“Médecin rêvant de guérir le monde de son injustice…” comme il se décrit lui-même, le Dr Jean-Marc Fauché est praticien hospitalier en service de médecine à l’hôpital de Guérande. Candidat à l’élection présidentielle de 2012, il compte se représenter en 2017… En attendant, il vient de publier une lettre ouverte à l’attention de Marisol Touraine dans laquelle il s’insurge contre l’objectif de suppression de 25 à 30 lits dans son service. Nous publions la missive sur Egora.fr, suivie d’une interview du Dr Fauché.
 

 

Guérande le 17 septembre 2015
 

Mea-culpa !

 
Lettre ouverte à Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Praticien hospitalier en service de médecine à l’hôpital de Guérande, j’apprends que l’ARS demande à l’établissement de se restructurer avec comme objectif la suppression de 25 à 30 lits de médecine. Le motif exposé étant un écart statistique de DMS (durée moyenne de séjour) avec les autres établissements…

Or la DMS est directement liée aux décisions des médecins puisqu’ils planifient des entrées et sorties des patients. Je me sens donc directement visé par les reproches de l’ARS comme responsable de la faillite de l’établissement et des multiples conséquences désastreuses pesant sur le personnel de l’hôpital et la population locale. Par ma faute certains perdront leur emploi, d’autres devront travailler ou se faire soigner à plus de quinze kilomètres d’ici.

Mea-culpa donc ! Malgré près de dix ans de carrière hospitalière, malgré la multiplication des réunions “qualité” au sein de l’hôpital, je n’ai pas su améliorer mes pratiques professionnelles :

Tout d’abord à l’admission : Je n’ai pas su sélectionner les bons patients, ceux qui ont des pathologies simples, vites guéries, et ne présentant pas de problématique sociale associée… au lieu de cela j’ai admis des patients polypathologiques avec parfois même des problèmes cognitifs et sociaux rendant la prise en charge lourde et le retour à domicile complexe voire parfois impossible. Ces patients encombrants que les services d’aval redoutent à juste titre puisque délétères pour leurs statistiques. Que ne me suis-je inspiré des “bed managers” que l’on voit apparaître ça et là aujourd’hui sachant flairer dès les urgences le patient rentable pour leur établissement ? Mea-culpa !

Ensuite pendant le séjour : Depuis longtemps j’ai développé des pratiques déplorables consistant à chercher au delà du simple motif d’entrée… pourquoi s’inquiéter de troubles de la mémoire ou d’une perte de poids chez un patient qui vient pour une bronchite ? Automatiquement ce type de comportement et le cortège d’examens complémentaires associés rallongent les durées d’hospitalisation et leur coût… Et que dire de ces patients en fin de vie qui ne meurent pas dans le délai prévu par l’ARS ? En y mettant un peu du mien cela devrait pourtant être possible ! Mea-culpa encore !

Pour finir lors de la sortie : Quand un patient est stabilisé pourquoi donc ai-je pris cette habitude de me soucier des conditions de retour au domicile ? Guéri donc sortant, c’est pourtant simple ! Se préoccuper des inscriptions en EHPAD, de l’organisation des aides sociales, matérielles, humaines etc… n’est sans doute pas mon rôle et ne devrait en aucun cas retarder une sortie. Mea-culpa toujours !

J’en veux à mes professeurs qui ont oublié de me former à l’économie de la santé, qui au lieu de m’enseigner l’intérêt du rapport coût /profit de la prise en charge d’un client m’enseignaient l’analyse du rapport bénéfice/risque d’un traitement pour le patient.

Heureusement la relève est là, et manifestement de nombreux confrères aujourd’hui ont su mettre à profit la mise en concurrence des établissements de santé, optimisant le codage PMSI et le parcours de soins, développant des stratégies productives et rentables, conquérants des parts de marché, et faisant de leurs établissements les fleurons de la médecine moderne que vous appelez de vos vœux !

Dans l’espoir que la fermeture de mon service ne m’amène à aller pourrir les statistiques d’un établissement voisin, veuillez croire Madame La Ministre à bla bla bla…

Dr Fauché Jean-Marc

 

Egora.fr : Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la plume pour écrire cette lettre ouverte ?

Dr Jean-Marc Fauché : J’ai écrit cette lettre après la réunion d’ une commission médicale d’établissement (CME), faisant suite elle-même à une revue annuelle des contrats de l’ARS au sein de l’établissement. Il avait été annoncé à notre direction qu’il serait bon de revoir la capacité de lit de médecine sur l’hôpital car les durées moyennes de séjour (DMS), ne collaient pas avec ce qu’ils attendaient. L’ARS a comparé nos chiffres à ceux de CHU. Elle a englobé dans notre DMS des services comme l’addictologie qui fonctionne par cure de trois semaines. Elle a aussi englobé un service de soins palliatif de six lits dans lequel il est difficile de faire sortir les patients ! Je trouvais malhonnête la façon de faire de l’ARS et j’étais révolté par cette suggestion faite à la direction de prévoir un plan de réduction de capacité de lits de médecine.

Ce plan va-t-il être effectif ?

Du côté des praticiens et du personnel de la CME, il est hors de question que l’on creuse nous-mêmes notre tombe. D’autant que sur la presqu’île de Guérande, on reçoit la moitié de nos patients des urgences venant de Saint Nazaire, l’autre moitié, des entrées directes venant des médecins traitants. Une fermeture de 25 à 30 lits pénaliseraient les urgences par un manque de lit d’aval, quant aux malades des médecins généralistes, ils seraient adressés aux urgences, au lieu de faire des entrées directes chez nous.

Vous sentez-vous visé par ce recadrage de l’ARS ?

Nous sommes montrés du doigt dans notre façon de faire, étant donné que nous décidons des admissions et des sorties. Ce sont des décisions médicales qui génèrent les chiffres des DMS. D’autant qu’un tiers de nos patients a plus de 90 ans. C’est plus compliqué de gérer les pathologies et les sorties de ces patients âgés.

Que devrait faire l’ARS ?

Plutôt que de chercher à réduire l’activité, l’ARS devrait plutôt augmenter les moyens donnés à la santé. Il y a un besoin réel. Les Français sont demandeurs de soins. Il faut aussi accepter de payer le prix de la santé. Je serai même partisan d’une hausse des cotisations sociales. Je sais que ce n’est pas le cas de la plupart des Français mais à un moment donné, il faut choisir.

Vous êtes candidat à l’élection présidentielle de 2017. Quelle est votre démarche ?

Ma candidature n’a aucun lien avec cette lettre ouverte. J’étais d’ailleurs déjà candidat en 2012. Je n’ai aucune espérance mais je souhaite exprimer des idées qui ne sont véhiculées par aucun personnage politique actuel. Je donne ma vision de la société telle qu’elle devrait être.

Quelle est votre proposition phare ?

Il est difficile de n’en citer qu’une. Mais par exemple concernant les successions, je considère qu’à la mort de chacun, le patrimoine devrait revenir à l’ensemble de la société et non pas aux enfants. Il serait ensuite distribué équitablement à l’ensemble de la population. Dans le système actuel, le fils du patron hérite de l’entreprise et le fils de l’ouvrier hérite de la boîte à outil. Notre système favorise la transmission de gros patrimoines. Au fur et à mesure du temps, certaines personnes acquièrent un pouvoir colossal sur la société.

Quelles sont vos propositions dans le domaine de la santé ?

Je suis favorable à la suppression des mutuelles. Il faudrait que tout soit géré au niveau de la sécu et que les moyens nécessaires soient mis pour qu’elle fonctionne correctement.

Malgré le déficit ?

Le déficit est lié à la consommation de soins. A partir du moment où les gens sont malades, il faut bien les soigner.

Qu’avait donné votre candidature en 2012 ?

Rien ! Tout était verrouillé au niveau des médias mais aussi des signatures. J’avais contacté par mail un grand nombre de mairies pour avoir des signatures. J’ai dû en avoir deux. On est loin des 500 exigées. Et de toute façon, le but était surtout de partager des idées.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin