Le Dr Dominique-Michel Courtois président de l’Association d’aide aux victimes d’accidents corporels et expert santé sur RTL, et son fils Philippe Courtois, avocat spécialisé en droit de la santé, viennent de publier Le livre noir de la médecine aux éditions Albin Michel. Un ouvrage dans lequel tout le monde en prend pour son grade, des médecins aux organismes de contrôle en passant par l’Etat, l’Ordre ou les labos. Le Dr Courtois revient sur ce livre et nous explique pourquoi il considère que nous assistons aujourd’hui au “suicide de la médecine”.

 

Egora.fr : Vous publiez Le livre noir de la médecine avec en sous-titre “Patient aujourd’hui, victime demain”, n’êtes-vous pas un peu alarmiste ?

Dr Dominique-Michel Courtois : 30 à 40 000 décès par an dus à des actes médicaux, soit 10 fois plus que les accidents de la circulation, je trouve tout de même que cela pose problème. Et si on prend des mesures coercitives pour les accidents de la route, ça n’est pas le cas pour les accidents médicaux, bien que cela soit moins vrai pour les infections nosocomiales. Dans ces 40 000 décès, il y a 10 000 infections nosocomiales et ce chiffre est en baisse. Mais pour le reste, qu’il n’y ait pas de déclaration obligatoire comme aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Allemagne, cela me dérange.

Il y a d’autres éléments qui me gènent également, notamment la toute-puissance des laboratoires pharmaceutiques qui ne fait que s’accroître, l’absence totale de rôle de contrôle des différents organismes qui sont prévus pour cela, la mauvaise gestion gouvernementale de la santé et aussi l’attitude des médecins et des patients eux-mêmes. On le dit maintenant, la France n’a plus la meilleure médecine du monde alors que c’était encore le cas il y a quelques années.

Médecins, Ordre, organismes de contrôle, Etat, labos… Dans votre livre tout le monde en prend pour son grade. Qu’est-ce qui fait que notre médecine, qui était la meilleure, ne l’est plus ?

Tout est parti à la dérive. Prenons un exemple concret sur les organismes de contrôle et notamment sur l’AFSSAPS qui est devenue l’ANSM. On a vu le cas du Mediator où il y a eu une défaillance totale des organismes de contrôle. Il y a aussi eu le scandale des prothèses mammaires PIP qui a concerné près de 30 000 personnes en France. On a alors appris que la Food and Drug Administration (FDA) américaine avait traversé l’Atlantique pour contrôler les prothèses mammaires PIP qui étaient fabriquées à la Seyne-sur-Mer. Après les avoir vues et étudiées, la FDA a dit que jamais elles n’entreraient sur le territoire américain. En France, l’AFSSAPS de l’époque n’est même pas descendue à la Seyne-sur-Mer pour contrôler. Il y a peu de temps il y a aussi eu l’affaire des essais cliniques de Rennes, dont je m’occupe. On a appris que l’ANSM a nommé 14 experts pour une enquête. Sur ces 14 experts, il y en a 8 qui sont en lien plus ou moins proche, soit avec l’ANSM, soit avec des laboratoires. Jusqu’à ce jour, on peut affirmer que nous n’avons aucun organisme de contrôle compétent et indépendant en France.

Comment améliorer la situation ?

A l’époque du Mediator, j’avais dit à Xavier Bertrand qu’il fallait arrêter avec l’AFSSAPS et repartir sur un modèle à l’américaine avec un organisme de contrôle complétement indépendant. Avant, l’AFSSAPS était financée directement par les laboratoires pour 81% de son fonctionnement. Maintenant avec l’ANSM, ça n’est plus direct mais c’est toutes les redevances payées par les laboratoires pour l’autorisation de mise sur le marché des médicaments qui continuent à abonder pour son financement. Tant que l’on n’aura pas un organisme totalement indépendant avec des décisions respectées et qui ne peuvent pas être contredites, on aura des scandales sanitaires qui vont continuer indéfiniment.

Comment financer l’ANSM par exemple ?

L’Etat pourrait très bien financer cet organisme. Ou alors il faut faire comme aux Etats-Unis et trouver d’autres moyens de financement pour qu’il n’y ait pas ce lien évident et secret avec les laboratoires et leurs médecins experts.

