Après quatre années passées à faire des remplacements, le Dr Lori Savignac-Krikorian, 31 ans, fera lundi son premier jour de médecin installé. Et avec cette installation, ce sera la fin des tourments administratifs, des galères de comptabilité et du paiement à l’acte : la jeune généraliste a choisi de poser ses valises dans un centre municipal de santé.

 

“Samedi dernier, j’ai fait mon dernier jour en médecine libérale. J’étais contente de me dire que c’était fini. J’ai même fait une fête pour dire au revoir au libéral !

Depuis le début, l’installation me fait peur. Quand on est remplaçant, c’est confortable. On a des périodes de calme, on a moins de pression administrative… Et puis des copines m’ont raconté leur installation en cabinet libéral. C’est une galère ! Il faut refaire quinze fois les mêmes démarches, l’administration s’est trompée, ça prend un temps fou !

 

Moi, je n’ai pas une âme d’entrepreneur

Je peux comprendre qu’il y ait des gens faits pour le libéral. Et c’est très bien, il faut de la diversité dans l’offre de soins. Je ne veux pas d’un système à l’anglaise, le patient doit pouvoir choisir son médecin. Mais moi, je n’ai pas une âme d’entrepreneur. Ça ne m’intéresse pas. Et encore, en remplacement, on fait 10% des démarches administratives que doit faire un installé. On ne s’occupe pas des commandes du matériel, on ne fait pas les fiches de paie de la secrétaire… Et puis une installation, c’est aussi un gros engagement financier si on achète son cabinet.

C’était donc déjà hors de question de m’installer seule en libéral. La loi de santé, et ce que ça va changer pour le libéral, m’a conforté dans mon choix du salariat. Même s’il date d’avant tout ça. Et quand on entend une économiste dire qu’elle veut la mort de la médecine libérale…

En janvier, j’ai fait un remplacement au Centre municipal de santé d’Arcueil. Et lundi, je vais y prendre le poste d’un généraliste qui s’en va. Ce qui me plaît dans ce travail, c’est que je ne fais que de la médecine. C’est pour ça que j’ai fait des études. Les papiers, la compta, les déclarations Ursaff, Carmf… on ne m’a pas appris ça, et je n’ai pas non plus envie de prendre le temps de l’apprendre. En salariat, j’ai de l’argent chaque mois sur mon compte. Je n’ai pas de calculs à faire, à vérifier…

 

Demander de l’argent, ce n’est pas mon métier

Et puis je n’ai pas à demander de l’argent au patient à la fin de la consultation. Encore une fois, demander de l’argent, ce n’est pas mon métier. Je n’ai d’ailleurs jamais été à l’aise avec le principe du paiement à l’acte. Je voulais en sortir. Je ne trouve pas normal qu’un médecin gagne moins parce qu’il fait des consultations psy, plus longues qu’un autre qui enchaîne les infiltrations… Aujourd’hui, je suis payée à l’heure. J’ai un CDD de trois ans. Je serai payée 2 500 euros pour ce contrat de 20 heures, que je vais compléter. Je cherche un poste dans un centre d’IVG. Mais je ne compte pas mes heures pour autant ! Je déborde toujours, je reste discuter avec les collègues… La différence, c’est que je ne fais que de la médecine.

Je sais aussi que si la tuyauterie pète un dimanche, je n’ai pas à aller au cabinet réparer ça. Si la photocopieuse tombe en panne, il y a quelqu’un pour s’en occuper. Et je n’ai pas de planning à gérer, pas de rendez-vous à refuser à 21 heures. Le centre a ses horaires d’ouverture et de fermeture. Point. Et j’ai droits aux arrêts maladies. C’est une vraie sécurité.

L’autre avantage, c’est que je suis dans une vraie équipe. Nous sommes cinq généralistes, il y a des spécialistes, des infirmières… C’est super de pouvoir appeler une infirmière pour un coup de main sur un geste technique par exemple. C’est agréable, et c’est bien pour les patients. C’est vrai qu’on peut aussi avoir ce travail pluri professionnel en libéral. Un temps, j’ai eu un projet de maison de santé pluri professionnelle avec dix médecins, des infirmières, des kinés, un informaticien, un comptable… Mais ça n’a pas fonctionné pour un problème de local.

Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas une histoire de modèle. On peut très bien travailler en libéral, et ce n’est pas parce qu’on est en centre de santé que tout va bien. Moi, j’ai eu la chance d’avoir trouvé un centre avec un patron super. Il a des projets pour dynamiser le centre, il veut accueillir des étudiants, faire des groupes de pair. J’aurais pu tomber sur un centre qui ne me convenait pas. C’est une histoire de rencontre.

 

Peut-être que, dans dix ans, je changerai d’avis

Et puis être en centre de santé ne vous protège pas de tout. Le centre peut fermer du jour au lendemain. C’est ce qui s’est passé à Colombes par exemple. La mairie change de bord, le centre ferme. Un centre de santé coûte beaucoup d’argent aux municipalités. Au mieux, les finances sont équilibrées, mais souvent, les mairies doivent financer. C’est un choix politique. C’est une décision de la mairie d’offrir ce type de service à ses habitants. Donc je suis consciente que le centre peut fermer demain. Mais je me dis que je trouverai un autre emploi salarié ailleurs…

Peut-être que, dans dix ans, je changerai d’avis. On ne sait jamais. Mais aujourd’hui, à moyen-terme, ça m’a l’air bien. L’idée de me poser me plaît. Après quatre ans de remplacements, ça fait du bien. Ne plus courir partout, dans les transports… Et puis j’ai envie de devenir médecin traitant, d’avoir ma patientèle. J’envisage vraiment ça comme mon installation.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier