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TEMOIGNAGES – 26 décembre 2004 : “Je plongeais à Phuket quand le tsunami a ravagé la côte”

En décembre 2004, Bruno Lartigue, urgentiste chez les pompiers de Paris, est en vacances à Phuket avec sa famille, quand un tsunami touche les côtes thaïlandaises. Après avoir réalisé l’ampleur de la catastrophe, il se porte volontaire pour organiser les secours sur place… Et identifier les nombreuses victimes. Une expérience qui a marqué sa vie et sa carrière professionnelle.

 

“En décembre 2004, j’étais en vacances en Thaïlande en famille. C’était tout à fait comme on peut se l’imaginer : de belles plages, un superbe soleil… Et comme je suis féru de plongée nous avions prévu une sortie de plongée le 26 décembre, le jour de mon anniversaire. C’est ce qui nous a sauvés. Car, la plupart des gens qui étaient sur la plage de l’hôtel au même moment sont morts.

Ce dimanche matin, nous partons donc plonger de très bonne heure. On a vite eu la sensation qu’il se passait quelque chose. Il faut savoir qu’en Thaïlande, il n’y a presque pas de courant, et alors qu’on plongeait, on s’est aperçu qu’il y a avait un courant anormalement violent. On est donc remontés sur le bateau en urgence. Et on n’a rien vu d’extraordinaire à la surface de l’eau, il y avait même un soleil magnifique. Le conducteur du bateau a juste constaté qu’il avait dérivé de manière anormalement importante, et qu’il devait se passer quelque chose. Le contact avec la côte était un peu perturbé et on nous a demandé, sans explications, de rester au large. On est resté bloqués, avec plusieurs autres bateaux, au large pendant trois à quatre heures.

 

Un bilan humain énorme

Dès qu’on a eu l’autorisation d’accoster, en se rapprochant de la côte on a vu que l’eau devenait de plus en plus marron. On a vu des corps qui flottaient au milieu des troncs d’arbres. On s’est rendu compte qu’il y avait eu un problème. En arrivant, on nous a transportés à l’hôtel, où on est resté cantonnés.

Moi à l’époque j’étais médecin urgentiste à la brigade des pompiers de Paris, une unité militaire. A l’époque, dès qu’on partait à l’étranger, il fallait le signaler et informer de notre destination. Il fallait aussi avertir notre hiérarchie de tout ce qui était anormal. J’ai suivi les consignes et le médecin chef de la brigade m’a dit : “Essayez de voir si vous pouvez vous rendre utile et rendez-moi compte”. J’ai donc pris contact avec l’ambassadeur et j’ai travaillé avec lui pour réfléchir à la meilleure organisation pour venir en aide aux victimes françaises qui étaient sur place.

Je me suis rendu compte très vite que cet événement allait être dramatique. J’avais fait mes réservations d’avion et d’hôtel très tard avant de partir. Et j’avais conscience que toute la capacité hôtelière de la région était utilisée à son maximum. Et bien sûr comme tous les hôtels sont en bord de plage, il était évident que le bilan humain allait être énorme.

 

Identifier les victimes

Il n’y avait en fait pas de grosses opérations de réanimation, pas de blessés lourds. Les victimes avaient des égratignures, des plaies, des blessures de traumatologie, des retentissements psychologiques… Ou bien étaient mortes. Il n’y avait pas d’entre deux. Dans un épisode de tsunami, les victimes qui se retrouvent inconscientes, par un traumatisme crânien par exemple, sont finalement mortes noyées.

A Phuket, la traumatologie a été prise en charge par les hôpitaux locaux qui étaient aptes à gérer la situation. Ce n’était pas comme en Indonésie par exemple. Ici, les structures hospitalières étaient à même de gérer la situation, et même s’il fallait écluser le volume, la technicité médicale et de prise en charge était présente.

Sur place mon travail était de m’assurer que ces structures locales étaient bien en ordre de marche pour prendre en charge les blessés français. Ensuite, il y avait la partie identification des victimes. C’était le gros de notre travail, et le plus délicat. La zone touchée était très vaste. Nous avons travaillé avec les secours de chaque pays pour harmoniser les méthodes d’identification des victimes de toutes les nationalités, pour pouvoir travailler le plus vite possible, et prévenir les familles. C’était la première fois qu’on se retrouvait en situation d’être impacté avec autant d’occidentaux loin de l’Europe. La France n’avait aucune expérience de ces situations.

 

Première fois que j’avais été confronté à une urgence de cette ampleur

Nous faisions des croisements d’informations entre ce qu’on pouvait trouver sur place et les éléments que nous donnaient les proches. On utilisait des empreintes dentaires, des tests ADN. Il fallait s’assurer de faire le moins d’erreurs possibles. Il nous fallait trois éléments d’identification, puis on faisait des “cross match”… Un cadre d’identification a été validé par les nations représentées.

Je suis resté 15 jours, pour organiser les secours et pouvoir passer le relais à d’autres. J’avoue, c’est la première fois que j’avais été confronté à une urgence de cette ampleur. Bien qu’en tant que médecin chez les pompiers de Paris, j’ai rarement été déçu. J’ai été sur les plus grands feux d’immeubles d’habitation parisiens. Il se trouve que j’étais toujours de garde ces soirs là, tout comme le jour de l’effondrement du terminal 2 Eà Roissy. Mais, le tsunami a été l’urgence de plus grande ampleur sur laquelle j’ai été amené à travailler.

Personnellement, ce 26 décembre 2004 m’a permis de prendre du recul, de relativiser les petites contraintes personnelles et professionnelles. Ce qui nous semble important devient vite très relatif.

Professionnellement aussi cela m’a marqué. Arrivé à Paris, j’ai participé aux réflexions sur la gestion de ce genre d’évènement et d’urgence. Cela a abouti sur la mise en place du centre de crise du Quai d’Orsay et la création de l’Eprus (Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) et ses réservistes sanitaires. A l’époque Xavier Bertrand était ministre de la santé et il a demandé la mise en place d’un dispositif qui pouvait à la fois permettre à la France de planifier ses secours, de mobiliser des moyens humains, de les équiper, de les former et de s’approvisionner, via l’armée, en médicaments. Tout cela est né du retour d’expérience de cette catastrophe. Quant à moi, j’ai été détaché auprès du directeur de l’Eprus pour la mise en place de l’établissement et de sa réserve sanitaire, que j’ai accompagnée pendant 6 ans. La tournure de ma carrière professionnelle a été profondément liée à cette expérience lors du tsunami de 2004.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu