Et le verdict est tombé, le 9 juillet dernier. Sur les 37 établissements privés d’enseignement de l’ostéopathie ayant présenté un dossier d’agrément au ministère de la Santé, 14 de ces écoles n’ont pas obtenu le précieux feu vert gouvernemental. A un jet de pierre de la rentrée de septembre, une forme de désarroi s’est emparée des étudiants qui espéraient terminer leur cursus ou le commencer dans un de ces établissements retoqués. Alors que les dirigeants de ces établissements se disent sonnés par la décision ministérielle, la profession applaudit bruyamment à ce grand ménage.

 

“Franchement, nous sommes très surpris, très étonnés. Notre cahier des charges a été publié, nous sommes installés sur 1 ha de terrain, notre clinique a été construite en 2012, les élèves peuvent loger dans des studios. Les enseignants sont tous des professionnels de santé diplômés, médecins ou ostéopathes”, énumère le Dr Christian Jeambrun, responsable du Collège d’ostéopathie du Pays Basque (et ex président du SML). Le Collège avait obtenu son agrément en 2008, il n’a pas réussi l’épreuve selon les nouvelles normes issues de la réforme actée par les décrets de septembre et décembre 2014, alors qu’il avait procédé à de lourds travaux d’agrandissement en 2012. Il fait appel de ce jugement.

 

Des écoles dans des hôtels

Appuyés par toutes les structures scientifiques et syndicales de la profession et par toutes les structures étudiantes qui appelaient à un aggiornamento, le ministère a donc pris le parti de réguler qualitativement la formation des ostéopathes. Manière aussi de réguler à moyen terme, l’indéniable pléthore démographique créée par la libéralisation de 2007, la spécialité ayant explosé à la faveur d’un article de loi peu regardant sur le cahier des charges de ces établissements d’enseignement privés. En 2010, 10 000 professionnels étaient autorisés à user du titre d’ostéopathe, on en compte 25 300 en septembre 2015 et il y en aura 30 000 prochainement. Des professionnels dont la formation couteuse (environ 8 000 euros/an) n’était pas uniforme, oscillant entre 3 et 5 ans, pénalisée par un enseignement pratique insuffisant, mal encadré. Autant de “fragilités” dénoncées par un rapport de l’IGAS publié en 2012, assorti d’une liste de recommandations, qui forment le corps de la réforme.

La loi impose désormais aux écoles de dispenser, dans un établissement dédié, un enseignement de 4 860 heures sur cinq ans, doté d’une formation clinique renforcée. Ainsi, chaque étudiant de 5ème année doit avoir effectué 150 consultations complètes validées par un ostéopathe, dont 1/3 en stage externe et les 2/3 à la clinique. Les enseignants doivent avoir une ancienneté professionnelle. Or, on a vu des écoles installées dans des hôtels, où les plus anciens enseignaient aux plus jeunes, bien incapables par ailleurs de trouver 100 patients pour leurs élèves… Elles doivent compter un formateur pour 25 étudiants, et assurer un suivi de leurs étudiants en matière d’insertion professionnelle, 18 et 36 mois après leur sortie. La Composition de la Commission consultative nationale d’agrément (CCNA), instance paritaire, a été renforcée par des membres de la profession.

 

“Les écoles étaient trop nombreuses, pas régulées”

“Maintenant, c’est clair. Nous sommes dans la même situation que les kinés. Les écoles étaient trop nombreuses, pas régulées. Maintenant, tout est net pour eux et les kinés ont un numerus clausus. Et les étudiants en ostéo bénéficieront de la même formation, partout en France”, compare Mathias Miltenberger, le secrétaire de la FédEO, l’unique association représentative des étudiants en ostéopathie.

Il reconnaît néanmoins que certains étudiants se sont trouvé le bec dans l’eau lorsque la décision de non agrément de leur école est tombée en juillet… Et la FédEO a mouillé sa chemise durant l’été pour trouver des solutions alternatives aux étudiants qui ne souhaitaient pas rester dans ces écoles, même si la plupart d’entre elles ont entamé des recours en justice pour défendre leur agrément perdu … “Il fallait bien commencer un jour. Cette réforme, nous l’appuyons, nous avons écrit à Marisol Touraine pour l’enjoindre de ne pas reculer malgré le désarroi, que nous reconnaissons, de certains étudiants “, convient le secrétaire. Le ministère a également publié sur son site, l’état de l’offre dans les établissements agréés.

Alors les dirigeants des établissements retoqués montrent les dents. Le Dr Jeambrun, du Collège d’ostéopathie du Pays basque a déposé un référé de suspension de la décision de la ministre, qui n’a pas été suivi par le juge, et un référé au fond, dont le résultat sera connu à la fin de l’année. Le Collège a formé un pourvoi en cassation du refus de référé de suspension… “Il n’y a pas eu d’audit, ni de visite sur le site, la commission consultative nationale d’agrément (CCNA) nous oppose quelques remarques copier-collées sur d’autres écoles… Nous voulons que le ministère réexamine notre dossier. De toutes manières, nous re postulerons l’an prochain”, assène-t-il. Il est vrai que les élèves peuvent rester dans une école non agréée jusqu’à ce qu’elle obtienne le précieux document et la validation des acquis se fera l’année suivante. Si l’école n’obtient pas ce sésame, les élèves pourront être reclassés dans d’autres écoles, après validation des acquis.

 

Une grosse perte financière

Mais, pour le Collège, il s’agira d’une grosse perte financière assortie de l’incertitude d’ouvrir le cursus de première année en octobre, aujourd’hui déserté par les étudiants.

Même situation pour le Campus ostéopathique Altman, à Sophia Antipolis, près de Nice. La stratégie retenue pour contester le refus d’agrément a été différente puisque l’école a choisi d’aller au Conseil d’Etat, en première instance, cet été. Et, bingo, elle a gagné.

“La ministre doit revoir sa copie. Le conseiller d’Etat a considéré à l’issue d’une audience du 17 aout, qu’il y avait un ’doute sérieux’ sur le motif avancé. La ministre doit formuler un autre avis d’ici le 28 septembre”, se félicite M Verdeil, le vice-président du campus. Il ne se cache pas que “la ministre, ensuite, fait ce qu’elle veut”… Mais en tout cas, souligne-t-il, cette confrontation estivale a été la première occasion de défendre de vive voix son dossier, et de voir les représentants du ministère.

 

“Nous avons eu de grosses défections”

“Le dialogue a été tonique, mais au moins, nous avons pu argumenter”, ajoute-t-il. Il dit attendre “sereinement” l’avis du ministère, car il a les “reins solides”, mais la situation de son établissement est très tendue. “Nous avons eu de grosses défections d’inscriptions. Les syndicats ont exercé une pression médiatique terrible. Nous avions 400 étudiants à la rentrée dernière, nous sommes tombés à 286 cette année, mais tous les membres de l’équipe enseignante sont restés”, constate-t-il.

La commission d’agrément a-t-elle mal fait son travail, ou du moins hâtivement ? La plupart des demandes de suspension ont été rejetées par les juges des référés, mais un agrément provisoire a été accordé à l’Andrew Taylor Still Academy de Limonest, dans le Rhône, en attente d’un nouveau jugement, par exemple.

Membre de cette CCNA contestée, Thibaud Dubois, du Syndicat français des ostéopathes (SFDO), défend le travail effectué. “La commission a été nommée en mars, elle a effectué un travail technique, objectif et juridique”, argumente-t-il en rappelant qu’il soutient la réforme et qu’il a enjoint lui aussi par courrier la ministre de ne pas céder.

“Nous sortons de 7 années de dérives, brocardées par l’IGAS. L’objectif de cette réforme n’est pas à la régulation quantitative, mais à la bonne formation. C’est la loi de l’offre et de la demande qui fera la régulation. Or, les Français nous plébiscitent, il y a eu un accroissement de 25 % de la demande depuis 2010. Selon un sondage Opinion way, 49 % des Français ont déjà eu recours à nous en 2015, contre 40 % en 2010…” se félicite-t-il.

Evénement inhabituel pour Marisol Touraine ce mardi, des délégations du SFDO ont manifesté dans plusieurs villes de France pour clamer leur soutien à sa réforme et lui demander de tenir bon. Franchement, le monde tourne à l’envers…

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne