En proie à la désertification, la France manquerait de médecins… Vraiment ? Avec plus de 280 000 médecins inscrits à l’Ordre, notre pays n’a jamais compté autant de médecins. “Nous sommes un poids lourd en Europe en terme de démographie médicale”, a assuré le Dr Patrick Bouet, ce matin, lors de la présentation de l’Atlas 2015 de la démographie médicale, avec pour ambition de tordre le cou aux idées reçues.
 

 

“On dit qu’il n’y a plus de médecins en France. Les territoires se vident de leurs médecins. Pourtant, avec 281 087 médecins inscrits au tableau de l’Ordre en 2014, la France n’a jamais compté autant de médecins !, explique Jean-François Rault, président de la section démographie médicale au CNOM. En fait, on le doit surtout à la progression des retraités inscrits. Le nombre de retraités a augmenté de 75 % depuis 2007 !”

Pourtant, si le nombre global de médecins est bien en augmentation, les généralistes, eux, poursuivent leur déclin. Avec 58 000 généralistes en activité régulière, libérale ou mixte, la population enregistre une baisse de plus de 10% depuis 2007. “La descente est constante et va continuer. On s’attend à une baisse de près de 7% d’ici 2020”, ajoute le Dr Rault.

 

Les retraités actifs n’exercent pas en zone sous-dotée

Avec plus de 120 000 médecins de plus de 60 ans, la population est donc franchement vieillissante. “Les plus de 65 ans représentent 44% des médecins”, poursuit le généraliste. A ce papy-boom, plusieurs explications. “Le déplafonnement du cumul emploi-retraite en 2009 a vraiment incité les médecins à continuer leur activité. Mais il faut aussi voir que beaucoup restent parce qu’ils ne trouvent pas de successeur ! C’est un gros problème. Et puis, la médecine, ce n’est pas que du labeur, du sang et des larmes ! Certains restent pour le plaisir.”

Alors cette augmentation de médecins retraités et encore actifs pourrait-elle être une solution à la désertification ? Non, répond le Dr Rault, il ne faut pas y compter. “Les retraités actifs exercent en zone sur dotée ou dotée normalement, et restent 4 ou 5 ans, pas plus. Ceux qui sont en zone sous dotée sont généralement épuisés et s’arrêtent.” Par ailleurs, ils ont tendance à réduire leur activité. Ainsi les généralistes de plus de 65 ans travaillent 25% de moins que leurs confrères.

Les médecins retraités ne sauveront pas les déserts. Soit. Quid, alors, des médecins étrangers ? “Les médecins qui obtiennent leur diplôme hors de France choisissent plutôt le salariat, et s’installent en zone surdotées. Il ne faut pas compter sur eux pour compenser les pertes”, tient à clarifier le Dr Jean-François Rault.

En médecine générale, pourtant, des chasseurs de tête parviennent à faire venir des généralistes roumains dans les villages français. “En Roumanie, les médecins sont payés autour de 700 euros par mois. On leur dit qu’en France, c’est beaucoup plus. Mais on ne leur parle pas des impôts, des charges et de la lourdeur de l’activité. Et combien de maires qui avaient mis un cabinet à disposition du médecin ont eu la surprise un beau matin de trouver le cabinet fermé ? Ils sont seuls, leur famille est restée dans leur pays, et ils ne tiennent pas”, assure le Dr Patrick Romestaing, vice-président du CNOM, avant d’ajouter : “La Roumanie a perdu 13 000 médecins en trois ans… Il faut engager une réflexion européenne sur le sujet.”

 

Remise en question du numerus clausus

Un point de vue partagé par le médecin et ancien député Olivier Véran. “Il y a quelques temps, j’ai rencontré le ministre de la Santé roumain. Il m’a demandé que l’on arrête, en France, de payer des gens qui viennent piquer les médecins de leur pays. Ca créé des déserts chez eux ! Il faut que nous ayons une attitude plus éthique. Pas un radiologue ne s’est installé à Madagascar, au Sénégal, ces dernières années alors qu’on en a cinq par an en France. Nous n’avons pas vocation à garder ces étudiants !” Pour Olivier Véran, il est temps de faire du numerus clausus une question européenne, et non plus nationale. “La France s’inscrit dans un territoire, où les médecins, mais aussi les patients, sont libres de circuler. Il y déjà mille façons, pour les étudiants, de contourner le concours. Est-ce qu’on préfère continuer à aller chercher des médecins étrangers, ou en former plus, quitte à les exporter ?”, s’interroge le neurologue.

Mais si la France compte plus de médecins que jamais, la problématique est donc davantage liée à leur répartition qu’à leur nombre. “Les difficultés de l’accès aux soins ne relèvent pas du nombre d’inscrits. C’est un vrai problème, c’est l’implantation des médecins sur le territoire”, remarque Danièle Desclerc-Dulac, présidente du Collectif interassociatif sur la santé. En effet, les disparités territoriales demeurent importantes. A titre d’exemple, l’Ile-de-France est la région qui a connu la plus forte baisse de médecins généralistes depuis 2007, avec 17% de médecins en moins, suivie de près par les régions Bourgogne et Centre, alors que l’Alsace enregistre la plus faible diminution avec seulement – 3,6% de généralistes. Le CNOM pointe deux causes dans ces diminutions ciblées : l’attractivité de la zone ou le prix excessif du foncier. A Paris, la ville propose d’ailleurs depuis quelques mois des locaux à loyer modérés pour faire revenir les généralistes. Dans les régions où c’est davantage l’attractivité qui pose problème, “le modèle reste à construire”, reconnaît le Dr Patrick Romestaing.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier