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“Vous êtes séropositif ? Ce sera 150 euros pour un détartrage”

Manque de matériel adapté, renvoi vers l’hôpital, horaires contraignants… Les stratégies ne manquent pas lorsqu’il s’agit d’éconduire un patient séropositif. Le testing, mené par l’association AIDES, révèle que plus de 30% des dentistes y auraient recours.

 

“Ah, vous êtes séropositif ? Je dois vous dire c’est 150 euros pour un détartrage”, “La docteur n’est pas formée pour ce type de patients”, “Les gens comme vous vont plutôt à l’hôpital”… Quand ils appellent pour prendre un rendez-vous chez un dentiste, un tiers des patients qui indiquent leur séropositivité entendent ce type de phrase.

“Je suis tombé des nues en voyant ces résultats ! C’est inadmissible, c’est lamentable. On est en 2015 !” Le Dr Chrtistian Couzinou, président de l’Ordre des chirurgiens-dentistes n’en revient pas. “Des fadas, il y en a dans toutes les professions. Chez nous comme ailleurs. Mais je pensais qu’on était autour de 0,5%… Pas à 30% !”

 

Dans 30% des cas, le praticien essaye de dissuader le patient

En avril dernier, l’association AIDES a mené une opération de testing auprès de 440 chirurgiens-dentistes d’une vingtaine de villes. “On a choisi cette profession parce que depuis des années, nous avons beaucoup de témoignages de personnes atteintes du VIH qui ciblent les dentistes dans les refus de soins”, explique Franck Barbier, responsable santé chez AIDES. Chaque dentiste a été contacté deux fois pour une prise de rendez-vous pour un détartrage, d’abord par un patient qui ne mentionnait aucune pathologie, ensuite par un patient annonçant spontanément être atteint du VIH. Le nombre de refus frontaux reste limité à 3,6% des appels. “Chaque discrimination est une discrimination de trop”, pointe toutefois AIDES. En revanche, dans 30% des cas, le praticien essaye de dissuader le patient, ce que l’association recense comme des “refus déguisés”.

De leur côté, certains représentants syndicaux crient au scandale et appellent à prendre les résultats du testing avec des pincettes. Le Dr Patrick Solera est président de la Fédération des syndicats dentaires libéraux. Il a bondi en entendant qu’un tiers des dentistes pratiquaient le refus de soins. “Et puis j’ai lu le document. En fait, c’est 3% des praticiens qui refusent catégoriquement. Ça, c’est un chiffre crédible, et ces 3% sont condamnables. Laisser croire que 30% des dentistes font du refus de soins est dangereux, et peut amener les patients à nous cacher leur maladie !”

Pourtant, selon la définition du refus de soins par la CNAMTS, la pratique englobe bien toute stratégie visant à décourager le patient ou lui proposer un traitement différencié. “Ça nous fait plus de travail”, “Sachez que le médecin n’est pas conventionné, vous ne serez pas remboursé”, “Vous serez mieux suivi à l’hôpital”, sont quelques-unes des réponses faites par les chirurgiens-dentistes lors du testing. “Ces réponses amènent les patients à ne pas se sentir légitime, à reculer devant le soins”, explique Franck Barbier.

 

“Cette méthode de phoning est aberrante”

“Ces 30% de praticiens ont cherché à éviter la prise de rendez-vous, c’est différent. Et je pense que c’est dû à la méthode. Durant toute ma carrière, jamais un patient n’a pris un rendez-vous en annonçant fièrement sa séropositivité au téléphone ! Cette méthode de phoning est aberrante, dénonce le Dr Patrick Solera. La formulation met la puce à l’oreille, on sent le piège. Quelqu’un qui vous annonce au téléphone qu’il a le sida, on se demande s’il prend de la drogue, s’il viendra au rendez-vous… Le praticien n’est pas idiot, il essaye de botter en touche.”

“C’est faux. Il arrive que des patients séropositifs le disent à leur médecin dès la prise de rendez-vous !”, assure pour sa part Franck Barbier. Pour autant, il est conscient que le testing présente certaines limites. “Ce n’est pas une étude scientifique, même si on a tout fait pour en avoir la rigueur, la méthodologie et éviter les biais”, indique Franck Barbier. D’ailleurs, des chirurgiens-dentistes ont été associés à la conception même du testing. “L’idée est de nouer un dialogue avec les praticiens. Il ne s’agit pas de stigmatiser quiconque, mais de mettre en lumière certaines pratiques à l’heure où les sénateurs vont se pencher sur la loi de santé.”

En effet, au-delà du refus de soins, direct ou déguisé, le testing pointe aussi de nombreuses discriminations ou disparités de traitement quand les rendez-vous sont acceptés. Ainsi, “Pour votre VIH, je le note dans le carnet de rendez-vous” est une phrase entendue à douze reprises. “C’est une vraie atteinte au secret médical. Le carnet de rendez-vous n’est pas un dossier médical !”, pointe Franck Barbier.

“Ce que nous voulons, c’est renforcer la lutte contre le refus de soins. Créer un électrochoc, une prise de conscience pour avancer”, ajoute le responsable santé de AIDES. Et la démarche semble déjà porter ses fruits du côté du Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. “On a très peu de remontées des conseils départementaux. Quand un patient fait face à cette attitude répréhensible, il doit aller voir le conseil de l’ordre”, indique le Dr Couzinou. Aujourd’hui, une minorité de patients victimes de refus de soins engagent des démarches, d’où le décalage et la manifeste surprise du président de l’Ordre.

 

“Il y a très peu de plaintes concernant des refus de soins”

En juin 2013, un dentiste s’était vu notifier un blâme de la Chambre disciplinaire nationale de son ordre pour avoir refusé de soigner un homme séropositif. Mais il aura fallu deux ans de procédure. De quoi décourager de nombreux patients. “Il y a très peu de plaintes concernant des refus de soins, explique Sylvain Fernandez-Curiel, du Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Les personnes qui font face à un refus de soins n’ont souvent pas l’énergie pour se lancer dans des plaintes, des démarches lourdes. En plus, quand on leur dit que ça passera par l’Ordre, elles ont l’idée que sont des confrères qui jugent leurs confrères et que ce sera biaisé.”

“Nous allons refaire des mises en garde, rappeler aux praticiens c’est une pratique répréhensible, indique le président du Conseil de l’ordre, Chrtistian Couzinou.Je vais rencontrer le président de AIDES, pour voir ce que nous pouvons faire. Aujourd’hui, je suis stupéfait mais aussi en colère, voyez l’image que l’on a !”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier