Ancienne responsable de l’unité de dermatologie-cancérologie du CHU de Bordeaux2, puis Ministre déléguée aux Personnes âgées et à l’Autonomie du gouvernement Ayrault, Michèle Delaunay est aujourd’hui députée PS de Gironde. Engagée contre le tabac, elle souhaite que le prix du paquet de cigarette soit fixé à 10 euros d’ici trois ans. Elle compte sur les médecins pour l’aider dans ce combat.

 

 

Egora.fr : La lutte contre le tabac est votre priorité de député. Les médecins ont-ils un rôle à jouer ?

Michèle Delaunay : Je pense que les médecins généralistes peuvent et doivent être des partenaires majeurs de la lutte contre le tabac. Ils sont des leaders d’opinion, beaucoup plus que les buralistes. Je ne sais pas s’ils réalisent eux-mêmes à quel point ils peuvent promouvoir une idée forte et s’engager dans un sujet. Car je crois de plus en plus en l’opinion publique et de moins en moins en les politiques. Je crois que nous, les personnages politiques, ne parviendront pas à prendre des mesures efficace sans qu’il y ait un clair renversement de l’opinion publique.

Les médecins ont un rôle majeur à jouer qui ne fera que les grandir. D’autant que l’Ordre lance en ce moment une grande consultation dans laquelle je compte m’inscrire, cette fois en tant que médecin, pour essayer de faire adhérer mes confrères. Les médecins ne doivent pas penser qu’à eux, au coût de la consultation, à la complication du tiers payant… Ils doivent aussi penser au rôle qu’ils ont vis-à-vis des patients.

Vous avez la sensation que ce n’est pas déjà le cas ?

Pas assez. Quand ils râlent, ils râlent surtout pour eux. Je pense qu’ils se donneront de la force et de l’autorité pour les problèmes qui les concernent personnellement en montrant qu’ils ont pris conscience du rôle qu’ils peuvent avoir dans la bonne marche de la société.

Concrètement ?

Je pense qu’ils peuvent, pratiquement à eux tout seuls, décrédibiliser le tabac. Ils pourraient dire clairement que si quelqu’un a telle maladie, c’est le tabac. Par pudeur, ils ne le font pas. Les patients le savent pour le cancer pulmonaire mais pas pour les AVC. Je comprends l’attitude des médecins, parce que je l’ai suivie moi-même. On ne veut pas culpabiliser le patient. Il ne doit pas être culpabilisé parce qu’il est victime de l’industrie indicible du tabac. Je veux inclure la lutte contre le tabagisme en tête de leurs objectifs de santé publique (la ROSP Ndlr).

Le tabac c’est 25 milliards de dégâts sanitaires purs. En 20 ans, on pourrait économiser cette somme. Et on pourrait commencer à faire des économies tout de suite. Les infarctus et les AVC précoces concernent à 100% des fumeurs. Si ces personnes arrêtaient de fumer, elles n’auraient aucun risque de récidive. L’économie serait donc immédiate. Si on faisait déjà 5 milliards d’économies en cinq ans, ça aurait de la gueule. C’est le déficit de la sécurité sociale.

Les patients ne sont-ils pas déjà au courant des risques ?

Pas assez car on ne veut pas les culpabiliser. On n’ose pas le dire et c’est un tort. Il faut savoir dire “Votre père a fumé 30 ans et il est mort du tabac”. Il faut une prise de conscience. En France, il y a 79 000 familles endeuillées par an.

Je reviens de la cérémonie en Gironde pour les 44 morts de Puisseguin. J’ai écouté le Président de la République. Il a dit que “la République est auprès de chaque personne endeuillée, c’est la force d’un Etat”. Il a ajouté “quel que soit le fléau”. La République est-elle suffisamment à côté des 220 personnes qui meurent chaque jour du tabac ?

Le gouvernement est-il trop laxiste ?

Le gouvernement veut agir à petits pas. Les 56 députés qui avaient voté mes amendements sur la hausse du prix du tabac, que l’on aurait pu faire passer en commission, ont eu mot d’ordre de ne pas voter. Ils ont dérogé à leur signature. J’ai finalement présenté ces amendements toute seule. C’est inacceptable.

Pourquoi refuser d’aller trop loin ?

Pour l’instant, ils veulent que le paquet neutre soit voté à l’Assemblée. Moi-même, j’ai fait profil plus doux dans le débat. Je n’ai pas dit tout ce que je voulais dire pour qu’on ne puisse pas dire que si le paquet neutre n’est pas voté, c’est la faute à Michèle Delaunay. Je veux qu’il soit voté bien que cela ne soit pas une mesure majeure. La mesure majeure, toutes les études le disent, c’est l’augmentation du prix. En Australie on a mis en place le paquet neutre, en même temps que le prix du paquet à 15 dollars.

Dès que le paquet neutre sera voté, je repartirai à la charge. Je ne m’arrêterai jamais, même si je ne suis plus députée. Le tabac est vraiment quelque chose qui ne correspond plus à notre société. Notre société est marquée par le principe de précaution. Les pesticides et maintenant même la viande et la charcuterie sont pointés du doigt. Les dangers de la charcuterie concerneraient 35 000 personnes. Dans le monde ! Le tabac c’est un million par an. Les gens ne veulent pas y croire.

Les médecins doivent dire aux patients qui fument qu’ils ne sont pas en faute. Dès la 100ème cigarette, ils deviennent addicts. L’Inserm a constaté que le tabac rendait plus accro que l’héroïne. Tous les fumeurs veulent s’arrêter, mais ils n’y arrivent pas. Ils ont besoin d’aide.

Comprenez-vous pourquoi le gouvernement préfère marcher à petit pas ?

Il ne veut pas brusquer. Il y aussi une raison fiscale. Hollande a dit qu’il n’augmenterait pas les impôts. Il a qu’à baisser les impôts ailleurs pour que ça compense. C’est du flan tout ça. Je pense que le gouvernement n’est pas mûr. Il n’y a que l’opinion publique, via les médecins, qui peut faire mûrir le gouvernement. Les médecins peuvent faire basculer l’opinion publique en changeant de langage. Ma crédibilité et mon pouvoir en tant que médecin étaient beaucoup plus forts qu’en tant que femme politique. On dit que les politiques sont avides de pouvoir et pourtant j’ai été ministre, j’en ai eu. Mais le pouvoir réel n’est pas là.

Plusieurs députés dont André Santini, Dominique Bussereau, Patrick Balkany, ou encore la députée socialiste Odile Saugues ont été épinglés en 2013 pour avoir été invités à diner par le cigarettier américain British American Tobacco. Le souci ne viendrait-il pas du lobby du tabac ?

Bussereau, Balkany, ils ne sont pas vraiment mes modèles ! Des invitations à diner, il y en a surement partout. Mais je ne crois pas qu’il y ait des dessous de tables. Je crois que le poids principal c’est la crainte des buralistes. Les gens sont persuadés que les buralistes sont des agents électoraux, ce qui est faux.

Vous proposiez l’an dernier de permettre aux buralistes de vendre des produits de santé comme l’aspirine ou les tests de grossesse pour contrer leur manque à gagner. Maintenez-vous l’idée ?

Je ne l’avais pas dit exactement comme cela. Mais si je devais leur donner quelque chose d’autre à vendre, ce serait les médicaments de sevrage anti-tabac. Je vais proposer un amendement à la loi de santé pour que les produits de sevrage du tabac sans ordonnances soient vendus hors-pharmacie, sous condition d’encadrement. Cela va ouvrir le marché à Leclerc ou d’autres et faire baisser les prix. Il faut diminuer les prix de moitié. Je ne peux pas cibler directement les buralistes.

Quand est né votre engagement si fort de lutte contre le tabac ?

J’ai vu trop de malades mourir du tabac. J’étais interne en cancéro pour le premier. C’était un jeune chef d’entreprise promis à toutes les réussites. Il avait deux magnifiques petits bouts de chou. Il est mort en sachant pourquoi il mourrait. C’est terrible. Je peux citer des dizaines d’exemples. Et la plupart meurent étouffés.

Depuis très jeune, je n’ai pas compris pourquoi on laissait ce poison public en liberté. Et je le comprends de moins en moins. D’autant qu’aujourd’hui, dès qu’il y a un soupçon sur un pesticide ou sur un colorant, tout le monde monte au créneau.

Vous voulez que le prix du paquet de cigarette grimpe à 10 euros. Y-croyez-vous ?

Oui, je pense qu’on va y arriver. C’est un choix politique de l’ordre de l’abolition de la peine de mort. J’aimerai que ce soit mon gouvernement plutôt qu’un autre qui y parvienne.

Contrairement à d’autres politiciens, votre discours n’est pas aseptisé. Vous ne faites pas de langue de bois. Est-ce que le fait d’être médecin change votre façon de faire de la politique ?

Oui totalement. D’autant que j’ai commencé la politique très tard. J’avais 60 ans. Je suis beaucoup plus médecin que politicienne. Je trouve que cela m’a donné une très grande force en politique. Je suis convaincue qu’il faut faire de la politique au service d’une cause. Etre engagé et avoir un combat, c’est très important.

Vous avez été témoin pendant le procès en appel du Dr Bonnemaison. Il a écopé de deux avec sursis, comment jugez-vous cette peine ?

Je ne vais pas parler de la décision qui a été prise mais une peine symbolique peut avoir un sens puisque de facto il a violé la loi. Elle aurait pu avoir un sens au premier procès, mais maintenant ? Cet homme vit un martyr depuis 4 ans. Il a perdu son titre de médecin, sa profession. Il a été mis à nu devant les tribunaux. La mort de son père a été étalée. C’est une personnalité meurtrie. Je redirais juste ce que j’ai dit au début de ma déposition, j’estime qu’après plus de 4 ans de procédure, il a été assez pénalisé.

Je ne suis pas du tout partisante de l’euthanasie. Je pense que nous ne sommes pas prêt ni intellectuellement ni moralement à mesurer tout ce que cela représente. Cela me fait froid dans le dos de penser que l’on pourrait légiférer la dessus. Comme je l’ai dit lors du procès, dans le colloque singulier entre un agonisant et un médecin, il y aura toujours un espace où la loi ne pourra pas intervenir. C’est certain. Elle ne peut pas intervenir partout.

N’êtes-vous pas lassée de ce combat politique permanent ?

En tant que ministre des personnes âgées, je me suis vraiment battue. J’avais fait de belles choses comme la mobilisation nationale contre l’isolement, la silver economie. A mon sens, j’avais fait le job. J’y avais mis beaucoup d’engagement et de force. C’est pour cela que j’ai très mal vécu le remaniement.

Je pense que l’on ne peut pas faire de la politique toute sa vie. Il ne faut pas en dépendre. Le jour où on dépend de la politique, on est moins libre.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin