Animateur d’un groupe constitué de médecins généralistes et de professeurs de médecine générale à l’Académie de médecine, le Pr Pierre Godeau (Président de la Commission médecine générale et exercice médical libéral) craint que le renouvellement des générations ne soit pas assuré dans la spécialité, mal aimée des futurs médecins à l’issue des ECN. Il demande à ce qu’ils soient mieux rémunérés, et déchargés des lourdeurs administratives.
 

 

Egora.fr : Quel est l’état des lieux pour la médecine générale ?

Pr Pierre Godeau : Il y a un paradoxe car la médecine générale s’autonomise. Il y a une sous-section au Conseil national des universités qui est consacrée à la médecine générale. Il y a des professeurs de médecine générale qui s’appellent PU-PA, professeur des universités-praticien ambulatoire, alors que pour les autres spécialités, il est question de PU-PH (professeur des universités, praticien hospitalier). Donc, il y a un parallélisme entre ceux fonctions et c’est positif pour la médecine générale. Alors tout devrait bien se passer mais on assiste en réalité à un phénomène inverse. On voit que le premier qui a choisi la médecine générale, en octobre dernier, à l’issue des ECN était 111ème au classement. Par ailleurs, sur les 250 premiers, il n’y en a que quatre qui se sont dirigés vers la médecine générale. Cela signifie qu’il y a une désaffection pour la discipline qui est d’autant plus grande que l’âge moyen des généralistes en 2011 était de 50 ans, ils sont donc de moins en moins jeunes. On redoute que le renouvellement ne s’effectue pas. Le professeur de médecine générale, Robert Nicodème, a livré quelques chiffres alarmants au Figaro en avril 2015 : sur 19 625 postes offerts en médecine générale à l’ECN entre 2004 et 2010, seuls 15 603 avaient été pris, soit un déficit de près de 5 000 postes. D’autre part, si l’on regarde les étudiants qui ont choisi la MG à l’issue des ECN, sur 15 391 étudiants, 6 281 en définitive ont renoncé après avoir choisi cet exercice. Cela fait plus du tiers qui ont décidé de passer à autre chose.

Quelles sont les raisons de ce rejet, selon vous ?

Je pense qu’elles sont doubles. D’une part, les médecins généralistes ne sont pas assez rémunérés et d’autre part, ils subissent des charges administratives de plus en plus lourdes. Pour ce qui est de la rémunération, la consultation est à 23 euros. Or, le pédicure prend 33 euros, ce qui est cocasse. Un diabétique qui souffre de complications a le droit de voir un pédicure quatre fois par an et d’être remboursé. Ce qui est bien. Ce qui ne me paraît pas normal, c’est que ces professionnels de santé ont des actes qui valent moitié plus que ceux des généralistes. Autre exemple : chez mon coiffeur, la coupe c’est entre 25 et 30 euros. Comment voulez-vous qu’un médecin généraliste vive correctement avec une consultation à 23 euros ?

Que faudrait-il faire ?

Il faut que les pouvoirs publics se rendent compte que les médecins généralistes sont insuffisamment rémunérés. Actuellement, les maladies chroniques sont prises en charge à plus de 80 % par les médecins généralistes. Qui va s’en charger, alors que le nombre de ces malades augmente régulièrement et qu’avec le vieillissement de la population, ils sont voués à être de plus en plus nombreux ? Rémunérer les médecins généralistes différemment, sous forme de forfaits par patients atteint de maladie chronique ? Pourquoi pas, à condition qu’on ne leur demande pas de remplir des tas de dossiers qui leur prennent un temps fou. Il y a réel problème. Il y a également le problème du coût de la prise en charge des maladies chroniques. Il faut trouver un système pour que cela coûte moins cher, c’est évident. Mais cela n’est pas simple et certaines initiatives paraissent mauvaises, comme la sortie des ALD de l’hypertension artérielle sévère, au motif qu’il ne s’agit pas d’une maladie, mais d’une une particularité qui ne relève pas de ce type de prise en charge. Cela ne paraît pas judicieux, car les complications auront lieu demain. Ce qui coûte cher dans la maladie chronique, ce n’est pas forcément la maladie elle-même, mais c’est la manière dont elle est traitée.

Il y a également le problème énorme de la gériatrie. Les sujets âgés sont tous atteints de maladie chroniques et les besoins vont encore augmenter dans ce domaine. Néanmoins, ce qui est encourageant, c’est de constater que parallèlement à l’augmentation des maladies chroniques, certaines disparaissent car on arrive à les traiter. C’est le cas de l’hépatite C. Lorsqu’on traite un patient atteint d’hépatite C, on évite des mois et des mois de traitement et des cancers du foie secondaires.

Pensez-vous que la prochaine convention médicale, qui sera négociée à partir du mois de février prochain, permette d’améliorer le sort des futurs médecins généralistes ?

Je ne crois pas. Il y a un effet d’annonce sur le tiers payant, qui va compliquer la vie des médecins généralistes et pourra entraîner des retards de paiement qui les inquiètent. Je pense que c’est vraiment compliqué pour pas grand-chose sachant que les malades chroniques sont déjà prises en charge à 100 %. Et pour le reste, ce sera encore des paperasses. Il faut donc une simplification administrative et ensuite, une revalorisation des honoraires. Je sais bien que le directeur de la Caisse nationale a dit que cela couterait trop cher, mais quel sera le prix à payer, si des professionnels de terrain lâchent l’éponge ?

Il y a actuellement plus de 100 000 médecins généralistes, soit plus de 50 % des médecins, voilà pourquoi nous essayons de plus en plus de les intégrer à l’Académie de médecine car cela n’est pas possible qu’ils restent en dehors de ce mouvement. Mais ce n’est pas simple, les médecins généralistes sont tout le temps sur le terrain, ils n’ont pas le temps de faire des publications qui permettraient de les sélectionner, alors que nous avons des personnalités qui ont l’équivalent d’un prix Nobel.

L’Ordre des médecins connaît aussi très bien ces problèmes, voilà pourquoi nous sommes en contact avec lui. Le Pr Stéphane Oustric, vice-président de l’Ordre et professeur de médecine générale, participe à la réflexion de notre groupe. Je regrette que plusieurs personnalités aient des idées toutes faites, théoriques, sur la médecine générale. Elles manquent souvent de caution du terrain pour percevoir les choses de près. Un des défauts des politiques dans le domaine de la santé, c’est aussi valable pour les hospitaliers, c’est qu’ils n’ont pas une expérience du terrain.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne
Crédits photo : Fabien Ser