Marisol Touraine a annoncé au moins de janvier la mise en place de quatre groupes de travail destinés à faire évoluer la loi de santé avant son passage à l’Assemblée nationale. Le Dr Pierre-Louis Druais, ancien président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) et actuel président du Collège de la médecine générale a pris la tête du groupe de travail médecine générale. Il nous dévoile en exclusivité le contenu de son pré-rapport rendu au ministère le 16 février dernier. Le rapport final devrait être remis en main propre à la ministre de la Santé mi-mars.

 

Egora.fr : Vous avez rendu un pré-rapport sur les évolutions de la médecine générale. Quelles sont vos propositions ?

Dr Pierre-Louis Druais : Je demande la création dans la loi d’un chapitre dédié à la médecine générale et aux soins primaires qui regroupera toutes les mesures qui existent actuellement et celles à venir. La médecine générale va représenter plus de 50% des médecins en France. Elle est une discipline à part entière avec soins, formation et recherche.

Demandez-vous la mise en place de grands chantiers prioritaires ?

Oui, d’où l’importance d’un chapitre dédié qui aborde plusieurs niveau. Il est pour moi très important de définir la fonction traitante du médecin généraliste. J’ai demandé qu’à chaque fois qu’un patient est inscrit dans un dispositif de soins ou d’accompagnement, cela soit sous la pleine responsabilité du médecin traitant. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pour que cela puisse se faire, j’ai demandé que l’hôpital et les établissements de soins soient complétement intégrés dans le parcours de soins. Aujourd’hui, nous avons tendance à raisonner en disant qu’il y a l’avant et l’après hôpital. Il y a un continuum qui fait des allers et retours. L’hospitalo-centrisme n’est pas une solution pour que le système de soins fonctionne correctement. S’il a été très pertinent avec la loi de 1958, il montre ses limites et doit évoluer.

Je demande aussi que les ARS soient des acteurs du maillage territorial des soins primaires. Il faut qu’il y ait des travaux partagés avec les professionnels. Les ARS n’ont pas pour mission de faire des soins, mais doivent en faciliter l’organisation et l’accès.

J’ai demandé que des éléments soient réintroduits dans la convention, notamment la contractualisation autour du développement professionnel continu (DPC). A l’époque, les syndicats avaient accepté que les honoraires n’augmentent pas au prétexte qu’il y avait des indemnisations pour la formation.

Je demande aussi que l’on fasse évoluer les modes de rémunération dans la mesure où il y a une iniquité violente entre les revenus des médecins généralistes et ceux des autres spécialités médicales. Si on regarde le tarif horaire des généralistes et des autres spécialistes, c’est un ratio de l’ordre de 26 euros de l’heure pour les premiers et de 45 euros de l’heure pour les seconds. Il faut qu’il y ait des rémunérations multiples à savoir, toujours un paiement à l’acte et une diversification avec des forfaits qui pourraient être liés au travail en équipe ou encore aux frais de structure… La part pourrait être de deux tiers pour l’acte et d’un tiers pour les forfaits. On a 0,3 secrétariat par médecin généraliste en France. C’est déplorable. Il y a 44 000 généralistes en exercice, s’il y avait simplement une augmentation pour moitié des praticiens ayant un secrétariat, cela revient à créer 20 000 emplois et à améliorer la qualité des soins et de l’organisation et de la vie des professionnels.

En avez-vous parlé à Nicolas Revel, nouveau directeur de la CNAM ?

Tout à fait. L’audition avec Nicolas Revel a été très riche. Avant de venir, il avait préparé un certain nombre d’éléments de réflexion. Il était à la fois ouvert, très structuré et il a, à mon avis, envie de faire bouger les choses.

Les portes ne sont donc pas fermées ?

Pas du tout. Je ressors de ce travail qui est en train de se terminer avec le fait que le retour des syndicats n’est pas négatif. J’ai veillé à bien tenir compte de l’ensemble et à trouver des points de rencontre. On ne peut pas faire bouger la loi s’il y a encore des désaccords violents.

J’ai également demandé quelque chose de très important. Je souhaite qu’il y ait une définition même, au sein de l’ONDAM d’un fond de 0,2%, soit 400 millions d’euros, dédiés chaque année à la médecine générale et aux soins primaires. Cela couvrira l’investissement sur les soins de proximité, les soins ambulatoires. Cela pourra aussi permettre d’améliorer les structures de soins, de mieux organiser le maintien à domicile… Il me paraît en effet plus important de réfléchir à des structures de maintien à domicile en soins primaires plutôt que de développer de l’hospitalisation à domicile (HAD). J’estime que l’hôpital n’a pas mission à venir s’externaliser sur le territoire.

Je suis également revenu sur la formation initiale avec la nécessité d’arbitrage pour la nomination d’enseignants titulaires en nombre suffisant. Il faudrait la nomination de 20 professeurs des universités (PU), de 30 maîtres de conférences universitaires (MCU) et de 50 chefs de cliniques (CCU) tous les ans pendant quatre ans.

Enfin, la dernière demande est politique. Tout comme nous avons une direction générale de l’offre de soins (DGOS), je voudrais une direction des soins de santé primaires avec comme mission d’organiser les choses.

Avez-vous reçus certaines garanties sur la place de la médecine générale dans la loi ?

J’ai 38 ans d’exercice de la médecine. Je contribue avec d’autres depuis 30 ans à l’existence de la médecine générale, j’ai appris que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Je suis parfaitement conscient qu’il s’agit d’un rapport et de rien d’autre. Mais je l’ai voulu suffisamment concis, structuré et explicite pour que j’espère qu’il en sorte quelque chose. Une fois que tous les groupes de travail auront rendu leur copie, je sais que nous allons nous réunir pour essayer de trouver des éléments en commun. J’imagine que s’il m’a été demandé d’apporter aussi rapidement des modifications à la loi de santé, c’est pour qu’elles soient au moins examinées.

Ne regrettez-vous pas ce temps si serré alors que les difficultés de la médecine générale sont connues depuis des années ?

Absolument pas. Cela fait des années que l’on parle de ces sujets. Beaucoup de choses avaient déjà été écrites et ré-écrites, réclamant depuis des années ce qu’il y a dans ce rapport pour une grande partie. C’est pour cela que j’ai accepté de faire ce travail dans un délai aussi court. Mes activités antérieures de président du CNGE, mes choix de personnes ressources qui ont également beaucoup d’expérience, nous ont permis de travailler rapidement.

Ce rapport est la synthèse d’un travail collectif. Je n’ai fait qu’utiliser ce que beaucoup d’entre nous avons fait depuis des années. Au-delà du fait qu’il s’agit d’un rapport pour modifier la loi, je voudrais que ce document soit un rapport d’étape de ce qui a été fait depuis 30 ans. J’aimerais que cela soit un document qui serve de référence pour la suite et que d’autres s’en emparent pour essayer de continuer à porter le flambeau.

Etes-vous optimiste quant à l’avenir de la médecine générale ?

Oui, je ne lâche rien là-dessus. J’ai vécu des choses bien plus compliquées et bien plus navrantes que maintenant. On va avoir une sous-section médecine générale au conseil national des universités (CNU). La discipline va être autonome pour nommer ses cadres de l’université. Il reste à développer la recherche. Je fais d’ailleurs à ce sujet des propositions explicites dans le rapport. Paul Frappé a également apporté des éléments nouveaux sur ce sujet.

Comment se sont déroulées les réflexions au sein du groupe de travail ?

J’ai choisi de travailler en m’entourant de quatre personnes afin de pouvoir faire des auditions en groupe. J’étais donc accompagné de deux confrères représentants de structures syndicales, à savoir Marie-Hélène Certain de MG France et Michel Combier, ancien président de l’UNOF-CSMF. Il y avait aussi Paul Frappé, un jeune confrère médecin généraliste installé qui a fait le circuit du clinicat et qui est maître de conférences des Universités (MCU). Enfin il y avait le Pr Bernard Gay qui n’était pas présent au ministère mais avec qui j’ai travaillé à distance pour la mise en forme et la structuration. Les délais étaient très contraints. J’ai commencé à auditionner au début du mois de février et nous avons rendu notre première copie le 16 février.

Ces quatre personnes ont constitué le groupe rapproché qui a auditionné avec moi. Ils ont donc contribué à la rédaction du rapport. Ensuite j’ai mis en place un planning où j’ai reçu différents blocs. J’ai commencé par rencontrer la représentation universitaire de la médecine générale, puis j’ai rencontré tous les syndicats, ensuite j’ai reçu la jeune génération. Puis j’ai auditionné des personnalités comme le directeur de la CNAM, Nicolas Revel ou le Dr Bouet, président de l’Ordre des médecins. Enfin j’ai auditionné des personnes ressources comme Didier Tabuteau.

Toutes les auditions se sont très bien passées. J’avais fait un canevas de thématiques en demandant que tous y répondent par écrit. Ils sont tous venus avec leur document rempli. Je les mettrai en annexes du rapport. Cela m’a permis d’avoir une traçabilité de ce qui était développé par chacun et de travailler à la fois sur les prises de notes de l’audition et sur des documents. Avec cela, j’ai pu rendre un pré-rapport de 22 pages au cabinet de Marisol Touraine.

Que vous reste-t-il à faire avant la remise du rapport final ?

Cette semaine je vais auditionner les représentants de patients (CISS), Brigitte Dormont, une économiste de la Santé. Mais le pré-rapport contient 90% de ce que sera le rapport final.

L’objectif était de mettre dans ce document un certain nombre d’éléments concernant la médecine générale dans tous ses états. Il a fallu la définir, en faire un historique, aborder le sujet d’un système de santé organisé autour des soins primaires et de la médecine générale, parler de l’organisation des soins et des plans de santé publique et enfin traiter des différents modes d’exercice actuels et à venir en tenant compte de la démographie. J’ai aussi fait un chapitre sur la place du patient dans le dispositif de santé. La proposition finale est la modification de la loi de santé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

 

* Liste exhaustive des personnes auditionnées :

Groupe “Université”
Pr. Vincent RENARD, Président du CNGE ; Mr. Pierre-­?Antoine MOINARD ; Dr. Mathieu CALAFIORE, Maitre de conférences associé, Président du SNEMG ; Dr Anas TAHA, Chef de clinique, Vice-­?Président du SNEMG

Groupe “Professionnels”
Dr. Jean-­?Paul ORTIZ, Président de la CSMF ; Dr. François-­?Charles CUISIGNIEZ, Président de la CSMF Jeunes Médecins ; Dr. Luc DUQUESNEL, Président de l’UNOF-­?CSMF ; Dr. Patrick GASSER, Président de l’UMESP ; Dr. Nicolas SAINMONT, Secrétaire Général adjoint de l’UNOFmembre du bureau de la CSMF ; Dr. Jean-­?Paul HAMON, Président de la FMF ; Dr. Jean-­?Michel MATHIEU, président de la FMF Centre ; Dr. Corinne Le SAUDER, Vice-­?Présidente la FMF ; Dr. Martine LANGLOIS, Vice-­?Présidente de MG France ; Dr. Claude LEICHER, Président de MG France ; Dr. Jean-­?Claude SOULARY, Président de MG FORM ; Dr. Eric HENRY, Président du SML ; Dr. William JOUBERT, Secrétaire Général du SML ; Dr. Laurent PONS, Trésorier-­?Adjoint du SML ; Dr. Eric MAY, Président de l’USMCS
Dr. Frédéric VILLEBRUN, Secrétaire Général de l’USMCS

Groupe “Génération d’avenir”
Mr. Sébastien FOUCHER, Président de l’ANEMF ; Mr. François-­?Antoine CASCIANI, Vice-­?Président Problématiques Professionnelles de l’ANEMF ; Mr. Pierre-­?Antoine MOINARD, Président de l’ISNAR IMG ; Dr. Jacques Olivier DAUBERTON, Président de REAGJIR ; Dr. Jean-­?Baptiste BLEYNIE, représentant du Collège des remplaçants de REAGJIR ; Dr. Théo COMBES, Président du SNJMG Mission « Médecine générale »

Groupe Institutions
Mme Dominique POLTON, Conseillère auprès du Directeur Général de la CNAMTS ; Mr. Nicolas REVEL, Directeur Général de la CNAMTS ; Dr. Patrick BOUET, Président du CNOM ; Dr. Robert NICODEME, Président de la section Formation et Compétences Médicales du CNOM ; Pr. Stéphane OUSTRIC, Conseiller national, Vice-­?Président de la section Exercice Professionnel du CNOM ; Dr. Pierre DE HAAS, Président de la FFMPS ; Dr. Jacques FRICHET, président de FORTS PRO 276 ; Dr. Didier MENARD, Président de la FEMASIF FNCS ; Dr. Richard LOPEZ, Président de la FNCS, Directeur de la Santé de la Ville de Saint Denis

Personnalités individuelles
Dr. Jean-­?Baptiste DELAY, Président de Médecins de Montagne, médecin correspondant Samu, maître de stage, membre du comité de pilotage du réseau MCS Rhône-­?Alpes, accompagné du Dr. Patrick JOUBERT, médecin correspondant Samu, maitre de stage, membre de la CSI ; Dr. Dominique RINGARD, Président de SOS Médecins de France, représenté par : Dr. Thierry ARNAUD, SOS Médecins France, Dr. Patrick GUERIN, ancien Président de SOS Médecin France et Dr Patrick SIMONELLI, Président de SOS Médecins du Val-­?d’Oise ; Pr. Yvon BERLAND, Président de l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS) ; Mr. Yann BOURGUEIL, Directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRD.E.S.) ; Mr. Alain CORDIER, Président de la Commission parcours de soins et maladies chroniques de la HAS ; Mr. Didier TABUTEAU, Conseiller d’État, responsable de la Chaire Santé de Sciences politiques ; Pr. Jean-­?Pierre VINEL, Président de la Conférence des Doyens des Facultés de médecine