Les allergologues poussent un cri d’alarme concernant le devenir de leur spécialité en France. En effet, alors que les allergies connaissent une augmentation exponentielle ces dernières années, le nombre de praticiens ne cesse de diminuer, et leur formation est remise en question dans le projet de réforme des études médicales. Ils demandent la mise en place d’un DES d’allergologie.

 

Le nombre des personnes allergiques est en augmentation constante en France, alors que dans le même temps, les allergologues sont de moins en moins nombreux et craigent pour leur discipline. Actuellement, un Français sur 3 souffre d’une ou de plusieurs allergies. En quarante ans, la proportion de personnes allergiques a été multipliée par 5, touchant aujourd’hui près de 18 millions de Français. Et selon l’Organisation mondiale de la santé, la moitié de la population pourrait en souffrir d’ici 2050. On assiste aussi à une augmentation importante des allergies croisées respiratoires et alimentaires. La modification des modes de vie et l’augmentation de la pollution expliquent en partie cette évolution. Fin 2015, la COP21 a permis une prise de conscience des effets négatifs du changement climatique sur la santé. Les polluants et le réchauffement climatique ont un impact majeur sur les allergies, qui “deviennent plus graves et plus complexes”, affirment les allergologues.

 

“Les réformes pourraient engendrer la disparition des allergologues”

Il est actuellement bien acquis que l’ozone et les particules fines entraînent un stress oxydant, un remodelage et une inflammation des voies aériennes. Ces polluants mettent aussi en oeuvre des mécanismes immunologiques de facilitation de la sensibilisation allergique. L’ensemble de ces éléments conduit à rendre les bronches plus fragiles à la pollution et donc plus sensibles aux pollens. En outre, le changement climatique, notamment le réchauffement et l’humidité de l’air, favorise la production de pollens par les plantes, ce qui se traduit par un allongement de la durée de la saison pollinique et une extension de la zone géographique de développement de certaines plantes particulièrement allergisantes.

Le Dr Isabelle Bossé, présidente du Syndicat français des allergologues (Syfal), affirmait à l’occasion d’une conférence de presse sur les enjeux de l’allergie : “Il serait totalement paradoxal qu’au lendemain de la COP21 et de la mobilisation qu’elle a engendrée, la santé environnementale ne constitue pas une priorité. Les réformes en cours des études médicales pourraient engendrer la disparition des médecins allergologues et ainsi mettre en danger les patients allergiques, chaque jour plus nombreux. Nous souhaitons que le gouvernement intervienne pour renforcer l’allergologie et permettre ainsi une prise en charge de qualité des patients allergiques”.

 

1 % d’entre eux a moins de 35 ans

Il existe actuellement 1 200 allergologues en France, ce qui représente 1 praticien pour 15 000 patients allergiques. Le Syfal estime que c’est bien trop peu : “Les besoins actuels nécessiteraient qu’entre 80 et 90 allergologues soient formés chaque année, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui”. Et leur inquiétude croît avec les perspectives d’avenir. Tout d’abord, du fait de l’évolution de la démographie médicale, on estime qu’en 2020 il ne restera plus que 1 000 allergologues, et seulement 5 % d’entre eux auront moins de 44 ans. Actuellement, l’âge moyen des allergologues se situe autour de 57 ans, et seul 1 % d’entre eux a moins de 35 ans.

À cela s’ajoute le risque de disparition des formations actuelles menant à l’allergologie en raison de la réforme du troisième cycle des études médicales. Cette formation était jusqu’à présent constituée par un Desc (diplôme d’études spécialisées complémentaires) en trois ans pour les médecins spécialistes, ou la capacité en deux ans pour les médecins généralistes.

Pour attirer de nouvelles générations d’allergologues, le Syfal demandait depuis longtemps que l’allergologie devienne une spécialité à part entière grâce à la mise en place d’un DES (diplôme d’études spécialisées) d’allergologie, comme c’est d’ailleurs le cas aux États-Unis et dans quinze pays européens. Les allergologues estiment que ce cursus transversal est le seul capable d’assurer une formation adéquate en allergologie alors que la prise en charge des patients devient de plus en plus compliquée. Il s’agit aussi de reconnaître l’allergologie comme une spécialité à part entière et de mettre à disposition des moyens pour la recherche, qui est actuellement peu développée dans ce domaine.

Mais alors que cette formation diplômante était initialement prévue dans la réforme du troisième cycle des études médicales, un décret paru en octobre 2015 a douché les espoirs des allergologues. “On s’attendait vraiment à ce que l’allergologie devienne une spécialité. Depuis que la réforme a été mise en place, il y a un an et demi, la Fédération française d’allergologie a été en lien étroit avec les deux commissions qui s’en occupaient (celles des Prs Couraud et Pruvot). On avait déposé une demande de DES et une maquette qui avaient été discutées et au final acceptées. On avait donc un accord verbal et quasi-officiel des deux commissions au mois de juin”, explique le Dr Isabelle Boss.

 

Des lobbys antiallergologie

Il semble qu’un certain nombre de spécialistes hospitalo-universitaires d’autres spécialités, pneumologues, dermatologues, pédiatres, hépato-gastroentérologues, néphrologues, rhumatologues et internistes, s’y soient opposés. Résultat, ce DES n’est plus à l’ordre du jour.

Il est prévu que cette spécialisation soit assurée par un diplôme d’université (DU) qui ne donne pas droit à qualification, contrairement au diplôme d’études spécialisées (DES), et qui est de durée courte (1 an) contrairement au DES de quatre ans. “Non seulement les réformes en cours n’ont pas pour objet d’augmenter le nombre de praticiens spécialisés en allergologie mais elles auront pour conséquence de le diminuer”, affirment les allergologues du Syfal. “Il est donc urgent que la commission en charge de la réforme du troisième cycle des études médicales [Cnemmop] prenne en considération cette “maladie de civilisation” qu’est l’allergie, conclut le Syfal. Sans cette disposition, la spécialité d’allergologie disparaîtra dans le cadre des études de médecine, et les allergologues n’existeront plus d’ici quinze ans.”


A savoir

– Une centaine de personnes meurt chaque année des suites d’une allergie alimentaire ou d’une allergie aux venins.
– Les allergies respiratoires sont les plus fréquentes, touchant 1 personne sur 4 en France.
– Les allergies représentent un coût important pour la collectivité, estimé à 1,6 milliard d’euros pour la seule rhinite allergique, dont 75 % de coûts indirects (absentéisme scolaire ou professionnel, baisse de productivité, baisse de la qualité de vie…).
– L’asthme représenterait un coût de 1,5 milliard d’euros (dont 35 % de coûts indirects).



Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Marielle Ammouche