Mercredi dernier, les patients du Ciss ont mis les pieds dans le plat en proposant de limiter la liberté d’installation. Les usagers cotisent à l’Assurance maladie, disent-ils, et devraient donc être garantis d’avoir un accès aux soins rapide quel que soit l’endroit où ils vivent. Pour cela ils demandent que, dans la prochaine convention, soit mise en place une “carte sanitaire opposable” qui régulerait l’ouverture des cabinets médicaux. Arnaud de Broca, co-président du Ciss, revient pour Egora sur cette proposition.

 

Egora : Vous révélez les résultats d’un sondage réalisé par BVA dans lequel 63 % des Français reconnaissent avoir déjà été dans l’impossibilité de consulter un médecin, spécialiste ou généraliste. Pour vous, c’est la preuve que les politiques incitatives mises en place depuis des années pour encourager les médecins à s’installer dans les déserts médicaux sont inefficaces ?

Arnaud de Broca : C’est en tout cas le constat qu’on fait. Bien sûr certains dispositifs ont mieux marché que d’autres. Pour les infirmières, dans la convention, il a été mis en place un système qui mélange à la fois un dispositif incitatif et un dispositif plus restrictif de régulation. Cela produit un certain nombre d’effets, même si pour nous c’est encore insuffisant. Après, on s’aperçoit que pour les médecins, les systèmes incitatifs conventionnels n’ont pas fonctionné et ont donné un bilan assez décevant. Peut-être pas dans tous les départements, mais globalement il n’y a pas eu de vrai effet sur les déserts médicaux. Et pourtant cela fait plus de dix ans qu’ils sont mis en place. On a donc un recul suffisant aujourd’hui pour dire, non pas qu’il faut les arrêter, mais qu’il y a d’autres pistes à explorer en travaillant avec les professionnels de santé, l’Assurance maladie, les usagers et les élus.

Vous plaidez donc pour la mise en place d’une “carte sanitaire” opposable qui régulerait l’ouverture de cabinets médicaux. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

On se dit : pourquoi ne pas s’inspirer de ce qui se passe pour d’autres professionnels de santé, comme les infirmiers par exemple ? Dans un certain nombre de régions, par exemple, l’ARS a un rôle plus important et régule les structures d’accueil de personnes âgées notamment en distribuant les autorisations. Donc l’idée est de se calquer sur ce régime d’autorisation par l’ARS pour l’étendre à l’installation des médecins libéraux. Il faut aller plus loin que les mesures d’incitation qui ont été mises en place et n’ont pas fonctionné dans un grand nombre de régions. Et sans aller réinventer des choses qui n’existent pas, se dire que l’ARS a aussi un rôle à jouer dans les installations, cela nous semble assez logique et naturel. On soutient toujours les mesures d’incitation, parce que bien sûr qu’il faut un mélange des deux. On ne veut pas uniquement de la régulation. On ne veut pas opposer les patients aux médecins.

Vous demandez donc que l’ARS puisse refuser une installation dans une zone sur-dotée. Souhaitez-vous aussi qu’elle oblige certains médecins à s’installer dans des zones sous-dotées ?

La régulation, c’est forcément dans les deux sens. Il s’agit, quand il y a trop de médecins de les désinciter à aller dans ces zones là et dans d’autres endroits on peut trouver des solutions pour obliger un certain nombre de médecins à y aller. Mais notre réflexion n’est pas de se dire : il n’y a plus de médecins là, il faut les obliger à y aller. Notre réflexion c’est de trouver un ensemble de solutions pour que chaque usager puisse avoir accès à des soins rapidement et près de chez lui. Ces solutions peuvent aussi passer par de la télémédecine ou d’autres nouveautés à mettre en place. Il y a des tas de choses à repenser. Le fait est que l’usager paye sa cotisation à l’Assurance maladie, alors comment on fait pour que chaque assuré social puisse trouver une réponse à ses besoins ?

La question de la coercition à l’installation a été de nombreuses fois posée, plusieurs parlementaires ont fait des propositions de loi dans ce sens. Pourtant, aucun gouvernement, de gauche comme de droite, n’a jamais évoqué la possibilité de la mettre en place. Ne pensez-vous pas être à contre-courant en proposant cette mesure qui a finalement assez peu de chances d’aboutir ?

Effectivement, ce n’est pas forcément dans l’air du temps. En même temps, l’incitation qui est plus dans l’air du temps n’a pas non plus marqué par son efficacité. On n’est pas à contre-courant en reposant la question de la répartition des médecins sur le territoire. Les mesures déjà mises en place n’ont pas eu l’effet escompté. Donc maintenant, qu’est-ce qu’on essaie de mettre en place collectivement ? Nous sommes prêts à discuter. Or, les usagers ne sont pas associés à toutes les négociations et discussions. Peut-être que l’installation contrainte et forcée a peu de chance de passer aujourd’hui. Mais est-ce que les citoyens aujourd’hui ne sont pas mûrs pour évoluer ?

Je pense en fait qu’on est moins à contre-courant des citoyens que des professionnels de santé. De manière générale les citoyens veulent accéder à des soins. Pas forcément dans tous les villages de France, mais il faut bien que tout le monde ait la possibilité, d’une manière ou d’une autre de pouvoir accéder à un professionnel de santé. On est certainement à l’opposé de ce que pensent les professionnels de santé. On est aussi à contre-courant des élus, dont beaucoup sont aussi des professionnels de santé. Mais je ne suis pas sûr qu’on soit si à contre-courant de ce que pensent les citoyens en général. Et ces débats sur la répartition des médecins vont devenir de plus en plus importants au vu de la démographie médicale.

Les médecins sont fermement opposés à l’idée même d’un encadrement de l’installation…

Si on est à contre-courant, c’est peut-être aussi que les médecins sont à contre-courant dans leurs positions. Comment fait-on, malgré les prises de positions de chacun pour avancer ? Cela fait une dizaine d’années qu’on parle de ces sujets-là, certaines choses se font. Les infirmières, par exemple, ont signé une convention avec des mesures régulations.

Les leviers pour une meilleure répartition des médecins peuvent être multiples, cela peut être de l’incitation, de la régulation, cela peut être en jouant sur la rémunération… Essayons simplement de construire quelque chose ensemble. Mais c’est cela que nous n’arrivons pas à faire. Les médecins sont parfois sur des positions jusqu’auboutistes en niant presque l’existence de déserts médicaux. A l’inverse, nos positions leur paraissent souvent extrêmes. Ok, mais échangeons et discutons. Et cela, on n’y arrive pas.

Justement, dans vos préconisations, il est aussi question de jouer sur la rémunération des médecins en limitant les dépassements d’honoraires dans les zones sur-dotées et à l’inverse en augmentant la rémunération des médecins qui s’installent dans les déserts.

C’est justement intéressant de voir que dans les zones où il y a le plus de médecins c’est là qu’il y a le plus de dépassements d’honoraires. Il y a des questions à se poser concernant les incitations financières, le système de paiement à l’acte ou le paiement forfaitaire. On pense que les modalités de paiement des médecins, peuvent être des leviers. On ne peut pas ne pas lier la question de la répartition des médecins et la question de leur rémunération. Cela fait partie des questions qu’il faut se poser. L’important c’est qu’il y ait une vraie réflexion. En tant qu’usager, je trouve embêtant qu’il n’y ait aucun lieu dans lequel on puisse vraiment échanger tous ensemble sur ces questions-là. Forcément, nous on va dire : il faut plus de régulation, les médecins vont dire : il y a trop de régulation. C’est sûr. Mais où est-ce qu’on en discute tous ? Tous les débats sur les conventions se font sans les usagers, les débats sur les lois de santé se font avec des députés, dont beaucoup sont médecins. Concernant la rémunération des médecins, c’est évident qu’elle peut être un levier pour inciter ou désinciter les médecins à s’installer quelque part. Mais il n’y a aucun lieu où on peut en parler sereinement. Et pourtant cela fait partie des enjeux majeurs de l’accès aux soins des prochaines années.

Au-delà du problème de l’installation dans les déserts médicaux, on sait que les jeunes médecins sont de moins en moins attirés par l’installation en libéral de manière générale. Ne craignez-vous pas qu’en instaurant encore plus de contraintes, on risque de les éloigner encore plus de l’exercice libéral ?

Peut-être, mais alors il serait intéressant de se poser la question de privilégier l’exercice en salariat. Il faut peut-être, au-delà de la question de la régulation et de l’incitation, revoir complétement le fonctionnement de la médecine libérale dans notre pays. Peut-être qu’il faut passer au forfait, au salariat, pourquoi pas ? Discutons-en, en voyant tous les aspects. On sait en effet que les jeunes veulent davantage aller vers le salariat, et c’est peut-être ça la solution. Ce débat rejoint celui sur le financement ou le paiement des actes, et il n’est pas nouveau. Les mesures incitatives mises en place jusqu’ici n’ont pas apporté de réponses. Alors je suis d’accord pour dire qu’il y a revoir un certain nombre de choses et qu’on ne peut pas continuer à fonctionner comme avant. Il faut innover, sans continuer à se dire : on verra ça dans 10 ou 15 ans. Construisons quelque chose ensemble.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu