Les modifications climatiques vont obliger les médecins à se se familiariser avec de nouveaux diagnostics, à apprendre à traiter des maladies qu’ils n’ont pas ou plus l’habitude de voir. Les généralistes auront également un rôle important à jouer en matière de veille sanitaire, de prévention et de protection des personnes les plus vulnérables. A quelques jours de la fin de la Cop 21, voici comment le réchauffement climatique va bouleverser l’organisation des soins.
 

 

La canicule de 2003 a donné un aperçu des conséquences dramatiques que peut avoir un épisode climatique extrême, quand il prend le système de soins au dépourvu. Mais, au-delà des effets de la chaleur sur l’organisme humain, il est important de prévoir les répercussions indirectes du réchauffement sur la santé, pour adapter le système de soins. Parmi les nouveaux risques, une progression des maladies vectorielles vers le nord de l’Europe est déjà perceptible. Le moustique tigre, vecteur du chikungunya et de la dengue, est actif dans vingt départements français et a été observé occasionnellement dans 21 autres, y compris dans la région parisienne. Deux premiers cas autochtones de chikungunya ont été signalés en 2010 dans le sud de la France, suivis de 12 cas à Montpellier, en 2014. Enfin, cet et été 2015, 7 cas autochtones de dengue ont été identifiés dans un quartier de Nîmes et ont déclenché des opérations de démoustication. Une étude sérologique systématique est en cours dans ce quartier, pour déterminer la dynamique de ces contaminations. La circulation du virus du Nil occidental (West Nile) a considérablement augmenté en Europe depuis quelques années, en particulier en Italie, en Grèce et dans la région des Balkans. Un cas a été signalé à Nîmes en 2015, ce qui représente la première infection humaine par le virus Nil occidental déclarée en France depuis 2003. La présence des phlébotomes, vecteurs de leishmaniose, devrait également s’intensifier.

 

“Il est très difficile de faire des projections”

Le changement climatique n’est pas le seul déterminant de cette nouvelle écologie vectorielle. Deux phénomènes interviennent : les mouvements rapides par les transports et les déplacements beaucoup plus lents de ces insectes liés aux changements climatiques. Le moustique tigre par exemple peut se déplacer dans les coffres de voitures, les camions containers, les trains. Quant aux cas autochtones de paludisme, ils sont généralement imputés au transport d’anophèles par les avions, même si un cas de transmission par une anophèle locale a été documentée en Corse (BEH 25-26, 19 juin 2007).

Enfin la transmission d’agents infectieux d’origine vectorielle suppose la présence de personnes infectées, elle-même conditionnée par de multiples facteurs, dont les déplacements humains. Ainsi le réchauffement climatique n’est peut-être pas le facteur le plus important dans le développement de nouvelles pathologies infectieuses. Pour Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Montpellier, “il est très difficile de faire des projections et de prévoir quelles maladies infectieuses nouvelles il y aura à Paris ou à Montpellier en 2020 ou en 2050. On entend dire : nous allons être exposés à la dengue, au chikungunya. C’est plus compliqué. Nous verrons des cas, mais je ne pense pas que l’on soit menacé d’épidémies telles qu’en connaissent l’Afrique ou l’Asie du Sud-Est. En effet, d’une part nous avons des moyens de défense, comme la démoustication, des systèmes d’alerte efficaces ; d’autre part les facteurs de transmission de ces infections, comme la pauvreté, la promiscuité, la malnutrition, sont beaucoup moins importants en France que dans ces pays. Enfin si les praticiens sont bien formés pour repérer les cas, on pourra enrayer assez vite les épidémies. Créer des conditions sanitaires favorables, notamment dans la veille et la surveillance, est une arme pour mieux s’adapter aux phénomènes climatiques. S’il y a des choix à faire en terme de stratégie c’est aussi dans cette voie qu’il faut s’engager.”

 

Microalgues productrices de toxines

Autre effet du réchauffement, l’augmentation de la température de l’eau de mer favorise la réplication de microalgues productrices de toxines, de même que de virus et de bactéries d’origine marine côtières, qui se concentrent dans les poissons et les fruits de mer. Des épidémies d’infections à Vibrio spp, plutôt habituellement connus dans les mers chaudes, sont régulièrement observées depuis quelques années en Mer du Nord et en Baltique. “En France on commence à voir une augmentation des cas de gastro-entérites et de septicémie, signale Jean-François Guégan. J’ai été alerté par nos collègues de l’Ifremer, Au cours des derniers mois on a observé des septicémies sur la côte atlantique, liées à des plaies infectées, chez des personnes qui s’étaient blessées en ouvrant les huîtres.”

Ces nouvelles menaces impliquent avant tout de renforcer la veille sanitaire. Les médecins sont les premiers acteurs de cette veille, à la fois pour le diagnostic et pour l’alerte. “Il faut développer des réseaux de praticiens, comme le réseau Sentinelles, pour faire remonter l’information vers les ARS et l’InVS, insiste Jean-François Guégan. Les médecins généralistes sont au cœur de ce système, de son fonctionnement et de sa pertinence. Cela dépasse la question du réchauffement climatique. Par exemple, récemment des cas d’infections à Cow-poxvirus transmises par des rats de compagnie ont été signalés. Ce virus, parent du virus de la variole, est responsable de lésions cutanées nécrotiques. Heureusement que des médecins ont fait un bon diagnostic et alerté, pour que cette information remonte à l’InVS et que celle-ci puisse prendre des mesures. Il faut évoluer vers plus de réactivité dans les deux sens : l’alerte des autorités par les praticiens, puis le retour d’information des autorités vers l’ensemble des médecins.”

Créé au lendemain de la canicule de 2003, le système de surveillance syndromique SurSaUD (Surveillance sanitaire des urgences et des décès), développé par l’Institut de veille sanitaire, recouvre 86 % de l’activité des services d’urgences en France (soit les 600 services participant au réseau de surveillance OSCOUR), 90 % de l’activité de SOS Médecins et 80 % des décès quotidiens. Ce système, fondé sur un enregistrement automatique, permet le recueil en temps réel des données, afin de détecter le plus vite possible tout événement inhabituel et y apporter une réponse. Par ailleurs le Centre national d’expertise sur les vecteurs (CNEV), créé en 2010, réunit une grande partie des spécialistes français dans ce domaine et joue un rôle d’expertise et d’alerte sur les insectes vecteurs et les agents infectieux qu’ils peuvent véhiculer.

“Nous avons tous les éléments pour un très bon système de veille, estime Jean-François Guégan. Les agences sanitaires font un travail extraordinaire, mais les retours de la Direction générale de la santé (DGS) sont peut-être insuffisants. Le Ministère de la santé vit dans l’angoisse d’une nouvelle crise sanitaire. Il n’y a pas assez de prospective à long terme.”

 

“Il faut préparer les médecins, à reconnaître des affections qu’ils n’ont pas ou plus l’habitude de voir”

L’enseignement initial et continu doit également s’adapter à ces évolutions en accordant une place plus importante aux maladies d’origine tropicale. “Il faut préparer les médecins, à reconnaître des affections qu’ils n’ont pas ou plus l’habitude de voir”, déclare Jean-françois Guégan. Pour le Dr Souvet, cardiologue à Vitrolles et président de l’Association Médecins Environnement France (ASEF), c’est l’ensemble de l’enseignement sur la santé et l’environnement qui est insuffisant. “On a l’impression que les Ministères de la santé et de l’écologie ne communiquent pas, regrette-t-il. Le Ministère de la santé devrait s’impliquer davantage sur ce sujet.”

Les effets prévisibles du réchauffement sur la santé sont, en effet, très larges. Les phénomènes climatiques extrêmes (tempêtes, inondations…) et à la pollution réclament des mesures spécifiques, qui débordent largement la sphère médicale. L’augmentation de l’ensoleillement impliquent pour les médecins de renforcer les messages de prévention solaire, en direction des enfants, en particulier. Le déplacement vers le nord de certaines espèces, comme le chêne vert et le châtaignier, rend prévisible une augmentation des allergies, liées au contact à de nouveaux pollens et moisissures.

Le plan national d’adaptation au changement climatique 2011-2015, qu’a présidé Jean-François Guégan, pour sa partie santé, prévoyait une surveillance renforcée de ces allergènes. Enfin, l’ampleur des effets directs de la chaleur sur l’organisme n’est plus à démontrée. La canicule de 2003 a été responsable d’un surcroît de près de 15 000 décès en trois semaines (soit une augmentation de 55%) et la vague de chaleur de 2006 d’un excès de près de 2 000 décès (9%). Les trois épisodes caniculaires de l’été 2015 ont donné lieu à un excès de mortalité estimé à 3 300 décès, soit 6 %. Les mesures de prévention développées après l’épisode de 2003 semblent donc avoir eu une certaine efficacité. Dès 2004, l’InVS a mis en place, avec Météo-France, un Système d’alerte canicule et santé (Sacs), opérationnel chaque année du 1er juin au 31 août, pour prévoir les épisodes de canicule. Un passage en vigilance jaune déclenche la diffusion de messages de prévention.

Le généraliste a un rôle très important à jouer dans la prévention. Il connaît les personnes vulnérables (personnes âgées, isolées, atteintes de maladies chroniques, sous traitement psychotrope…) et peut donner des conseils de protection pour prévenir hyperthermie, coup de chaleur et déshydratation. Ces conseils, détaillés dans le Plan national canicule, peuvent être téléchargés sur le site de l’Inpes. “En 2003, sur les 15 000 décès recensés, il y en a seulement 5 000 qui paraissaient inévitables à court terme, souligne le Dr Souvet. Les autres auraient pu survivre au moins un an.” Que ce soit en ville ou dans les maisons de retraite, les prescriptions de médicaments ne tiennent pas assez compte de l’âge des patients et de leurs comorbidités. Un renforcement de l’enseignement en pharmacologie paraît nécessaire pour une adaptation plus fine des prescriptions, en fonction des terrains individuels, mais aussi des facteurs extérieurs, climatiques notamment.

Par exemple, le paracétamol doit être évité si l’on suspecte un coup de chaleur, car il risque de majorer l’atteinte hépatique. “Il est fondamental aussi de modifier certains traitements en fonction des périodes de chaleur, rappelle le Dr Souvet. Quand il y a des risques de déshydratation, il faut être très prudent avec les AINS et réduire les doses de diurétiques. En effet, chez les personnes âgées sous diurétiques et AINS, la déshydratation peut provoquer une insuffisance rénale fonctionnelle, qui va les conduire à décompenser leur cardiopathie. La difficulté est que le médecin ne voit pas forcément les patients au moment de la vague de chaleur. Les recommandations doivent donc être faîtes en amont. On pourrait imaginer un système de SMS, pour que les médecins envoient des conseils. Une grande partie des personnes pourraient être ainsi averties.”

 

Repenser l’organisation des soins

Au-delà de la prise en charge médicale, l’impact des épisodes de canicule sur la santé est étroitement lié à l’organisation de la société. Les enquêtes menées sur la canicule de 2003 ont révélé que 88 % des personnes décédées dont les corps ont été reçus à l’Institut médico-légal de Paris vivaient seules et un quart n’avaient plus aucun contact. Etre dépendant multipliait le risque par 4 à 9,6, avoir une pathologie cardiovasculaire par 3,7 et vivre dans une chambre sous les toits par 4,1.

Depuis l’épisode de la canicule de 2003, les personnes âgées ou handicapées vivant à domicile peuvent se faire enregistrer sur un registre nominatif à la mairie de leur commune. Mais ce dispositif a peu de chances de toucher les plus vulnérables. “Il faudrait que les collectivités locales mettent en place d’autres systèmes, peut être avec l’aide des infirmières, des médecins, pour repérer les personnes en difficulté”, remarque le Dr Souvet. Les évolutions démographiques et sociales rendent ces questions cruciales. En effet, le changement climatique et le vieillissement de la population vont coïncider avec des conditions de vie plus difficile et un déclin de la densité médicale, qui imposent de repenser l’organisation des soins et de développer la solidarité entre génération. “C’est ce qui manque le plus dans notre société”, constate le Dr Souvet.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot