C’est lors d’un voyage en Orient que le psychiatre aliéniste Jean-Jacques Moreau de Tours découvre, dans les années 1840, les vertus hallucinatoires du haschich. Il décide alors de l’importer en France et organise dans un hôtel parisien des séances de trips collectifs. Ainsi nait le “club des hachichins”, fréquenté notamment par Théophile Gautier, Balzac, Beaudelaire et bien d’autres.

 

L’histoire française du haschich commence dans les cercles littéraires et artistiques du XIXème siècle. En plein cœur de cette époque romantique, nombreux sont les écrivains et artistes parisiens qui se pressent, une fois par mois dans un salon de l’hôtel de Pimodan sur l’île Saint-Louis, pour participer à des séances collectives de consommation de ce nouveau produit magique venu d’Orient. Dumas, Nerval, Gautier, Baudelaire, Flaubert, Delacroix, entre autres, participent à ces “voyages” qu’ils ont surnommés “fantasias” et beaucoup s’en inspirent pour leurs œuvres.

 

Le psychiatre s’aperçoit que la substance est très appréciée

Mais, à l’origine ces drogueries collectives n’avaient qu’un but très sérieux : la science. L’instigateur de ce cercle, appelé le “club des hachichins”, est un médecin, psychiatre aliéniste, un certain Jean-Jacques Moreau de Tours. En 1830, alors qu’il prépare une thèse sur une nouvelle pathologie psychiatrique, la monomanie, il accompagne un de ses patients aliéné en Suisse et en Italie, pour vivre avec lui et comprendre au mieux son mal-être. Puis, il mène la même expérience avec un autre patient qui le conduit en Orient. Moreau de Tours se rend à Malte, au Caire, à Constantinople et il découvre le cannabis. Le psychiatre s’aperçoit que la substance est très appréciée, notamment par les Egyptiens et il pense qu’elle a des vertus hallucinatoires. Il décide alors d’en rapporter en France et de mener une série d’expérimentations.

Il commence par consommer lui-même une grande quantité de haschich, puis le fait tester à quelques proches. Il a l’idée de créer un club de consommation du haschich pour en étudier tous les effets. Théophile Gautier est l’un des premiers à se rendre dans ce mystérieux club. Dans un livre, Le Club des hachichins, il raconte : “Un soir de décembre, obéissant à une convocation mystérieuse, rédigée en termes énigmatiques compris des affiliés, inintelligibles pour d’autres, j’arrivai dans un quartier lointain, espèce d’oasis de solitude au milieu de Paris, que le fleuve, en l’entourant de ses deux bras, semble défendre contre les empiètements de la civilisation, car c’était dans une vieille maison de l’île Saint-Louis, l’hôtel Pimodan, bâti par Lauzun, que le club bizarre dont je faisais partie depuis peu tenait ses séances mensuelles, où j’allais assister pour la première fois.”

 

“La figure du docteur rayonnait d’enthousiasme”

Le médecin avait élaboré une recette pour consommer la drogue, qui à l’époque était presque toujours ingérée et non pas fumée. Il proposait à ses cobayes le “dawamesk”, une sorte de pâte ou confiture verdâtre faite à partir de résine de cannabis mélangée à du miel et à des pistaches. C’est la confiture de cannabis.

Après la première séance, Théophile Gautier décrit le Dr Moreau qui vient d’absorber cette fameuse confiture : “La figure du docteur rayonnait d’enthousiasme ; ses yeux étincelaient, ses pommettes se pourpraient de rougeurs, les veines de ses tempes se dessinaient en saillie, ses narines dilatées aspiraient l’air avec force. ‘Ceci vous sera défalqué sur votre portion de paradis’, me dit-il en me tendant la dose qui me revenait. Chacun ayant mangé sa part, l’on servit du café à la manière arabe, c’est-à-dire avec le marc et sans sucre.” Un peu plus loin, le poète raconte sa surprise de voir les jambes d’un homme assis en face de lui “se transformer en racines de mandragore”.

C’est Théophile Gautier qui invite ses amis à ces séances, et fait accroître le nombre membres prestigieux du club. Presque tous les plus grands artistes de l’époque ont joué les cobayes pour le Dr Moreau. Et beaucoup de leurs œuvres sont nées de ces séances. Ce sont elles qui ont par exemple inspiré Beaudelaire pour les Paradis artificiels, dans lequel il décrit notamment les effets pervers de cette drogue. Ce dernier n’est en effet pas un grand amateur de ce qu’il surnomme la “pommade verdâtre”. En fait, il préfère l’opium.

 

Le premier ouvrage scientifique sur l’effet des drogues

Le docteur Moreau, lui, n’oublie pas le but premier du club, étudier scientifiquement les effets du haschich sur le corps et l’esprit. Pendant chacune des séances, il surveille ses cobayes, notamment pour éviter une défenestration, puis il observe et note chacun des faits et gestes de ces illustres drogués. En 1845, il publie chez Masson ses observations, Du haschisch et de l’aliénation mentale. Il s’agit du premier ouvrage scientifique sur l’effet des drogues.

Le club des haschischins se réunit régulièrement entre 1843 et 1849. Mais petit à petit les membres commencent à se lasser… Le haschich n’est jamais sorti des salons parisiens et sa consommation reste très anecdotique en France. En 1916, elle est considérée par la loi comme une “substance vénéneuse”. Ce n’est qu’à partir des années 60 que le cannabis, qui désormais se fume, connaît un essor considérable. Ce qui poussera les autorités à durcir la réglementation et à en interdire la consommation.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

D’après Lemonde.fr, A propos de Moreau de Tours et du haschich, de Claude Renner (dans Histoire des sciences médicales) et Franceculture.fr