Jeune généraliste installée en pleine campagne, le Dr Lucie Germain* participait régulièrement à la permanence des soins depuis quatre ans. Mais c’est fini. Un samedi de juin, vers 19 heures, elle reçoit un appel. Les huit minutes qui suivent se passent dans le calme, aucun critère de gravité n’est décelé, le couple accepte de se déplacer chez le médecin de garde. Le lundi suivant, elle apprend qu’ils ont porté plainte.

 

“Je suis généraliste, installée depuis 6 ans dans une zone rurale. Je fais de la PDS depuis 4 ans, on m’a appelée assez rapidement.

L’histoire remonte au mois de juin 2015. C’est une garde des permanence de soins, un samedi, vers 19 heures. Moi, je réponds au numéro d’appel de la PDSa. On est mutualisé avec la régulation du 15, du 112 et du 18. Donc une permanencière décroche, c’est une demande de médecin de garde. Elle me transfère l’appel en me disant que c’est un monsieur qui appelle pour sa femme, enceinte de 5 mois pour qui, jusque-là, tout se passe bien.

J’ai le monsieur au téléphone. Il commence à me dire que ce matin sa femme avait mal au ventre, qu’ils ont pris la voiture dans la journée, et que là, elle a vraiment très mal. Moi, j’enregistre le mot voiture. Ils sont assez isolés, dans une vallée assez éloignée où je ne suis pas sûre d’avoir une ambulance. Je sais que déclencher les pompiers, ça va être compliqué, et de toutes façons ça n’est pas à moi à le faire, c’est au médecin de l’aide médicale d’urgence, l’AMU.

Moi je cherche des critères de gravité, je n’en ai pas. La dame est derrière, elle répond, elle est consciente, il n’y a pas de hurlements… Je passe 8 minutes à réguler. Il me demande un transport. Je lui dis que s’il peut la descendre en voiture, c’est mieux. Il insiste, il veut un transport, il veut les pompiers. Je lui explique que ça ne nécessite pas les pompiers.

Au bout d’un moment, sentant que ça patauge un peu, je lui demande ce qui l’inquiète. Il me dit : “Quand elle fait pipi, ça sent fort”. Je demande si ça la brûle, si elle a de la fièvre… Il me dit que non.

Je lui dis qu’il faut consulter un médecin. Je lui donne le nom du médecin de la maison médicale de garde, je lui dis de descendre consulter, qu’elle va les recevoir. Tout est cordial. Contrairement à ce qui arrive parfois dans les régulations, personne n’insulte personne. Je lui explique comment arriver à la maison médicale de garde. Il me dit “Merci, au revoir”. La régulation, c’est trouver un consensus. Pour moi, on l’avait.

Le lundi, on m’appelle en me disant qu’il y a une plainte.

En fait, le monsieur n’avait pas de voiture. Mais il ne me l’a jamais dit. Quelqu’un a fini par les descendre à l’hôpital. C’était une mort fœtale in utero. Elle a expulsé le fœtus peu après. Voilà. Le fœtus était mort depuis belle lurette, les pompiers, le transport… Ça n’aurait rien changé du tout.

Moi, je consacre mon samedi à décrocher le téléphone. Je suis quelqu’un de consciencieux. Je passe huit minutes à réguler. Je n’ai aucun signe de gravité. Le monsieur me dit “Merci, au revoir”. Et le lundi, il y a cette plainte !

Je me suis sentie humiliée. Vraiment.

Je ne connais même pas le motif de la plainte.

En apprenant ça, j’appelle l’hôpital. Ils me disent que la PDS ne dépend pas d’eux. J’appelle mon assurance en RCP, qui ne veut même pas être au courant. J’appelle l’association de PDS, qui dit qu’ils n’ont pas d’assurance. J’appelle l’Ordre départemental, j’attends toujours qu’ils me rappellent. Ils n’ont pas daigné pendre de mes nouvelles.

L’hôpital a fini par me rappeler trois jours après, en me disant que c’est bien eux qui s’occupent de ça.

Je suis donc convoquée chez les gendarmes quelques jours après. Le gendarme, plutôt sympa, me demande si je sais où vivent ces gens, me parle de la difficulté des transports, souligne que j’ai l’expérience d’avoir été urgentiste, qu’il n’y avait aucun critère de gravité… Ça dure 1h30. A la fin, il me dit : “Il ne faudra pas le prendre mal, mais je vais vous prendre les empreintes et vous prendre en photo.”

Ça, ça été terrible. Je lui dis : “Je suis désolée, mais je vais quand même le prendre mal.”

J’ai fait mon boulot. Je ne pense pas l’avoir mal fait et je me suis retrouvée accusée. Et du mauvais côté. Je n’ai pas dormi pendant trois mois.

Avec le temps, ça s’est tassé. Et comme je n’avais de nouvelles de personne, j’ai appelé la gendarmerie. Là, ils me disent qu’ils ne sont pas au courant, que c’est passé au procureur. Ils me donnent le numéro du procureur. Donc j’appelle, je m’excuse platement, je passe deux ou trois bureaux et je tombe sur une dame qui me dit : “Ah, la plainte a été classée pour insuffisance de faute caractérisée. Pas assez d’éléments.”

Ça faisait trois mois que je ne dormais pas, je lui dis qu’ils auraient pu m’appeler. “Non, on n’appelle que les plaignants.” Voilà.

Mais j’ai arrêté net la permanence de soins. J’avais quelques gardes prévues, j’y suis allée avec la trouille au ventre. C’était des vendredi soirs, donc beaucoup plus calmes et beaucoup plus courtes. Mais c’est clair que pour des choses toutes bêtes, j’ai posé 200 000 questions de plus. Clairement. Et après je n’en ai plus jamais fait.

Et depuis, j’y pense tout le temps. Quand je vois un patient, je me demande si je ne fais pas une connerie, s’il ne va pas porter plainte lundi prochain… Ça a remis en cause des choses profondes dans mon exercice, au quotidien.

J’ai fini par trouver du soutien chez des seniors aux urgences où j’avais travaillé. Ils m’ont soutenu, m’ont assuré que je ne risquais rien… Mais au niveau institutionnel, je me suis retournée, et j’étais toute seule.

J’étais plus perturbée par le fait d’être mise en cause alors que je faisais mon boulot, que par la possibilité d’une sanction. Une sanction, ça aurait été une amende, de l’argent. Je ne serais pas allée en prison, mon assurance aurait payé. C’est vraiment le fait d’être mise en cause. Cette humiliation d’essayer de faire son travail, de le faire correctement et qu’on vous dise qu’il a été mal fait. Ce qui est difficile, c’est que tout le monde me disait que je ne risquais rien, que ce n’était pas grave. Mais pour moi oui ! J’avais besoin d’en parler.

Reprendre la PDS, pour l’instant, c’est niet. Dans la société actuelle, c’est “ce n’est pas de ma faute, c’est celle du médecin.” Moi j’en ai marre de ça. C’est trop compliqué. Je ne vais pas chercher le bâton pour me faire battre.”

 

* Le nom a été modifié.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier