“Quand un médecin veut faire opérer sa mère, qu’est-ce qu’il fait ? Il regarde les classements dans la presse ou bien il appelle quelques confrères pour savoir ce qu’ils pensent du Dr X ? Bien entendu, il appelle ses confrères.” C’est ce constat qui a conduit le Dr Dupagne, créateur du blog Atoute.org, à créer un site de recommandations entre médecins, Mesconfreres.fr.

 

Le Dr Dupagne est un opiniâtre. Voilà déjà quinze ans qu’il murit son projet, celui d’un site où des médecins recommanderaient leurs confrères. En 2000, le généraliste parisien était allé présenter son idée devant le Conseil de l’Ordre.”On m’a dit que si je faisais ça, je serai radié. Ainsi que tous les gens qui y prendraient part”, confie le Dr Dupagne.Il faut dire qu’à l’époque, il baptise son idée Desbons.fr et l’Ordre y voit une démarche apparentée à de la publicité. Ce ne sera pas pour cette fois, mais le généraliste garde son idée en tête. Il est persuadé que les médecins ont besoin d’un outil qui leur permette d’avoir une idée de ce que les confrères pensent des compétences d’un médecin vers lequel ils pourraient envoyer des patients. “Je me suis dit que le projet était peut-être en avance sur son temps.”

 

“On se fout de savoir ce que les médecins pensent d’eux-mêmes”

C’est onze ans plus tard que le Dr Dupagne retourne devant l’Ordre avec son projet, qu’il a peaufiné avec l’aide de deux ingénieurs intéressés par les questions d’e-santé. Il s’appelle désormais Mesconfreres.fr et n’est pas ouvert au public, mais réservé aux médecins. On ne lui reproche plus la dimension publicitaire. Depuis, “l’Ordre observe l’évolution avec une neutralité attentive”, glisse Dominique Dupagne.

A son arrivée sur le site, encore en période de rodage, le médecin devra remplir un certain nombre d’informations relatives à son exercice. “Mais on ne lui demande pas de se décrire. Ça peut en frustrer certains, s’amuse le généraliste, mais on se fout de savoir ce que les médecins pensent d’eux-mêmes.” Ensuite, on demandera au médecin de faire cinq recommandations avant d’avoir accès à ce carnet d’adresse collectif, qui référence pour le moment autour de 200 praticiens. “Attention, on ne recommande pas un médecin, mais son activité professionnelle et pour un certain type d’actes. Tel chirurgien peut travailler dans deux endroits différents, mais je ne le recommande que dans tel service et pour la chirurgie du genou particulièrement.” A terme, quand le site sera suffisamment étoffé, l’agrégation des recommandations formera un nuage de mots-clés où plus les qualités auront été signalées, plus elles apparaîtront en grand.

Pour éviter les dérives, les contributions sont anonymes. “Mais moi, en tant qu’administrateur, je sais qui poste quoi. Ça permet d’éviter les échanges de bons procédés ou l’auto-promo. J’ai aussi tout un algorithme qui permet de repérer les comportements suspects.” Et si, malgré tout, des recommandations paraissent suspectes aux yeux des médecins participants, ils peuvent envoyer une “réticence” qui annule une recommandation.

 

“Je ne veux pas un classement, pas une compétition mais quelque chose de qualitatif”

“Il y a un côté militant dans ma démarche, reconnaît le Dr Dupagne qui d’ailleurs n’a pour le moment élaboré aucun modèle économique. Je veux réhabiliter la subjectivité. Je veux un outil qui ne soit pas un classement, pas une compétition mais quelque chose de qualitatif, qui se base sur la confiance.” Et pour illustrer son argumentation, le médecin ne manque pas d’exemples : quel meilleur moyen, pour trouver le bon médecin, que de savoir où les médecins envoient leurs proches ? Ou pour trouver le bon collège, que de savoir où les profs envoient leurs enfants ? “Je veux prouver que ça vaut mieux que les classements bidons qui utilisent des critères objectifs.”

Et son militantisme commence à payer. “Depuis cinq ou six ans, j’ai de plus en plus de jeunes médecins qui sont très enthousiastes, qui trouvent l’idée géniale et veulent participer. Il y a vraiment un fossé entre les jeunes médecins et les plus âgés. Les vieux ont un barreau dans la tête ! Parler de subjectivité, c’est un blasphème. Je pense que c’est parce qu’ils ont pu connaître pendant leurs études une subjectivité non anonymisée qui faisait des ravages. Mais l’anonymat résous bien des problèmes.”

Et contrairement aux idées reçues, ce n’est pas internet en soi qui freine les médecins les plus âgés. “Les médecins qui communiquent sur les réseaux sociaux sont plutôt des vieux. Je gère une liste de discussion entre médecins généralistes, c’est un truc préhistorique d’accord, mais il y a 1 000 messages par mois. Les vieux n’ont pas de problème avec internet.”

 

“Le seul moyen de montrer que la théorie à laquelle on croit est juste, c’est de la mettre en œuvre”

Mais il y a tout de même une règle de base : “Ils doivent en tirer un bénéfice très fort et rapide”. Ce à quoi travaille encore le Dr Dupagne sur son propre site. “Le principe est validé, mais il faut encore travailler sur la fluidité, le côté pratique du site. Et puis, il nous faut plus de matière. Je vais demander à des étudiants en médecine d’aller interroger des hospitaliers pour leur demander à qui ils enverraient leur mère. Ça fera moins vide pour les nouveaux arrivants.”

Pour l’heure, le site n’est pas ouvert à tous. Seuls une soixantaine de médecins-testeurs ont pu participer à l’expérience, qui se limite encore à Paris et à la petite couronne. Et il faut y être invité.”Ca fait quinze ans que je travaille dessus, je ne suis pas à quelques mois près”, sourit le généraliste. Ceux qui n’imaginent pas pouvoir passer à côté de cette expérience innovante ont pourtant peut-être une chance : “Nous allons bientôt lancer une nouvelle vague de tests. Nous avons besoin d’un regard neuf sur le site”, confie le Dr Dupagne qui ne se lasse pas de peaufiner son projet. “Je crois que le seul moyen de montrer que la théorie à laquelle on croit est juste, c’est de la mettre en œuvre.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier