Parti en quête du “ressort du désir féminin”, l’anatomiste italien, Realdo Colombo, découvre au milieu du XVIème siècle, l’Amor Veneris (l’Amour de Vénus), c’est-à-dire le clitoris. Une incroyable découverte, que contestent ses confrères anatomistes, mais qui va laisser bien des médecins perplexes pendant encore de nombreuses années.

 

Realdo Colombo est né à Crémone en 1510. Après avoir étudié l’anatomie à la très prestigieuse Université de Padoue, où il a comme professeur André Vésale, il passe une grande partie de sa carrière à l’université papale de Rome où il est nommé médecin personnel du pape Jules III. En 1559, il écrit son grand traité d’anatomie De re anatomica, dans lequel il évoque les prémices de la théorie du sang.

Mais c’est une autre trouvaille évoquée dans cet ouvrage, qui va attirer l’attention : celle de l’Amor Veneris, le clitoris. “S’il est permis de donner un nom aux choses découvertes par moi, cela devrait être appelé l’amour ou la douceur de Vénus. On ne peut dire à quel point je suis surpris par le fait que de si nombreux remarquables anatomistes ne l’aient pas détecté”, écrit-il.

 

Des heures à disséquer et examiner des cadavres de femmes

On a rapporté que l’anatomiste devait cette découverte à une prostituée vénitienne, une certaine Mona Sofia dont Colombo était éperdument amoureux. Il lui aurait juré de trouver “le ressort du désir féminin”. Il aurait donc passé des heures à disséquer et examiner des cadavres de femmes, sans résultat. Mais, un jour, appelé au chevet d’une patiente agonisante, il aurait eu l’idée de glisser sa main entre les cuisses de sa jeune patiente qui, tout à coup, était en meilleure forme. L’anatomiste aurait alors compris qu’il était près du but : il se rapprochait du “siège du plaisir féminin”… En bon scientifique, il serait donc retourné explorer ses cadavres, là encore sans résultat. Il y a bien un organe, mais il ne semble pas produire l’effet escompté. C’est finalement sur des patientes bien vivantes, des prostituées de Padoue, que Colombo apportera les preuves de sa découverte.

Cette histoire, a été racontée par l’écrivain argentin Federico Andahazis dans une biographie de l’énigmatique anatomiste du pape. L’auteur a très certainement ajouté un peu de fiction à la réalité. Ce qui est sûr en tous cas, c’est que la découverte de cet Amor Veneris relatée dans le traité d’anatomie de Colombo n’est pas passée inaperçue. L’anatomiste s’est attiré les foudres de ses collègues. A commencer par Gabrielle Fallopia, connu pour avoir découvert les trompes de Fallope. Ce dernier a assuré avoir été le premier à parler du clitoris, sous le nom de pudendum, un organe qui “est si caché que j’ai été le premier à le découvrir… et que si d’autres en ont parlé, sachez qu’ils l’ont pris de moi ou de mes étudiants”, assure-t-il.

 

Dès l’Antiquité, les médecins ont décrit, situé et nommé le clitoris

Mais en fait, les deux italiens se trompaient : la découverte du clitoris, que les médecins ont souvent considéré comme le “pénis de la femme”, est bien plus ancienne. Un siècle après Colombo et Fallopia, l’anatomiste néerlandais Reinier de Graaf, se moque de cette découverte en montrant que, dès l’Antiquité, les médecins ont décrit, situé et nommé le clitoris. D’ailleurs, il a une explication très personnelle concernant la présence sur le corps féminin de cet étrange organe. “Si cette partie des organes génitaux n’avait pas été dotée d’une sensibilité si vive au plaisir et à la passion, aucune femme ne voudrait assumer la fastidieuse affaire de gestation longue de neuf mois, le douloureux et souvent fatal processus d’expulsion du fœtus et l’angoissante tâche d’élever des enfants.”

Comme le rappellent Mark Stringer et Ines Becker dans une étude publiée en 2010 dans l’European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology, citée dans un article du blog Passeur de sciences, “le clitoris était connu des auteurs grecs, persans et arabes qui écrivaient sur la médecine et la chirurgie, même s’il y avait de nombreuses idées fausses sur sa fonction”. Hippocrate, le surnommait “le serviteur qui invite ses hôtes” et on le retrouve chez plusieurs chercheurs sous les noms de “douceur de l’amour”, “frénésie de Venus”, “siège de désir” ou “aiguillon du désir”. C’est finalement un terme grec moins romantique qui s’est imposé : le “kleitoris”.

 

Le mal-aimé de l’anatomie féminine

Après Colombo, l’existence du clitoris ne fait presque plus aucun doute. Il est présent sur les dessins anatomiques… Mais reste le mal-aimé de l’anatomie féminine. Car au XVIIIème siècle, le plaisir féminin est un tabou. La masturbation est considérée comme un pêché absolu, qui fait obstacle à la procréation, et favorise les cancers ou la dépression, comme l’explique le médecin suisse Samuel Auguste Tissot. C’est à cette époque qu’ont lieu les premières interventions chirurgicales pour “endormir” le clitoris. D’autres médecins en revanche, préconisent, comme dans l’Antiquité, de le stimuler pour soigner les femmes de l’hystérie. Ce sont les débuts du vibromasseur. Bref, on ne sait pas trop quoi faire de cet organe… Certains, par idéologie considèrent donc qu’il est préférable de ne pas en parler du tout. Ainsi, au début du XXème siècle, on trouve encore des traités d’anatomie qui n’en font pas mention. Il faudra attendre la seconde moitié du XXème siècle et la libération sexuelle pour le clitoris devienne une évidence et qu’on admette qu’il n’a aucun rapport, ni avec la fertilité, ni avec les humeurs des femmes. Il était temps.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

D’après Le Regard de l’anatomiste : Dissections et invention du corps en Occident, de Rafael Mandressi, les blogs Passeurdesciences.fr et Racontemoilhistoire.com