Les papyrus médicaux prouvent que les médecins égyptiens de l’Antiquité, les ’sounou’, ont étudié les maux qui accablaient leurs contemporains afin de leur porter remède. À l’origine, la magie fut le seul recours. À partir de certains remèdes utilisés en complément, ils ont élaboré un art de guérir qui est devenu la médecine. L’écriture, apparue vers –3200 en Égypte, a permis de transmettre les acquis de ce savoir.
 

 

Comme de nos jours, les médecins égyptiens effectuaient un examen clinique, acte qui conduit tout praticien à poser un diagnostic, à établir un pronostic afin d’appliquer un traitement approprié.1

En recueillant les plaintes du patient, le sounou2 ciblait les régions du corps à examiner : “Si tu le questionnes sur l’endroit atteint qui est en lui…” 3 (papyrus Smith n° 20). Le sounou inspectait ensuite les téguments, notait l’aspect du visage, recherchait lésions, tuméfactions, hématomes, observait les urines, les excréments, l’expectoration, relevait un tremblement, une paralysie, appréciait la gravité d’une blessure… L’odorat était mis à contribution : “L’utérus douloureux d’une femme émane une odeur de viande rôtie” (papyrus de Kahun, 2000 av. J.-C.).

 

Médecin “habile de ses doigts”

La palpation était l’acte le plus élaboré de cet examen. Nefer, praticien sous la XVIIIe dynastie, déclare sur sa stèle funéraire : “Je suis un médecin véritable, habile de ses doigts”. Khoui, grand médecin du palais sous la Ve dynastie, s’enorgueillit du titre de “meilleure main du palais”. La palpation constatait un état fébrile, une anomalie abdominale, précisait le caractère ferme ou fluctuant d’une tuméfaction. Le papyrus Smith (– 1550) recommandait l’exploration de toute plaie à la recherche d’une lésion osseuse, et décrit la crépitation sous les doigts d’une fracture. En cas de traumatisme cervical, une raideur du cou est remarquée : “La vertèbre de son cou est pesante ; il ne lui est pas possible de regarder son corps” (Ebers n° 295).

La palpation des pouls complète souvent cet examen : “Quant à ce sur quoi tout sounou… met ses doigts, sur la tête, sur la nuque, sur les mains… ou sur une partie quelconque du corps, il communique avec le coeur du patient car ses vaisseaux vont à tous les endroits du corps. Il parle dans les vaisseaux de chaque membre” (Ebers n° 854). “Quand tu examines un homme, c’est comme quantifier avec une mesure à blé ou compter quelque chose avec les doigts.” (papyrus Smith).

Hérophile de Chalcédoine, médecin de l’école d’Alexandrie (340-300 av. J.-C), mesurait le pouls à l’aide d’une clepsydre. Cet instrument de mesure du temps est connu dès – 1450, sous le règne de Thoutmôsis III 4. Le fait que les Égyptiens aient utilisé pour désigner les battements du coeur l’onomatopée debdeb laisserait supposer que c’est par l’auscultation qu’ils étudiaient cet organe dans l’exercice de leur art.5 […]

 

Traitements médicaux

Les préparations médicamenteuses multipliaient les principes actifs et s’associaient souvent à des formules magiques. Il est souvent difficile, dans l’état de nos connaissances, de traduire certains termes de la pharmacopée égyptienne.

Pharmacopée. Elle mettait à contribution des produits d’origine minérale, végétale, animale ou humaine.6 Parmi les substances minérales, l’albâtre en poudre s’utilisait en onguents pour la peau, l’ocre jaune pour traiter le trachome et la pelade ; la galène et la chrysocolle pour les yeux. La brique pilée, l’argile, la terre, la boue du Nil, la suie, la faïence, le granit, le gypse, la malachite et l’antimoine faisaient partie de cette harmacopée. Parmi les plantes, certaines étaient dotées de vertus laxatives comme le fruit du sycomore, la coloquinte, la figue, le ricin ou l’aloès. La levure de bière était recommandée dans les affections intestinales et les maladies de la peau, les graines de genévrier, la bryone et la scille pour leur action diurétique. Les substances d’origine animale composent près de la moitié des préparations recensées. Le miel était utilisé pour ses propriétés adoucissantes et désinfectantes, les graisses d’animaux et la viande fraîche pour le traitement des plaies. Plus inattendue était l’utilisation d’excréments divers (fiente, urine, chiures de mouches…).

Pharmacie. Il existait une organisation de la pharmacie supervisée par le “chef des remèdes”. Les plantes sélectionnées par un prêtre-Sem, “l’homme aux plantes médicinales”, étaient entreposées dans une dépendance des “maisons de vie”, sous l’autorité du gardien de la myrrhe, véritable ancêtre du pharmacien.

Ordonnance. Elle obéit à des règles précises :

– la liste des différents composants, avec pour chacun d’eux la proportion nécessaire exprimée en fractions de heqat (unité de volume correspondant à 4,5 litres) ; 7
– le mode de fabrication (broyer, cuire, mélanger) et le support pour ingérer les produits actifs (bière, eau, miel et parfois vin) ;
– la voie d’administration est précisée ; citons la voie orale (potions, infusions, décoctions, macérations, pilules, pastilles, boulettes), les applications locales (cataplasmes, onguents, pommades, emplâtres, collyres), les inhalations, les fumigations, la voie rectale (suppositoires, lavements), les tampons et les injections vaginales, les gargarismes et bains de bouche, les pâtes pour dents cariées ; pour les remèdes concernant nourrissons et jeunes enfants, les tétons de la nourrice étaient enduits du remède avant la tétée ; les lavements étaient particulièrement prisés, et les “bergers de l’anus”, spécialistes en ce domaine, étaient très sollicités. L’âge auquel le remède s’adresse, son heure d’administration et la durée du traitement sont aussi précisés. Une température idéale est parfois recommandée : “Ce sera cuit et absorbé à une température convenable au doigt” (Ebers n° 799).

Trousse du sounou. Le médecin se déplaçait avec un “coffret d’Oubastet”, qui contenait ses instruments.8 Les fouilles archéologiques ont permis de découvrir des instruments dans des tombes de médecins. Certains sont représentés sur les parois du temple de Kom Ombo (période ptolémaïque). On y trouve des couteaux en cuivre ou en bronze, des lames d’obsidienne de toutes formes utilisées pour la circoncision. Des sondes effilées et aiguisées permettaient la ponction ou le sondage d’abcès. Chauffées au feu, elles permettaient le traitement de tumeurs ou d’abcès en cautérisant la plaie. Deux types de cautères sont mentionnés : le hemen, probable lancette chauffée au feu, et le dja ou “bâton de feu”, datant des premières dynasties. Un roseau biseauté est utilisé dans le papyrus Ebers pour drainer une tumeur liquidienne. Pour instiller un collyre, le “médecin des yeux” employait une hampe creuse de plume de vautour.

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Source :
www.egora.fr
Auteur : Bernard Ziskind

 

Références. 1. Halioua B, Ziskind B. La médecine au temps des pharaons. Paris : Liana Lévi, 2002. 2. Ziskind B, Halioua B. Organisation et structure du corps médical dans l’Égypte ancienne. Rev Prat 2004 ;54:1966-9. 3. Bardinet Th. Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique. Paris : Fayard, 1995. 4. Lethor JP. Du coeur et des vaisseaux dans l’Égypte ancienne : étude de textes, étude de momies. Nancy 1 : thèse de médecine, 1989. 5. Ziskind B, Halioua B. Les Égyptiens sont-ils les pionniers de l’auscultation ? Presse Med 2003 ;3:1517. 6. Bowman WC. Drugs ancient and modern. Scott Med J 1979 ;24:131-40. 7. Nunn JF. Ancient Egyptian Medicine. Oklahoma : University of Oklahoma Press, 996. 8. Boulu G. Le médecin dans la civilisation de l’Égypte pharaonique. Amiens : thèse de médecine, 1990.