En ce qui concerne les médecins, vous êtes également très critique. Vous les accusez d’être champions de la prescription, à l’origine de la résistance des bactéries…

En ce qui concerne par exemple les prescriptions de médicaments, en France, 90% des consultations se terminent par une ordonnance. Pourquoi ce taux est de 70% en Allemagne et de 43% aux Pays-Bas ? Il semblerait qu’en France, le fait de ne pas avoir de prescription médicale à la fin d’une consultation équivaudrait pour le patient à une mauvaise écoute et une mauvaise prise en compte de sa maladie.

Est-ce que ça ne serait pas plutôt le patient qu’il faudrait éduquer ?

Effectivement il faut éduquer les patients. Mais, quand il y a des patients qui vont chez leur médecin pour demander un arrêt de travail et que le médecin leur dit “je vous mets combien, 8 jours ? 15 jours ?”, ça n’est pas possible. J’ai été chirurgien maxillo-facial, j’arrêtais les patients 8 jours. Quand je refusais aux patients des prolongations parce que j’estimais qu’ils n’en avaient pas besoin, ils me répondaient, “j’en ai rien à faire, je vais voir mon médecin traitant et il me prescrira ce que je veux”.

Pourquoi les médecins prescrivent-il des médicaments hors AMM ? Uniquement pour qu’ils soient remboursés par la sécurité sociale au dos du contribuable français. On pourrait citer le Médiator, Diane 35… On sait qu’ils étaient détournés aux frais de la sécurité sociale.

Autre exemple, le problème du numerus clausus. Pendant 25 ans, avant les années 2000, on a sans cesse baissé le numerus clausus. Dans les années 2000, on s’est aperçu qu’on allait avoir des déserts médicaux. On a essayé de faire marche arrière mais c’était trop tard. D’autres pays comme l’Allemagne sont plus intelligents. L’Allemagne fixe un numerus clausus supérieur à ses besoins.

Dans un hôpital de la région parisienne il y a peu de temps, 8 internes en médecine ont été mis à pied manu militari. Sur ces 8 internes, quatre étaient originaires de Roumanie et faisaient leur premier stage en France. Les quatre autres étaient des Français qui étaient allés faire leurs études en Roumanie. Aucun n’avait les compétences requises. Quand je vois cela, je me dis que la médecine ne va pas bien.

Quand vous reprochez aux médecins d’avoir une conscience professionnelle et une éthique qui se perdent, qu’entendez-vous par là ?

Je pense qu’avant, le médecin était respecté. Je me souviens dans ma jeunesse, dans les petites villes, il y avait le curé, le médecin, le pharmacien… C’étaient des personnes importantes. Maintenant il y a des études de médecine qui sont très longues, souvent plus de 10 ans, qui sont difficiles et quand les médecins s’installent, ils essaient de retrouver une certaine rentabilité au vu des études qu’ils ont eu à suivre, et je le comprends d’ailleurs. Quand on voit le prix de la consultation bloqué depuis X années et qui est sans commune mesure avec le prix de l’heure d’un plombier ou d’un mécanicien, je comprends qu’il faille rentabiliser. Mais avant, les consultations duraient entre 45 minutes et une heure… Comme le disait le Pr Porte, la consultation était “un colloque singulier qui se passait dans l’intimité du cabinet médical et qui était la rencontre de la confiance du patient avec le conscience du médecin”. On prenait son temps. Le patient n’était pas seulement un porteur de symptômes d’une maladie. On le remettait dans un ensemble de préoccupations et on le reconsidérait, à la fois sur le plan organique et psychique. On discutait avec le patient. Outre sa maladie, il y avait tout un environnement social et familial qui rentrait dans la thérapeutique. Je crois que cela, malheureusement, on l’a un peu perdu.

De plus en plus de jeunes médecins, contrairement à leurs aînés qui travaillaient trop décident de réduire leur nombre d’heures pour travailler mieux. N’avez-vous pas le sentiment de trop généraliser avec ce propos ?

Peut-être, mais ce qu’il faut voir aussi, et c’est une très bonne chose, c’est que la profession s’est féminisée. Les femmes veulent une vie de famille, des enfants et elles ne veulent pas les plannings journaliers qu’avaient les anciens. Je trouve que c’est parfait. Il faut vivre correctement et profiter de la vie lorsque l’on est médecin. Là où j’en veux au gouvernement, c’est qu’il aurait fallu prévoir les conséquences de ces évolutions. J’habite Bordeaux et je constate que dans les hôpitaux périphériques il y a une part non négligeable de médecins étrangers contre lesquels je n’ai rien dans le principe mais qui ont fait des études dont on ne sait pas toujours si elles sont équivalentes avec la France. Souvent ils ne maîtrisent pas la langue. On a vu récemment dans un hôpital la direction qui a embauché un chirurgien étranger et sa femme uniquement pour faire l’interprète. Ça m’inquiète un peu. Lorsqu’il faut faire l’interrogatoire d’un patient et que le médecin ne comprend pas ce que dit son malade, cela pose un problème.

Je m’occupe de l’affaire de la maternité d’Orthez où il s’agit d’une anesthésiste venant de Belgique qui avait déjà eu des problèmes, à plusieurs reprises, pour une addiction à l’alcool et qui avait été suspendue pour cela. En France elle a été responsable d’avoir mal intubée une patiente qui est décédée. Il y a 20 ans, il n’y avait pas ce genre de problème. Si l’on accepte tous les médecins de l’Union européenne il faut s’entourer de garde-fous. En ce qui concerne cette anesthésiste, l’Ordre des médecins nous a rétorqués qu’elle avait son diplôme et que ce qu’elle avait fait avant ne les intéressaient pas.

En ce qui concerne les erreurs médicales, vous dites que les médecins se protègent en ne dévoilant pas toutes les informations dont ils disposent…

Je fais souvent des expertises lors desquelles, bien entendu, je suis toujours du côté des victimes. Au moment de l’expertise, que cela soit une expertise diligentée par une commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) ou que cela soit dans le cadre judicaire, il n’est pas rare de voir apparaître deux dossiers. Il y a le dossier de la victime ou de la famille et celui transmis par l’hôpital. Ce dernier est plus complet, il comporte des annotations. Cela veut bien dire qu’il y a eu un dossier qui a été modifié après la survenue de l’erreur médicale.

Autre exemple. Un professeur d’un CHU près de chez moi, dans ses cours aux étudiants, leur explique qu’il ne faut jamais reconnaître une erreur médicale et leur indique comment réaliser un dossier médical qui résistera éventuellement à une recherche d’erreur médicale.

Dans le livre je cite une enquête de Medscape qui nous informe que sur 21 500 praticiens français qui ont répondu à une enquête, 43% admettent ne pas toujours dire la vérité à leur patients, alors que ce taux n’est que de 10% dans les pays anglo-saxons. Plus grave encore, en cas d’erreur médicale, 16% des médecins reconnaissent qu’ils cacheraient la vérité au patient même dans le cas où cette erreur nuirait au malade. Si ces chiffres sont exacts, ils me laissent perplexes.

Pourquoi les médecins ont-ils cette attitude ? C’est très simple, c’est parce que derrière, il a des compagnies d’assurance. Si le médecin est de bonne foi, qu’il reconnaît l’erreur et qu’il souhaite faire une déclaration pour reconnaître le préjudice à la compagnie d’assurance, cette dernière va d’abord traîner pendant des mois et des mois, puis elle va diligenter son propre médecin expert qui dans 99% va dire qu’il n’y a pas de faute. L’assurance va tout faire pour essayer de démontrer qu’il n’y a pas d’erreur. Si l’erreur est reconnue et que l’assurance doit indemniser, l’année suivant la prime d’assurance va flamber. Voilà pourquoi le reflexe du médecin va être d’essayer de cacher l’erreur médicale le plus possible.

D’ailleurs, comme nous venons de le voir dans l’actualité, il se passe la même chose avec un patient qui est décédé au bloc d’une intervention banale de la prostate. Manifestement, tout avait été caché à la famille.

Il y a aussi des milliers d’interventions médicales qui se passent très bien en France. La plupart des patients sont très bien pris en charge. Ne risquez-vous pas de sur-inquiéter les patients qui liront votre livre ?

J’indique dans le livre qu’il y a des centaines de millions d’actes médicaux en France qui se passent très bien. Dans certains domaines comme ceux de la chirurgie de la colonne vertébrale ou ceux de la pose de stent, nos chirurgiens sont les meilleurs. J’estime que ce livre tire la sonnette d’alarme mais je trouve que tout n’est pas noir. Je suis très content d’être médecin français. Mais il faut savoir reconnaître là où ça ne va pas. Le gouvernement a entre les mains une partie des solutions qui pourraient consister à assouplir le numerus clausus, être plus ferme avec les médecins étrangers, ou encore revaloriser le prix de l’acte. Vu le cursus médical imposé aux médecins, on leur doit le respect, y compris au niveau de leurs actes médicaux et chirurgicaux.

Ce n’est pas un livre noir mais un livre qui doit nous pousser tous ensemble à faire évoluer notre système pour que notre médecine redevienne la meilleure du monde.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : S.B.