Pneumologue à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière, le Pr Bertrand Dautzenberg a présenté lors du 20ème congrès de pneumologie de langue française, des propositions qui décoiffent pour la légalisation du cannabis. Alors que la répression instaurée depuis 1978, s’est soldée par un “échec”, la légalisation apparaît aux yeux de ce spécialiste, comme le bon levier pour réduire la consommation, faire de la prévention et gripper les trafics.
 

 

Egora.fr : Vous venez de soumettre au débat de vos pairs, des propositions de recommandation pour une légalisation du cannabis qui ont fait des remous dans la société civile. Pourquoi ce pavé dans la mare ?

Pr Bertrand Dautzenberg : Si, après 46 ans d’échecs, on veut régler le problème de l’augmentation progressive de la consommation de cannabis en France, il faut changer de politique. On constate que la consommation de cannabis dans notre pays est la première d’Europe, 45 % des jeunes en ont consommé, selon l’Eurobaromètre, alors que dans d’autres pays comme la Hollande où l’usage est légalisé, ils ne sont que 29 %.

On voit aussi que plus les politiques sont répressives, plus il y a consommation : l’échec de la politique 100 % répression instaurée depuis 1978 est patent. On constate par ailleurs, que les jeunes Français consomment de la résine de cannabis avec du tabac, ce qui est le pire mode de consommation, alors qu’en Hollande, on utilise plutôt des feuilles de cannabis. Enfin, dans les pays où on a légalisé, dans certains états américains notamment, c’est du cannabis vaporisé qui est majoritairement utilisé. Le passage du bannissement à l’autorisation avec encadrement législatif, ne s’est pas accompagné d’une augmentation de la consommation. Une politique de dépénalisation n’est pas une politique qui vise à renforcer la consommation, mais vise au contraire à la réduire, à limiter les risques et les trafics et à faire de la prévention dans les écoles et établissements. Cela permettrait également d’améliorer le dialogue entre les adultes, qui pensent que c’est une drogue dure et les jeunes, qui considèrent que c’est un produit banal.

Etes-vous suivi dans ces propositions ?

Dans le sondage Eurobaromètre, la question est posée aux jeunes. 3 % sont pour la liberté et la banalisation, 14 % sont pour la situation actuelle et 83 % veulent une législation encadrée, une sorte de code de la route du cannabis bien fait, avec notification des endroits où l’on achète le produit, de manière sécurisée.

Les pneumologues sont d’accord avec moi à 83 %, les addictologues sont majoritairement pour, sauf quelques-uns. Ils défendent l’idée qu’il faut poursuivre et punir pour que les adolescents récalcitrants deviennent sages. Mais le problème, c’est que cela ne marche pas. Quant aux hommes politiques, ils sont coincés. Ils ne peuvent pas parler du cannabis en public, sauf à être immédiatement poursuivis par les réseaux sociaux dans tous les sens. Il y a une telle pression des deux côtés entre les pour et les contre que finalement la presse et les réseaux sociaux ont réduit les hommes politiques au silence sur le sujet et c’est bien dommage. Il faut au contraire que le débat s’instaure parmi les professionnels de santé et dans la société et j’invite tous les médecins qui vont lire ces lignes, à poser la question aux jeunes et aux adultes qu’ils rencontreront dans les prochains jours, pour voir ce qu’ils pensent de cette proposition. Ils se rendront compte qu’elle est très majoritairement soutenue pour réduire la consommation. J’ai été interviewé par Le Monde, qui a repris des paroles de jeunes lecteurs. Ils sont majoritairement très raisonnables et ils disent que si c’est correctement taxé, si c’est encadré, avec des affiches pointant le risque, ils consommeront plutôt moins.

Lors de sa campagne pour les élections régionales en Ile-de-France, Valérie Pécresse a préconisé le dépistage systématique du cannabis dans les collèges volontaires, ce n’est pas du silence !

La seule parole possible pour le politique, c’est la pénalisation. Il ne peut pas dire autre chose. Le débat inverse ne peut pas être mené. Mais en disant cela, Mme Pécresse se coupe de la jeunesse. Il faut tout de même que les politiques comprennent que pénalisation ne veut pas dire incitation à la consommation, mais réduction des risques et non promotion du cannabis. Depuis que j’ai fait cette proposition, j’ai entendu des libertaires faire la promotion du cannabis, ils le veulent libre partout. Je leur réponds qu’avec ce type d’attitude, ils empêchent que la dépénalisation intervienne un jour. Il faut un encadrement, des règles. C’est la demande majoritaire des jeunes, qu’ils soient ou non consommateurs.

Comment envisageriez-vous cet encadrement ? Sous la forme d’une régie, comme la régie des tabacs ?

On peut imaginer quelque chose comme ça. Il faut aller visiter la quinzaine d’états américains qui l’ont fait, les pays qui l’ont mis en place, chacun de manière différente d’ailleurs et c’est cela qui est intéressant, il y a beaucoup de leçons à prendre. En Californie, par exemple, il faut montrer une carte pour accéder au produit.

Dans un cadre thérapeutique …

Allez ! Le cannabis thérapeutique, cela n’existe pas ! Je ne nie pas qu’il produise un petit effet, mais toute la démarche du cannabis thérapeutique s’inscrit dans une stratégie de libéralisation du cannabis. Personne ne demande un alcool thérapeutique car il est disponible. La demande d’un cannabis thérapeutique est liée à la prohibition qui règne en France.

Il faut que les adultes parlent aux enfants, que les médecins réfléchissent à l’intérêt de ces propositions. On part de tellement loin qu’il faudra un temps de débat, de réflexions, mais tous les médecins peuvent faire le constat que la pénalisation est un échec. Elle conduit à la consommation de produits de mauvaise qualité, à l’absence de prévention, à l’absence de dialogue entre les jeunes et les adultes et à la pérennisation des trafics dans les banlieues qui renforce le marché de la kalachnikov et ouvre également la porte au trafic d’autres substances comme le crack. Une réglementation aurait également un effet bénéfique sur ce plan-là.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne