D’abord des chiffres : près de 50 000 médecins et professionnels de santé dans la rue le 15 mars selon les organisateurs, (19 000 selon la police…). Et, sur le bureau de l’Assemblée nationale, où le projet de loi de Santé va commencer demain son parcours par l’audition de Marisol Touraine : 52 amendements gouvernementaux, 500 émanant de parlementaires de la majorité et près de 1000 de l’opposition. Et entre les deux, le choix de la procédure d’urgence – c’est-à-dire une seule lecture par chambre – pour examiner un texte mal né, rejeté par les professionnels de santé.

 

“Une provocation de plus”, ont tonné presque unanimement les organisateurs du mouvement, la voix cassée d’avoir repris ce dimanche parisien frisquet, tant de slogans contre la loi de santé, le tiers-payant généralisé, le refus de l’étatisation et le sacrifice de la médecine générale…

Après avoir poliment reçu les marcheurs dimanche soir durant une heure et demie, pour ne rien changer à sa ligne politique ni sur le fond ni sur la forme, mais assurant que la réforme ne se ferait pas sans les médecins, Marisol Touraine a justifié sur RMC ce matin, le choix de la procédure d’urgence par un laconique : “Je ne crois pas qu’il soit utile” que l’examen “s’étire pendant six mois, huit mois à l’Assemblée nationale compte tenu de l’encombrement qu’il y a au Parlement”… Une ministre particulièrement soutenue par Manuel Valls, le premier ministre, et appuyée par le Parti socialiste, dont le Premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis écoute le jusqu’auboutisme des frondeurs, et l’enjoint de ne “rien lâcher” sur le tiers-payant généralisé.

 

“Mépris” du gouvernement

Or, “on demandait clairement des délais pour faire une véritable réforme dont le pays a besoin et la ministre a déclaré qu’elle voulait une procédure accélérée au contraire pour faire passer sa loi en force”, s’est emporté Jean Paul Hamon, le patron de la FMF, sur i-télé. La bagarre va donc se déplacer sur le terrain parlementaire puisque la représentation des médecins libéraux n’a été payée que de “mépris” après la manifestation historique, selon le mot du Dr Luc Duquesnel, président de l’UNOF-CSMF.

Procédure d’urgence, alors que les premiers amendements gouvernementaux, fruits de la concertation en groupes de travail initiée depuis le mois de décembre, sous la pression de la grève des soins, viennent tout juste d’être remis, ce lundi, aux parlementaires et représentants des médecins et professions de santé en colère. Une série d’amendements découlant des quatre groupes de travail : tiers-payant, service de santé au public, contour des métiers (délégation de tâches) et organisation territoriale de santé (rôle des ARS).

 

“Rien n’a changé. Les groupes de travail n’ont servi à rien”

Et là, c’est la douche, la “gueule de bois” selon Eric Henry, le président du SML et l’initiateur du Mouvement pour la santé de tous .

“Rien n’a changé. Les groupes de travail n’ont servi à rien”, balaye le Dr Luc Duquesnel. Lui qui faisait parti de ces cadres de la CSMF et de l’UNOF qui doutaient de l’opportunité de participer à ces groupes installés en décembre autour de la loi de santé, voit aujourd’hui ses craintes devenir des certitudes. “La ministre cherchait à gagner du temps. Pourtant, nous avons joué le jeu. Marisol Touraine veut faire croire qu’elle a pris en compte nos demandes, mais il n’y a rien. Il faut tout de même savoir qu’on a demandé au Pr Matillon qui dirigeait le groupe sur les pratiques avancées (vaccination par le pharmacien, etc. Ndlr), de refaire trois fois son rapport, car cela ne convenait pas !”…

Même énervement chez Jean-Paul Hamon : “On a dit qu’on ne voulait pas que le pharmacien vaccine, elle persiste et signe. On se fout de nous. Et l’amendement sur la territorialisation met toujours l’installation sous la coupe des ARS. C’est la fin de la liberté d’installation, le règne de la technocratie et un repoussoir pour l’installation !”

Quant au tiers-payant, qui fait l’unanimité contre lui ? Rien non plus dans les amendements gouvernementaux, sinon la garantie de paiement en 7 jours, très médiatisée auprès du grand public, ainsi que l’annonce de pénalités visant la Sécu, si ce délai est dépassé. “Mais nous n’aurons jamais les moyens de vérifier si nous avons été payés ou pas. Il faut des secrétaires pour cela. C’est de la poudre aux yeux !”, s’emporte Luc Duquesnel. “Le logiciel coûte une fortune, aucune étude de faisabilité n’a été commandée, c’est idéologique Nous n’avons plus confiance, nous n’avons plus rien à attendre de cette ministre.”

 

Les amendements débattus dès demain

A l’heure d’écrire ces lignes, ni le président de MG France Claude Leicher, ni celui du SML, Eric Henry, médecins généralistes provinciaux qui avaient enchaîné directement la manif d’hier avec leurs consultations de ce lundi (parfois sans dormir…), n’avaient trouvé du temps pour se plonger dans les amendements reçus ce matin. Qui, rappelons-le, seront débattus dès demain par la commission des Affaires sociales. Travaux de nuits à n’en pas douter.

La suite ? MG France organise une journée de fermeture des cabinets jeudi 19 mars, avec les jeunes du SNJMG et la FMF, pour illustrer la paupérisation de la médecine générale et le fait que, bientôt, un bon nombre d’agglomérations n’auront plus de médecins généralistes. Le syndicat compte garder le contact avec les autres formations syndicales et œuvrer avec elles, “si les buts sont communs”.

Comme prévu par son assemblée générale du 18 février dernier, l’UNOF-CSMF interrompt son mouvement de grève des télétransmissions au lendemain de la manifestation, mais maintient la grève d’espace-pro, sur ameli.fr. “Le succès d’hier interroge, commente le Dr Duquesnel, les jeunes générations comptent sur nous. Avec une ministre qui ne veut rien entendre, faut-il diriger la bataille vers le parlement, faut-il poursuivre le travail avec les autres syndicats, ce que le terrain nous demande ?”. Dans le cadre de cette interrogation, le président de l’UNOF annonce une série de rencontres départementales avec les parlementaires de l’ensemble des partis politiques. “Il faut qu’ils se positionnent, qu’ils prennent connaissance au fond, de ce que contient la loi de santé et des raisons qui font que nous la refusons.”

 

“Nous n’excluons pas des modes d’expression encore plus spectaculaires qu’une manifestation”

A la FMF, on se maintien en position de combat. Pour une bagarre qui risque bien d’être longue, durant les deux années qui viennent. Le mot d’ordre de la grève de la télétransmission est maintenu, ainsi que celui des gardes. Et pourquoi pas de fermeture longue. Ce qui nécessite une grosse préparation. “Et nous n’excluons pas des modes d’expression encore plus spectaculaires qu’une manifestation”, annonce Jean-Paul Hamon. Autour de lui, des médecins de plus en plus nombreux, menacent de se déconventionner, notamment en Bretagne ou en Bourgogne, croit-il savoir. “Le gouvernement ne devrait pas jouer avec le feu. Si une région entière se déconventionne, ça peut être l’émeute. Ils seront obligés de continuer à rembourser les patients.”

Résignée devant une ministre “qui ne veut pas bouger”, la FMF attend les résultats des départementales car d’ici là, “rien ne changera. Nous sommes installés dans la durée”, conclut son président.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne