Interne en médecine générale à Brest, Antoine B. s’installera d’ici un an. Mais certainement pas en France. Il ne veut pas exercer dans un pays qui a fait le choix d’une “médecine discount”. Il rêve d’un tarif libre et de la fin du monopole de l’Assurance maladie. Pour réaliser ce rêve, il est prêt à rembourser les 62 000 euros de bourse qu’il a reçus de l’ARS et à s’installer à l’étranger.
Interpellé par le recrutement-canular d’un druide dans le village de La Roche-Derrien, qu’il connaît bien, Antoine B. a adressé une lettre au Maire (voir ci-dessous). Il lui explique pourquoi il ne s’y installera pas, alors qu’il aurait le profil parfait.
Egora : Comment avez-vous appris le recrutement d’un druide dans ce village et quelle a été votre première réaction ?
Antoine B. : J’ai pris connaissance de cette histoire de druide par la presse. Dans un premier temps, je l’ai pris sérieusement. J’y ai cru. Je n’ai pas compris que le druide était un acteur. Le sentiment que j’avais, c’est que le maire avait saisi une opportunité de faire un coup avec une candidature farfelue. Quand j’ai su que c’était un canular, je me suis dit que la morale dans cette histoire, c’est que même les druides ne veulent pas venir à La Roche-Derrien.
J’ai trouvé ce discours dangereux. C’est faire croire à la population qu’un médecin et un druide se valent. Quand j’ai vu que le druide avait rencontré les médecins en place, j’ai compris que c’était un canular. Aucun médecin n’aurait accepté.
Vous avez donc écrit un courrier au maire expliquant pourquoi vous ne voyiez pas d’avenir dans l’exercice libéral en France…
Le problème n’est pas La Roche-Derrien en soi. C’est une commune qui a tous les attraits que peut rechercher un jeune médecin. On est à 15 kms des hôpitaux, on est au bord de la mer, on est sur la RN 12, à mi-chemin entre Brest et Rennes… C’est un endroit très chouette, très agréable à vivre. Quand on parle des déserts médicaux, les gens disent que les médecins ne veulent pas s’installer dans les campagnes, mais c’est faux ! Ils ont très envie. Mais c’est l’exercice libéral qui freine.
A tel point, qu’en tant qu’interne vous avez signé un Contrat d’engagement de service public (CESP), qui vous donne droit à des aides en échange d’un engagement à l’installation dans la région. Mais malgré cela, vous envisagez une expatriation ?
C’est quelque chose de dingue. Je n’aurais jamais cru il y a quelques années, imaginer avoir cette idée. Je n’envisage pas de rester travailler en France dans ces conditions. J’ai regardé, j’ai prospecté, il y a plein de pays où aller. Des pays qui offrent des conditions de travail différentes. Je vais même partir en vacances dans les pays où je pourrais peut-être m’installer. J’ai pris contact avec les associations locales de médecins. J’y suis accueilli à bras ouverts. Et de ce que j’ai compris, je ne suis pas le premier Français à avoir cette démarche auprès d’elles.
Combien devrez-vous rembourser ?
Autour de 62 000 euros. Je touche 1 105 euros par mois. Je dois rembourser cette somme, plus une pénalité de 200 euros par mois. Je me suis engagé sur 4 ans. Ce n’est pas dur à rembourser, je vais prendre un emprunt. Le fait d’avoir signé ce contrat n’est pas du tout un frein pour partir. A chaque fois qu’on parle des déserts médicaux, l’ARS se glorifie en disant qu’ils ont signé des contrats avec des jeunes qui vont s’installer… Moi, quand je suis allé à la dernière réunion, en mai 2014, on était 22 à avoir signé le contrat pour toute la Bretagne ! Ce n’est pas à ce rythme-là qu’on va régler le problème de la démographie. Non seulement on n’est pas nombreux, mais en plus on peut partir assez facilement. Je suis en dernière année d’internat. Il me reste un an avant mon installation. Peut-être que les choses peuvent changer, mais je n’y crois absolument pas.
A 23 euros la consultation, vous dites que la France a fait le choix d’une médecine “discount” ?
