Fraîchement arrivés sur la petite commune de Frangy, près d’Annecy, les deux nouveaux médecins comptaient sur du renfort pour s’en sortir. Leur idée : un exercice réparti sur deux villes, pour attirer des jeunes recrues. Mais le projet ne passe pas auprès de l’Ordre. Trop coûteux, trop de temps de transport et surtout une impossibilité légale. Abattus, ils ferment leur cabinet, laissant seul le dernier généraliste de la commune. Ils s’en vont ailleurs.
Les docteurs Nusbaum et Peccoux-Levorin pensaient avoir réussi à attirer trois nouveaux médecins sur leur petite commune de Frangy, près d’Annecy. Finalement, c’est eux qui s’en vont, laissant seul le dernier généraliste de cette ville de 2 500 habitants. “Quand on trouve des médecins prêts à s’installer, on vous met des bâtons dans les roues. Ça vous casse l’envie de faire des choses pour améliorer la démographie médicale”, commente avec amertume le Dr Nicolas Nusbaum, 32 ans.
“Il aurait fallu qu’on soit huit médecins”
Pourtant, il y a quatre ans, le maire de la ville avait tout fait pour attirer le généraliste, rejoint par sa consœur deux ans plus tard. Il leur offrait des locaux refaits à neuf, gratuits pendant deux ans, puis à 1000 euros par mois, charges comprises. “Mais pour être au top sur le canton, il aurait fallu qu’on soit huit médecins”, glisse le Dr Nusbaum. Avec sa consœur, ils reçoivent du lundi au vendredi, de 8h 30 à 18h 30, sans rendez-vous, et la surcharge de travail se fait vite sentir.
Il entreprend alors de créer un projet destiné à attirer des jeunes médecins sur la région. “L’idée, c’était de répartir notre activité sur deux sites. Ici, à Frangy et sur un autre site, à Argonay.” Cette ville à une trentaine de kilomètres, en banlieue proche d’Annecy attire davantage les jeunes, avance le médecin. D’autant que l’un des deux généralistes d’Argonay vient de prendre sa retraite et propose aux jeunes de reprendre son cabinet. “Nous aurions été cinq médecins, à cheval sur les deux communes”, explique le Dr Nusbaum.
Mais pour monter ce projet, le médecin doit faire une demande de site d’exercice multiple auprès du Conseil départemental de l’Ordre. Il sait que cette procédure est très encadrée, mais assure qu’il quittera la commune s’il n’obtient pas l’autorisation demandée. C’est en mai dernier que la réponse tombe : la demande est refusée. “Sur le plan légal, les conditions sont strictes, justifie le Dr René-Pierre La Barrière, président du Conseil départemental de l’Ordre de Haute-Savoie. Il faut une carence démographique. Et ce n’est pas du tout le cas à Argonay. Nous avons interrogé les médecins du secteur, il n’y a pas d’urgence.”
“Mon but n’est pas d’emmerder les médecins”
D’autre part, le Dr La Barrière reconnaît qu’il ne comprend pas bien la démarche “multisite”. “Ca ajoutait des frais, liés au cabinet, des déplacements. Il y a près d’une demi-heure de voiture entre les deux villes. Et sur le plan médical, on craignait de déshabiller Frangy pour habiller Argonay. Il y avait aussi un risque de dépersonnaliser la relation des patients avec le médecin, qui serait à deux endroits à la fois…”
Pour autant, le président de l’Ordre départemental réfute toute intention de mettre des bâtons dans les roues du généraliste. “Mon but n’est pas d’emmerder les médecins, on a plutôt envie de les aider. On les a rencontrés plusieurs fois, on a parlé. C’est un conflit dont on se serait tous bien passés”, glisse le Dr La Barrière. Et pour justifier sa bonne fois, il rappelle qu’il a proposé une alternative au Dr Nusbaum : puisque les textes imposent une zone sous-dotée pour toute demande de site d’exercice multiple, il lui suggère d’inverser les cabinets. Le cabinet principal pourrait être celui d’Argonay, et le secondaire celui de Frangy. “Je leur ai dit que, dans ce cas de figure, l’Ordre ne pourrait pas s’opposer à la demande. Mais ils n’ont pas suivi ce conseil. Je ne comprends pas pourquoi, ça ne changeait rien…”
Un seul généraliste, 45 patients par jour
A Frangy, l’annonce de ce refus afflige le généraliste. “Les trois confrères étaient sur le point d’arriver. Les contrats étaient prêts, les plannings étaient faits”, fulmine le Dr Nusbaum qui tente alors un recours au Conseil national. “Je suis allé à Paris. J’ai pris du temps, j’y ai mis de l’énergie”, souligne le médecin. Finalement, l’Ordre lui donne l’autorisation d’ouvrir ce second cabinet. Mais la décision est prise en novembre, six mois après le premier refus. “Entre temps, les collègues sont allés voir ailleurs”, explique le généraliste. Tout est donc à refaire, mais le cœur n’y est plus. Désenchantés, submergés, les deux médecins fermeront le cabinet qu’ils partagent le 14 février prochain, pour s’installer ailleurs.
Ils laissent donc le dernier généraliste, le Dr Thierry Piellard, à ses 45 patients quotidiens, à ses visites à domicile, à son week-end de garde mensuel et à ses 82 pensionnaires de la maison de retraite de la ville. “Tout le monde est perdant dans cette histoire, regrette le Dr La Barrière .Pourtant, Frangy, ce n’est pas la campagne profonde. C’est accessible, c’est proche de Genève, il y a des emplois pour les conjoints, la qualité de vie est bonne…”, plaide-t-il avant d’ajouter : “Si vous connaissez des médecins intéressés…”
De son côté, le Dr Peillard a vu défiler trop de confrères pour y croire vraiment. “Je ne sais pas comment je vais faire, glisse le médecin, installé sur la commune depuis 1992. Nous étions déjà en zone désertique, on va être en zone lunaire maintenant ?”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier