Plus de 25% des généralistes français ont plus de 60 ans, des papys boomers qui espèrent bien profiter d’une retraite bien méritée. Mais pour beaucoup d’entre eux, surtout dans les campagnes, trouver un successeur à qui confier ses patients se révèle être un véritable parcours du combattant. Si certains repoussent la date de leur départ, d’autres se résignent, à contre cœur, à fermer définitivement leur cabinet.
Difficile aujourd’hui d’imaginer que le 16 boulevard Victor Hugo, à Bergerac, abritait il y a peu un cabinet de médecine générale. Le médecin qui l’occupait, le docteur Jacques Séret a retiré définitivement sa plaque il y a un peu plus d’un an, après un an et demi de recherche d’un successeur, en vain. “Je n’étais pas très bien à l’idée de partir, avoue-t-il aujourd’hui. Mais les jeunes veulent travailler de façon plus “normale”, ils ne veulent plus faire de l’artisanat comme on l’a fait, 70 heures par semaine. Et c’est compréhensible.” Il a désormais réaménagé le local en domicile où il profite de sa retraite après s’est résigné à laisser sa patientèle, achetée en 1974.
“De plus en plus de jeunes médecins se dirigent vers le salariat”
Avec 22 264* médecins généralistes de plus de 60 ans en France, les annonces de recherche de successeur se multiplient dans les conseils ordinaux et les sur les sites spécialisés. Mais si les futurs ex-médecins sont nombreux dans les régions françaises, les candidats à la reprise, eux, ne se bousculent pas. Loin de là. “Il y a deux problèmes, constate le Dr Jean-François Rault, président de la section démographique au Conseil national de l’Ordre. Déjà étant donné l’âge des médecins, il y a plus de départs que d’arrivées, c’est une règle mathématique simple. Ensuite, quand ils débutent, de plus en plus de jeunes médecins se dirigent vers le salariat. On constate quand même que cinq ans après leur inscription à l’Ordre, 40% des médecins font du libéral, et que ce nombre a augmenté de 5% l’an dernier.” Pour le conseiller ordinal, si on est bien en période de “disette démographique”, la situation devrait logiquement s’améliorer dans les années qui viennent.
Mais en attendant, pour les papys boomers qui préparent leur cessation d’activité, c’est le parcours du combattant. C’est précisément ce que vit actuellement le docteur Yvan Sobolewski, 65 ans, installé à Nœux-les-Mines dans le Nord de la France. Dans ce cabinet de quatre généralistes, trois vont prendre leur retraite l’année prochaine. “En fait, explique le docteur Sobolewski, on était deux à vouloir partir, le troisième aurait bien continué un peu, mais il a eu peur de la charge de travail qui allait lui rester.” Les trois médecins ont bien sûr tout tenté pour trouver un ou plusieurs praticiens à qui confier leurs patients. “Et on cède tout gratuitement, on ne demande pas un centime pour la patientèle”, insiste le généraliste. Après des mois d’annonces via les conseils ordinaux, les facs, les syndicats et la presse spécialisée… Rien de concret. “Je suis résigné, je sais qu’on ne trouvera certainement pas. Mais on va continuer à chercher jusqu’au bout.” Ce sont finalement des spécialistes qui devraient venir occuper les locaux vacants du cabinet, ce qui attriste beaucoup le généraliste. “Ça me désespère. Moi je suis né ici, je ne suis parti que pour faire mes études et je suis revenu m’installer dans la ville de mon enfance. Je suis très triste de laisser mes patients.” Alors, le médecin prend du temps pour leur expliquer qu’ils doivent penser à chercher un nouveau médecin. “Ils sont inquiets, mais ils comprennent que j’ai envie de partir, de respirer. Je suis à un âge où beaucoup de Français sont déjà à la retraite.”
“Ils ne sont pas pressés de s’installer”
A l’autre bout de la France, le Dr Patrick Olombel, est installé à tout juste 30 km de Montpellier, et, à presque 64 ans, il aimerait prendre sa retraite l’année prochaine. Pour le médecin, impossible financièrement de céder gratuitement sa patientèle, comme le font la plupart des généralistes aujourd’hui, il espère donc la vendre. Et il ne partira qu’une fois qu’il aura trouvé un remplaçant. “Comme je suis prévoyant, je m’y suis pris un an à l’avance pour chercher mon successeur. J’ai eu beaucoup de stagiaires de 3ème cycle à qui j’ai proposé de reprendre. Mais ils me disent qu’ils ne sont pas pressés de s’installer, qu’ils préfèrent faire des remplacements… En fait les jeunes ont plutôt envie de s’installer à plusieurs et dans une grande ville.”
Depuis avril 2014, le Dr Olombel diffuse des annonces un peu partout… Et il a reçu deux candidats, déjà installés dans une autre région, qui n’ont finalement pas donné suite. Si le médecin est déçu par ces retours infructueux, il n’est pas tellement surpris. “J’ai été professeur de médecine générale pendant plusieurs années, j’ai bien vu que les mentalités des jeunes avaient changées. Ils veulent faire de la médecine et ne veulent plus de problèmes administratifs. C’est pour ça qu’ils préfèrent les remplacements. Et je les comprends.”
Une petite annonce sur le réseau social Facebook
Dans le nord de la France, le Dr Sobolewski aussi comprend bien le désamour des jeunes médecins pour la médecine libérale et l’installation. “Les jeunes ont envie de salariat, parce qu’ils ont envie d’avoir la même qualité de vie que les autres, et je les approuve, c’est entièrement normal”, remarque-t-il. D’ailleurs, le médecin qui est aussi conseiller municipal de sa ville en charge de la santé, est en train de monter un projet de centre municipal de santé, “où les médecins seraient en CDI et seraient payés 5000 euros net par mois, parce que 3700 euros, comme cela se fait ailleurs, ce n’est pas suffisant”. Une belle solution pour trouver un généraliste à qui confier ses patients.
Moins révolutionnaire mais nettement plus simple, le docteur Pierre Blandeau a semble-t-il trouvé une autre solution pour dénicher un successeur. Après être passé par tous les biais “classiques”, il a décidé de poster une petite annonce sur le réseau social Facebook. Un message partagé 60 000 fois et fortement repris par les grands médias français. Résultats, en une semaine, beaucoup de messages de soutiens et quelques candidatures qui semblent bien parties pour se concrétiser. Un happy end qui a remis du baume au cœur au généraliste. “Je voudrais dire aux étudiants de ne pas avoir peur de ce métier qui a bien sûr beaucoup de contraintes, mais qui apporte beaucoup de satisfactions. Bien sûr cette future loi santé gâche tout, mais il reste les rapports humains et l’aide que l’on peut apporter en écoutant nos patients et leur souffrance. J’espère pouvoir remettre mes dossiers à un futur médecin de famille comme je l’ai été pendant plus de 37 ans”, écrit-il aujourd’hui sur sa page Facebook.
* Selon les chiffres de la Carmf.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu