A l’heure où la délégation de tâches et les pratiques avancées intégrées à la loi de santé suscitent des craintes chez la plupart des généralistes, quelques médecins ont déjà pris l’habitude de confier certains actes à des infirmiers aux compétences élargies. Ils garantissent une meilleure qualité des soins, et un gain de temps au quotidien.

 

“J’étais sur le point d’arrêter mon activité d’infirmière libérale quand je suis tombée sur une petite annonce pour devenir infirmière Asalée. Je suis devenue infirmière pour faire de la prévention en santé, mais là, je ne me retrouvais plus dans mon travail. Cette opportunité est arrivée au bon moment”, confie Corrine Pacaud.

C’est en février 2013 que la jeune femme a rejoint les rangs des quelque 300 infirmières aujourd’hui intégrées au dispositif Asalée, pour “Action de santé libérale en équipe”. Elle travaille à temps plein aux côtés des médecins de la maison médicale de Chatillon-sur-Thouet, dans les Deux-Sèvres, où elle dispose de son cabinet de consultations.

“Le cœur de métier des infirmières Asalée, c’est de faire de l’éducation thérapeutique. Mais elles ont aussi des dérogations pour pratiquer quelques actes”, explique le Dr Jean Gautier. Médecin généraliste, il est l’un des initiateurs de ce dispositif, mis en place il y a plus de dix ans. Parmi les compétences de ces infirmières au statut particulier, on trouve le suivi des patients diabétiques, des patients à risque cardiovasculaire, des patients tabagiques à risque BPCO et des consultations de repérage des troubles cognitifs. Dans ce cadre, elles peuvent prescrire et réaliser des examens à la demande des médecins.

 

Valeur ajoutée pour le médecin

“Il faut voir leur travail comme une valeur ajoutée pour le médecin, pas comme une soustraction d’actes, assure le Dr Gautier.On ne peut pas dire qu’on donne des actes aux infirmières. Chez nous, elle est dans le bureau d’à côté, elle voit les patients, nous aide à vérifier que les dossiers sont complets. Le cas échéant, elle nous en parle ou nous supplée pour ces prescriptions. Le médecin garde son travail de synthèse.”

Prévues par l’article 30 de la loi de santé, les pratiques avancées font bondir de nombreux médecins généralistes. Certains dénoncent “la vente de la médecine générale par appartements”, quand d’autres redoutent que le fait de confier de petits actes aux infirmiers pour ne garder que les actes complexes remette en cause leur modèle économique.

“Ce n’est pas du tout ça ! Ceux qui disent ça sont dans une opposition idéologique sur le sujet, poursuit le généraliste.Moi aussi je suis médecin libéral, moi aussi je tiens à mon modèle économique. On sait bien qu’il y a un certain nombre de garde-fous à mettre en place dans cette affaire. On ne tient pas à déléguer des actes qui portent atteinte à notre modèle.”

Les responsables du dispositif Asalée ont été invités à participer aux prochains groupes de travail mis en place par le ministère de la santé sur les pratiques avancées. “Aujourd’hui, les pratiques avancées, c’est nous. Il faut m’expliquer où il y en a ailleurs. Nous allons donc expliquer ce que nous avons mis en place, et qui fonctionne. Maintenant, c’est vrai, les pouvoirs publics peuvent dévoyer ce dispositif. Tout est possible. Il faut être vigilant.”

“Nous sommes vraiment au cœur d’une équipe, assure pour sa part l’infirmière Corrine Pacaud.Il y a une véritable coopération avec les médecins. Leur confiance est une plus-value donnée à notre métier. Je dois dire que c’est assez rare quand on est infirmière.” Elle ajoute d’ailleurs que les tensions que peuvent connaître les infirmières Asalée vis-à-vis de leur statut particulier viennent plutôt des infirmiers libéraux que des médecins généralistes. “Nous ne sommes pas des petites médecins ! On reste des infirmiers. C’est eux qui ont peur qu’on leur prenne leur travail ! Il faut les rassurer, leur expliquer qu’on ne fait aucun soin.”

 

Gagner du temps

Pour obtenir le poste, la jeune femme a suivi deux formations de trois jours chacune, et trois jours de “compagnonnage” en binôme avec une infirmière Asalée expérimentée. “Les patients sont surpris qu’on soit à leur écoute, qu’on ait du temps. Pour les premières consultations, je prends toujours une heure. Le médecin connaît leur pathologie, mais nous, on va les accompagner, les connaître, voir ce qu’ils connaissent de leur maladie. Et ça marche, j’ai des patients diabétiques qui recommencent à se soigner.”

“Quand on a une grosse activité, ça nous permet de gagner du temps et de mieux faire notre travail, assure le Dr Jean Gautier. Ce matin, par exemple, j’ai eu deux patients diabétiques avec un dossier assez lourd. L’infirmière les a vus, elle a fait l’examen des pieds au mono filament, l’électrocardiogramme, et je les ai pris ensuite en consultation pour leur traitement. On peut considérer que j’ai gagné du temps.”

Le généraliste explique que le dispositif n’a pas été pensé pour organiser une délégation de tâches, mais pour améliorer la qualité des soins des patients atteints de maladies chroniques. “Et sur ce point, il y a de vrais résultats. Ça a été mesuré”, ajoute-t-il. En effet, une étude de l’Irdes de 2008 portant sur le suivi des patients atteints de diabète de type 2 montrait que les patients inclus dans le dispositif Asalée voient leur équilibre glycémique s’améliorer davantage que dans le groupe témoin. L’étude montrait aussi que ces patients réalisent plus systématiquement les examens de suivi, sans coût supplémentaire significatif pour l’Assurance maladie. Une autre enquête est actuellement en cours pour évaluer le gain de temps offert aux généralistes. Les premiers résultats devraient être connus avant la fin de l’année.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier