Ancien remplaçant en médecine générale, metteur en scène du film Hippocrate, Thomas Lilti évoque dans Médecin de campagne, en salle mercredi avec François Cluzet et Marianne Denicourt, un modèle qui s’effondre. Mais doit se reconstruire. Interview.

 

Egora.fr : Votre personnage, incarné par François Cluzet, est un généraliste à l’ancienne, installé en solo en campagne, pas informatisé, qui ne compte pas son temps nuit et jour au détriment de sa vie personnelle, très inséré dans la vie du village, très aimé, qui tombe gravement malade. Et ce coup d’arrêt l’oblige à reconsidérer ce mode de vie. Qu’avez-voulu dire à travers ce personnage ?

Thomas Lilti : Cette image figure l’effondrement d’une médecine à l’ancienne dans l’impasse. Cette médecine solitaire, sacrificielle, sacerdotale, où le médecin abandonne sa vie sentimentale et familiale représente le modèle des années 70-80, qui est en train de disparaître. Mon médecin est altruiste, plein de bonne volonté, mais il s’effondre à vouloir rester arcbouté sur cette façon de voir les choses. Cette médecine appartient au passé. En revanche, cette médecine de proximité, d’empathie, où le médecin est plus qu’un médecin, mais un conseiller, un confident, un ami, quelqu’un qui crée du lien social dans la communauté, cette médecine-là n’est pas morte. Elle est indispensable, tout le monde en a besoin et tout le monde doit pouvoir y a voir accès, surtout à la campagne. Le médecin de famille ne doit pas disparaître, c’est cette façon de la pratiquer qui appartient déjà au passé.

Comment expliquer alors que les jeunes ne soient plus attirés par la médecine générale ?

Ce qui pousse les lycéens, à s’engager vers les études de médecine après le bac, je pense que ce sont ces raisons-là, l’empathie, la vocation, l’envie de faire le bien autour d’eux, comme un artisanat en quelque sorte. 65 % des étudiants en médecine sont des femmes, qui ont embrassé les études pour ses raisons-là. Elles ont cet altruisme. Après, ce modèle de médecine sacerdotale qui exige tous ces sacrifices, personne n’en veut. Aucun jeune médecin de 30 ans ne veut faire de la médecine 24 h sur 24. Donc, il faut trouver une solution pour que cette médecine de proximité, de grande qualité humaine, soit toujours possible et praticable. Comment redonner aux jeunes médecins l’envie de s’installer, non pas en les obligeant ou en leur donnant de l’argent. Comment rendre compatible cette pratique avec une vie de famille équilibrée, rompre la solitude ?

La solution des politiques, ce sont les maisons de santé. Vous les brocardez pas mal dans votre film…

Attention. Les maisons de santé sont portées par des élus, ils ont bien raison de promettre un médecin à leurs administrés, c’est important. Mais en général, ces projets-là ne marchent pas, les médecins ne veulent pas s’y installer. Les maisons de santé marchent lorsqu’elles sont portées par un collectif de soignants, que les médecins sont demandeurs. Mais dans les faits, il y a beaucoup trop de maisons qui restent vides. Donc, cela ne marche pas tout seul, il faut combiner cette idée-là avec autre chose.

Je pense que nous souffrons d’un très gros problème, que j’ai déjà dénoncé dans mon film Hippocrate : la formation des jeunes médecins. La réforme des études médicales, c’est le seul secteur dans lequel je serais prêt à m’investir et à porter un projet. Le concours de fin de première année, uniquement basé sur les matières scientifiques, est absolument aberrant ! On sélectionne les premiers de la classe et les matières scientifiques excluent tout un tas de jeunes moins doués pour les sciences. Ensuite, les études sont totalement hospitalo-centrées, on forme les étudiants à devenir des médecins hospitaliers. Ceux qui avaient l’envie, l’ambition de pratiquer cette fameuse médecine dont on parle, on ne les prépare pas à devenir médecin de famille. Et pourtant, je suis certain qu’ils sont nombreux à avoir ce rêve en première année. On ne leur donne qu’un modèle hospitalier. Il faut de vrais universitaires dans les maisons de santé, qui seraient un lieu de stages. C’est un début de solution. Il faut réussir à inverser la vapeur.

Ce à quoi je crois beaucoup, c’est l’atavisme pour un lieu. On fait son stage dans un endroit où on a des repères. Il faut sortir les jeunes médecins de l’hôpital.

Dans votre film, on voit une équipe pluridisciplinaire s’organiser autour d’un patient qui veut finir ses jours à domicile, de manière souple, sous la houlette du médecin généraliste. C’est aussi un modèle que vous défendez ?

Je défends les solutions locales. Un médecin peut organiser autour de lui un système viable, qui va fonctionner à toute petite échelle. Je n’aime pas les solutions centralisatrices. Les gens qui sont attirés par la campagne, sont attirés par les choses à petite échelle. En libéral, les médecins se plaignent tous du poids énorme de la bureaucratie, de la paperasse. J’ai fait un film où le médecin est tout seul lorsqu’il commence, mais il se finit à deux. Par-là, j’ai voulu montrer que c’est possible, qu’on peut avoir envie d’une médecine de campagne et qu’on peut y arriver. Et puis que la médecine, c’est tout de même mieux quand on est plusieurs que lorsqu’on est tout seul. Ce qu’il y a de plus difficile, c’est la prise de décision solitaire. C’est ce qui m’a fait le plus souffrir et m’a presque rendu impossible ce métier. Etre seul pour prendre des décisions immenses en terme de responsabilité et de causalité, et de ne pas pouvoir se confier.

Donc pour vous, la médecine générale est gravement atteinte, mais elle doit vivre. Votre film est un plaidoyer.

Oui, tout le monde la demande, tout le monde en a besoin. Savez-vous que 80 % des gens meurent à l’hôpital ? Or, personne ne veut finir comme cela. Ce paradoxe est incroyable. S’il n’y a plus de médecins libéraux, comment faire pour les maintenir à domicile alors que les familles ont éclaté ? Il n’y a plus de tribu autour d’une personne malade ou âgée. Il y a aussi l’idée de déléguer des tâches à d’autres professionnels de santé, c’est à creuser.

Je veux faire des films qui correspondent aux problématiques d’aujourd’hui, où tout le monde peut se reconnaître. Et je veux aussi divertir. J’ai fait un film optimiste, je l’assume. Il n’est pas nostalgique, bien au contraire, il regarde l’avenir.

 

Un film sur une mue obligatoire

C’est un médecin de campagne de la cinquantaine (François Cluzet) débordé, seul, un peu macho, pas informatisé, sans vie de famille visible, adoré de ses patients et très investi dans le village. S’opposant pied à pied au projet (immobilier) du maire du village, qui voit s’avancer la désertification médicale et veut implanter une maison médicale regroupant les libéraux de santé pour répondre aux inquiétudes de ses électeurs, il est un pilier. Une figure, quoi.

Mais un beau jour, le modèle se fend car le docteur tombe malade, gravement. Obligé par les médecins hospitaliers qui le suivent de lever le pied, il accepte contre son gré qu’une jeune généraliste le seconde. Ancienne infirmière hospitalière diplômée en médecine sur le tard, la novice (Marianne Denicourt), sera cornaquée à la dure par le généraliste. Confrontation difficile des expériences, refus de transmettre “ce qui ne s’apprend pas”, machisme sous-jacent… La “stagiaire” devra jouer de tous ses atouts : opiniâtreté, compétence et finesse psychologique, pour s’imposer.

Film “feel good”, Médecin de campagne est une ode à cette médecine de proximité, empathique et altruiste. Alors que les campagnes se désertifient, il laisse le spectateur ému et le sourire aux lèvres.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

 

Médecin de campagne de Thomas Lilti, avec François Cluzet et Marianne Denicourt. En salles demain, mercredi 23 mars.