Clairement. 23 euros la consultation, c’est le tarif le plus bas en Europe après Chypre. Et c’est même le tarif le plus bas au monde si on le rapporte au PIB par habitant. Le véritable scandale, c’est que les Français payent une Sécurité sociale extrêmement chère, et on n’a que 23 euros de remboursés pour payer une consultation chez un médecin généraliste ! Les gens ne se rendent pas compte de ça. Si on fait le tour en Europe de comment travaillent les médecins généralistes, ils ont des échographes, ils ont des ECG, ils ont parfois même des petits laboratoires pour faire des analyses de sang rapides, ils ont parfois même une infirmière ou une secrétaire. Le médecin ne fait qu’une seule chose, il ausculte le patient qui est prêt. Et ça tourne, et il n’y a aucun problème. Mais la consultation est à 90 euros.
La France a fait le choix d’une médecine discount. On ne peut pas demander de la qualité à 23 euros la consultation. Vous ne pouvez pas demander la prestation qu’on a en Suisse ou en Allemagne pour 23 euros. C’et 70 euros en Suisse, et c’est 90 euros en Allemagne. La France a fait le choix du discount, il faut que les Français l’acceptent. Mais vous ne pourrez pas avoir une Rolls Royce pour le prix d’une Twingo.
Le premier problème, c’est le monopole de l’Assurance maladie. Il faut le remettre en cause. Il faut permettre aux gens de s’assurer librement où ils veulent. Une assurance santé doit être obligatoire en France, mais libre à chacun de choisir sa sécurité sociale. A partir de ce moment-là, il n’y aurait plus de convention nationale, mais des conventions par caisse.
Ce système remettrait effectivement en cause notre modèle social. Est-ce vraiment souhaitable ?
Ca remettrait de la libre concurrence. Ca créerait une émulsion. Alors, on se retrouverait avec des médecins qui pourraient moduler leurs tarifs. A Paris, pour s’installer avec un loyer professionnel dans le 16ème à 5 000 euros l’appartement, il faut générer 25% de travail en plus qu’à La Roche-Derrien. Le ratio est simple. Et ce n’est que pour payer le loyer professionnel. C’est pour cela qu’à Paris, vous ne trouvez plus de consultations à 23 euros. C’est pour la même raison que 40% des généralistes exercent une autre activité comme de l’acupuncture, de l’ostéopathie, des petites choses en plus qui sont hors nomenclature et qui permettent d’augmenter leurs honoraires. Ça paraît illogique que la consultation soit à 23 euros à Paris et à La Roche-Derrien.
La loi de santé a marqué un tournant dans votre réflexion d’exercer à l’étranger ?
Oui, clairement. La mainmise totale des ARS sur le système de santé, l’étatisation de la santé, les réseaux de soins que les mutuelles mettent en placeau détriment des médecins, le tiers payant… Tout ça contribue à la fonctionnarisation du médecin, à une dépendance complète du financeur et à une privatisation du système de santé. Les mutuelles sont en train de prendre le pouvoir sur le système de santé. Ecoutez des gens comme Brigitte Dormont. Comment peut-on aller à la radio dire que la mort de la médecine libérale est une bonne chose ? Pour elle, c’est une évidence que les médecins doivent être des fonctionnaires. Mais non, ce n’est pas le modèle souhaitable.
On pourrait fonctionnariser les médecins. C’est un choix de société. Les Français doivent décider quel modèle ils souhaitent pour la médecine en France. Soit on continue sur un modèle libéral, et là il faut se donner les moyens, parce les médecins sont en train de quitter l’exercice libéral. Soit on choisit de fonctionnariser les médecins. Pourquoi pas ? C’est un choix. Mais qui dit fonctionnariser les médecins dit 35 heures, salaire garanti à niveau d’études… Ça va coûter extrêmement cher.
Qu’attendez-vous de cette lettre ?
Je voudrais simplement que le Maire prenne conscience des raisons pour lesquelles personne ne répond à son annonce. Et je la connais bien son annonce, je l’ai vue défiler auprès de l’association des internes de Brest, puisque c’est moi qui m’en occupe. Les caméras sont braquées sur lui en ce moment, qu’il en profite pour dire la vérité. Qu’il en profite pour dire pourquoi les jeunes ne veulent pas de cet exercice libéral. Il faut que les gens qui prennent le temps de comprendre puissent avoir tous les arguments.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier