L’anatomiste allemand Gunther von Hagens est connu dans le monde entier pour ses expositions macabres de vrais corps plastifiés. Depuis 1995, il met en scène des cadavres conservés grâce à une technique de son invention qui ne cesse de faire polémique. Pourtant, le provocateur qu’on n’hésite pas à surnommé le “petit führer” est aujourd’hui à la tête d’une entreprise lucrative.

 

Génie pour les uns, profanateur de cadavres pour les autres, l’artiste-anatomiste Gunther von Hagens ne laisse pas indifférent. Depuis 20 ans, il pratique la plastination, un “art” particulier de conservation de corps morts, qu’il a lui-même inventé et breveté. Son tout premier “show” remonte à 1995, intitulée Körperwelten (les mondes des corps), l’exposition est lancée en grandes pompes au Japon. Au fil de la visite, les spectateurs observent, interloqués, pas moins de 200 corps, presque intacts et mis en scène. Parmi eux, une nageuse coupée deux, un cavalier sur son cheval censé représenter le cavalier de l’Apocalypse de Fragonard, un joueur d’échecs et son système nerveux… Les corps semblent écorchés et les entrailles sont parfaitement visibles (voir ici des photos de l’exposition). Une “œuvre” aussi macabre que fascinante. A tel point que, malgré la polémique qu’il suscite, le travail du Dr Von Hagens s’expose aux quatre coins du monde, et a été vu par 40 millions de curieux. Un véritable phénomène.

 

“J’ai voulu comprendre le système sanguin et l’anatomie”

Pour comprendre ce qui a poussé cet énigmatique scientifique à se spécialiser dans la réhabilitation de cadavres, il faut remonter au début des années 70. Le jeune homme, originaire d’Allemagne de l’Est, ancien militant du parti socialiste unifié, vient d’obtenir son diplôme de médecine et décide de se spécialiser en anatomie. Von Hagens est en effet fasciné par le corps humain depuis sa plus tendre enfance. “Lorsque j’avais 8 ans, j’ai pris une porte en fer dans la figure et j’ai dû subir plusieurs transfusions sanguines, confie-t-il à Libération, lors d’une de ses rares interviews en 2004. Dès lors, j’ai voulu comprendre le système sanguin et l’anatomie.”

En 1974, dans son propre labo de Heidelberg, il met au point une méthode inédite de conservation des cadavres, la plastination. Pour ce faire, il trempe le corps dans un bain d’acétone pour le débarrasser de l’eau et des graisses, puis il le remplit de silicone ou de résine époxy. Les corps et les organes peuvent ainsi se conserver facilement, sont inodores et surtout sont parfaitement malléables. Après les avoir installés dans la position souhaitée, le médecin les fait sécher dans une bulle de gaz. On peut alors observer toutes les complexités du corps humain, ses os, ses organes, son système nerveux ou sanguin. Il faut au total plus de 1500 heures de travail pour réaliser un corps plastiné.

 

“Je refuse de ne présenter que des poupées mortes”

Au départ, le travail de ce scientifique était simplement destiné aux départements d’anatomie des universités. Ces derniers crient au génie et commandent en grand nombre les cadavres du Dr Von Hagens. Mais, conscient de la curiosité naissante autour de son travail, il décide de le montrer au grand public. “J’ai commencé à exposer quand je me suis aperçu que la femme de ménage et le portier s’intéressaient plus à mon travail que mes propres collègues”, confie l’artiste à Libération, assurant, quand-même, œuvrer pour le bien de la science : “Aujourd’hui, les anatomistes ne s’intéressent plus à l’étude du corps en entier, ils se concentrent sur des recherches au microscope. Cette exposition permet aux gens de mieux comprendre leur corps.” Les expositions permettent aussi à Gunther von Hagens, de laisser exprimer sa créativité. “Je refuse de ne présenter que des poupées mortes”, se plait-il à dire. Ainsi, il casse les os, découpe les muscles et les organes et donne à ses cadavres d’étranges postures qui ont permis de faire de sa méthode scientifique inédite, un art si inquiétant.

Si le scientifique est devenu un artiste, il est désormais aussi un homme d’affaire à la tête d’une multinationale aussi lucrative que controversée. C’est une ancienne étudiante devenue son épouse, le Dr Andra Whalley, qui aujourd’hui se fait appeler Angelina, qui dirige la société Von Hagens depuis un siège social installé à Heidelberg en Allemagne. Et le mystère reste entier sur les bénéfices réalisés par le couple. “Nous réinvestissons 50 % des gains des expositions dans les améliorations de la plastination. Et chaque déménagement d’exposition coûte 300 000 euros”, explique Angelina. Mais avec 40 millions de visiteurs qui ont payé en moyenne 15€ leur entrée, on se doute que le business doit être juteux.

 

Plastination de deux couples en train de copuler

Un autre mystère demeure sur l’entreprise Von Hagens : la provenance des corps. L’anatomiste affirme qu’à chaque exposition, de nouvelles personnes promettent de donner leur cadavre à l’Institut de plastination. Il aurait ainsi reçu plus d’une centaine de corps et plus de 15 000 promesses de dons… C’est du moins la version officielle. Car, d’après plusieurs médias allemands Gunther Von Hagens, qui préfère travailler les corps jeunes, se serait aussi procuré des cadavres de façon beaucoup moins légale. Si le siège de son Institut est basé en Allemagne, les commandes, elles sont réalisées au Kirghizistan et à Dalian, en Chine. L’Université de cette ville portuaire a fortement insisté pour que l’anatomiste y installe ses activités et son laboratoire, un véritable bunker. Il y stockerait des centaines de corps morts parfaitement rangés, triés et numérotés, ce qui a valu à Von Hagens le surnom de “petit fûhrer” de la part de ses employés chinois. C’est en Chine aussi, qu’il aurait acheté les corps de plusieurs dizaines d’adultes, ce qu’il n’a jamais réellement nié. Il se défend, en revanche, d’avoir reçu des cadavres de condamnés à mort chinois, comme l’accuse la presse allemande.

Depuis ses débuts dans la plastination, celui que l’Allemagne a surnommé le “Dr La Mort”, ne cesse de susciter les polémiques. Les dernières en date, des photos de lui avec des stripteaseuses devant les cadavres ou encore la plastination de deux couples en train de copuler.

A chacune de ses expositions, ses détracteurs tentent de l’interdire, au nom de l’éthique et de la dignité du corps humain. En France, en 2010, la Cour de cassation a validé l’interdiction d’une exposition de corps plastinés jugeant que “l’exposition de cadavres à des fins commerciales” ne traitait pas avec “respect, dignité et décence” les restes des personnes décédées. Qu’importe, le “body world” a déjà été accueilli par 23 pays. Et, pour marquer le 20ème anniversaire de sa toute première exposition, Von Hagens a ouvert, en février dernier, un premier musée, à Berlin. Il l’a sobrement intitulé “Musée de l’Homme”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Liberation.fr, Lexpress.fr, Artezia.net et Lemonde.fr]