des jeunes médecins.

Outre la formation, quelles adaptations doivent être menées pour que le système de santé français accompagne ces mutations ?

Il faut tout changer car tout bouge ! Quel que soit l’endroit par lequel on entre dans ces mutations, vous tirez le fil et toute la pelote se déroule : la répartition des acteurs sur le terrain, leur mode de rémunération, l’évaluation de leur qualité, la prise en charge assurantielle…. A ce sujet, nous avons fêté les 75 ans de la Sécurité Sociale en nous en gargarisant. Mais demain, des communautés de malades planétaires vont pouvoir lever des fonds considérables pour se soigner, via le crowdfunding. Nous allons aller vers ce que j’appelle la charité égoïste : les patients souffrant d’une même pathologie vont se regrouper pour financer leurs chercheurs et leurs chambres de soins.

Les patients sont donc plutôt gagnants dans cette révolution digitale ?

Oui, parce qu’ils sont d’autant plus maîtres de leur destin qu’ils sont informés, qu’ils participent à l’action et se regroupent pour faire le poids face à des autorités souvent tatillonnes et des corps de métiers parfois trop traditionnels. Et tout le monde aura accès cette information et ces possibilités. Quand les pays émergents sont en train de s’adapter à vitesse grand V, en France nous traînons nos conservatismes comme des boulets.

Comment lever les blocages ?

Nous devons rentrer dans cette modernité, dans le partage des connaissances et du travail avec les autres professions. A l’horizon 2030, nous aurons opéré une mutation profonde du système de santé, mais pour cela, il va falloir embarquer les politiques qui sont très en retard sur ces sujets. Rendez-vous compte : il n’y a pas d’ordinateur sur le bureau du président de la République ! Les Etats-Unis ont pris une avance considérable sur ces enjeux majeurs. Pendant ce temps, en France, on discute de sujets secondaires comme le tiers-payant. Le train, lui, passe.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Clarisse Briot

 

Lire l’interview de Jean-François Mattei “L’homme transformé a toujours été le second objectif de la médecine” (QUEL AVENIR POUR LES MEDECINS ? – 2/2).

La médecine sans médecin – Le numérique au service du malade, paru le 24 avril 2015 aux éditions Gallimard.