A l’heure où les pouvoirs publics peinent à trouver une réponse aux mouvements anti-vaccins qui gagnent du terrain, une voix se fait entendre et pointe la mauvaise gestion de la campagne de vaccination contre l’hépatite B de 1994. “Un scandale dont le vaccin ne s’est pas remis”, assure même le Pr Bernard Bégaud. Pour ce pharmacologue et directeur de recherche à l’Inserm il est urgent de reconnaître les erreurs qui ont été commises pour désamorcer les craintes.
 

 

Egora.fr : Vous êtes très critique sur la campagne de vaccination contre l’hépatite B. Que s’est-il passé ?

Pr Bernard Bégaud : La vaccination contre l’hépatite B est très utile, et la campagne de 1994 a été totalement ratée. Ce n’est pas acceptable. Et quand on comprend pourquoi ça a été raté, ça touche au scandale. On a abandonné une campagne justifiée aux industriels, avec des messages de santé publique complètement erronés. Il y avait des messages du type : “L’hépatite B tue en France en un jour plus que le Sida en un an” ou “la maladie se transmet par la salive”, alors qu’il n’y a aucun cas documenté de transmission salivaire… Des messages faux sur le nombre de morts par cancer du foie attribuable au virus B. Il y a eu une communication sur des taux 100 fois plus élevés que la réalité.

La cible était l’enfant, les 10-11 ans et puis les nourrissons, les 0-30 mois. Et bien sûr les adultes à risques, comme c’était déjà le cas. Ca faisait 700 000 par cohorte d’âge. Probablement que du point de vue des ventes, ce n’était pas suffisant. Il y a eu des messages à destination des adultes, pour les faire revacciner. Il y a des gens qui ont été vaccinés deux fois, trois fois… On leur disait qu’après cinq ans, il fallait refaire un vaccin. Dans le même temps, on leur disait de vacciner les nourrissons parce que le vaccin protégeait à vie ! Donc les gens ont très vite senti qu’on leur racontait n’importe quoi. Il y a eu un vrai flou. La population, et les médecins en premier, s’est mise à douter. Et ça a été la même chose pour H1N1.

Vous estimez que ce flou a ouvert la porte aux accusations des anti-vaccins ?

Quand on veut défendre une bonne cause avec des mauvais arguments, on la dessert. On en a tellement fait que tout est devenu suspect. Je n’aime pas utiliser ce terme, mais dans le cas de l’hépatite B, je me permets de parler de scandale. Pourquoi les pouvoirs publics ont à ce point laissé la main aux industriels ? Ça reste un grand mystère. Il n’y a pas eu de suivi, ou de système de surveillance. Les messages ont été relayés par des gens pas très indépendants. Et ça a dérapé totalement.

A tel point qu’en pleine campagne, la Direction générale de la santé a dû expliquer qu’un adulte immunocompétent n’avait pas besoin d’être vacciné plusieurs fois. Alors qu’on était en train de le faire massivement. C’est de la folie. On vaccinait des adultes en âge de présenter des signes neurologiques en particulier type sclérose en plaque, même par hasard. Mais si vous tentez le diable 100 000 fois, vous allez trouver des coïncidences, des cas qui se déclarent quelques jours après la vaccination. Et après, vous vous trouvez dans l’impossibilité de dire que ça n’a rien à voir, que c’est le hasard. Et ça a entraîné une crise absolument incroyable et le vaccin ne s’en est pas remis.

Les conséquences de cet épisode se font-elles encore sentir ?

La cible était l’enfant et le nourrisson. Jusqu’en 2000 on n’a pas dépassé 30% de vaccinés. Alors que les Italiens étaient à 80%. C’est un échec retentissant. On a vendu 90 millions de doses, plus par tête d’habitant que dans n’importe quel pays d’Europe, pour arriver à une immunisation des enfants plus faible qu’ailleurs. C’est incroyable. Je ne comprends pas pourquoi on ne réouvre pas ce dossier. Il y a une espèce d’omerta, ça doit gêner des gens.

Je suis persuadé que si l’on veut redonner confiance dans la vaccination, ce qui est une priorité, il ne faut pas avoir peur d’expliquer que l’on s’est trompé et de dire la vérité. Sinon les gens globalisent. Le vaccin est vécu comme quelque chose de dangereux, comme une manipulation, c’est tout juste si on ne pense pas à l’empoisonnement, que les experts sont corrompus… Il faut expliquer ce qu’est la vaccination, qu’il peut y avoir des risques mais que globalement on est hyper gagnant, que des maladies ont disparu grâce à ça. Je crois qu’il est impératif de revenir sur l’hépatite B, pour désamorcer toutes ces craintes.

 

Touraine lance un débat citoyen sur la vaccination

“Si vous ne voulez pas des vaccins, essayez les maladies.” C’est sur ce ton provocateur que l’Académie de médecine a fait part cette semaine de ses inquiétudes concernant la pression grandissante qu’exercent les anti-vaccins.

Alors que Marisol Touraine engagera un grand débat public dès le mois de mars sur la vaccination, l’Académie a déjà recommandé le maintien de l’obligation vaccinale et propose d’établir une liste de vaccinations “exigibles”, révisée périodiquement.

La grande concertation proposée par Marisol Touraine et menée par le professeur d’immunologie pédiatrique Alain Fischer vise à “faire des patients des acteurs à part entière de la politique vaccinale”, à “lever les peurs” pour “mieux les comprendre et mieux y répondre.” La question du maintien ou de l’évolution de l’obligation vaccinale sera au cœur des conclusions qui seront rendues en décembre 2016.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier