Le Dr Gérard Bapt est cardiologue. Il est également député PS de Haute-Garonne et rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il nous donne son avis sur la loi de santé et estime, comme la majorité du corps médical, qu’elle doit être revue.

 

Egora.fr : Les acteurs de santé semblent remontés, à la quasi-unanimité, contre la future loi de santé. Quel est votre avis sur cette loi ?

Gérard Bapt : Je pense que dans chaque catégorie de professionnels, sauf exception très minoritaire, il y a au fond un accord global sur les objectifs. Ces objectifs sont issus d’un travail qui a déjà été mené lors d’états généraux de la santé. Ils ont été concrétisés par les textes du Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie qui a l’unanimité a indiqué des exigences nouvelles face aux maladies chroniques, à l’organisation des soins, à l’égalité d’accès…Toutes les bases de cette loi sont reconnues. Je pense par exemple à la prévention, au travail en équipe, à la santé numérique, aux regroupements hospitaliers…

Les médecins sont aussi hostiles sur la forme…

Les objectifs sont consensuels, en revanche l’écriture telle qu’elle a été formalisée dans le projet de loi pose problème à de nombreux acteurs de santé et pas uniquement aux médecins libéraux. Elle a suscité des réactions et va être revue : la ministre, Marisol Touraine, vient de proposer des groupes de travail aux différents acteurs.

Cette révision vous semble aussi importante ?

Oui, tout à fait. Par exemple, pour l’open data, il est clair que la proposition est beaucoup trop centralisée et administrative. Elle ne semble pas réaliste, y compris sur le développement du secteur industriel, comme par exemple des start-up dans le domaine des dispositifs médicaux. Il y a beaucoup de choses à réécrire. La ministre l’a reconnu. Elle s’est engagée sur un certain nombre de groupe de travail qui concernent les sujets majeurs, notamment la médecine de ville, l’hospitalisation, les délégations de compétences.

Mettre en place des groupes de travail alors que la loi est déjà écrite, n’est-ce pas encore une erreur sur la forme ?

Je crois que la présentation des objectifs a été trahie par l’écriture. Je pense qu’il faut avancer sur la réorganisation du pilotage de la politique de santé. Etat, assurance maladie, ARS… Il y a un consensus pour dire qu’il faut sortir de ces cloisonnements à tous les niveaux. Le texte est trop administratif, il manque la marque du praticien. Il y a une certaine sensibilité et une connaissance intime des acteurs du terrain qui a manqué. En revanche, réécrire entièrement le texte avant sa présentation devant l’Assemblée nationale en avril, comme le demande le président de l’Ordre, en associant tous les acteurs, je ne le pense pas réaliste.

Si cela n’est pas réaliste d’ici avril, faut-il comme le demande le Dr Bouet, reculer l’échéance ?

Il s’agit là d’une décision politique lourde, qui est à prendre par la ministre et par le gouvernement. Pour le moment, le calendrier parlementaire n’est pas définitivement fixé, mais le début des discussions a déjà été annoncé pour le mois d’avril. Réécrire entièrement le texte d’ici-là, avec tous les acteurs, me paraît difficile ! On peut par contre faire de grandes avancées en réécrivant certains articles, en relation avec les parlementaires, sur proposition des groupes de travail mis en place par la ministre de la Santé.

Où les erreurs ont-elles été commises ?

Je crois que ça a été dans la méthode. La procédure administrative n’a pas été comprise et a même été parfois contradictoire avec les objectifs.

Donc le problème n’a pas été le manque de concertation avec les professionnels de santé ?

La concertation a eu lieu sur les grands objectifs. Les ARS ont organisé des réunions dans les territoires. En Midi-Pyrénées par exemple, la directrice d’ARS a organisé quatre réunions pour couvrir l’ensemble de la région qui est très vaste.

Et de nombreux travaux avaient été menés. J’ai cité par exemple le Haut comité pour l’avenir de l’Assurance maladie. Une commission open data pour la concertation avait été mise en place par le gouvernement et a fonctionné pendant un an. Le problème, c’est que les membres de cette commission ont découvert que la formulation correspondait peu à leurs propositions. Ils demandent donc la réécriture de l’article.

Au sujet du tiers-payant, comprenez-vous les revendications des médecins ?

Je les comprends tout à fait. Ils sont inquiets parce qu’ils sont débordés. Ils n’ont pas assez de temps médical. Ils sont déjà submergés par les problèmes administratifs. Ils savent que des difficultés et des coûts existent pour les professionnels qui sont déjà en tiers-payant. Je pense aux pharmacies ou aux kinésithérapeutes. Ce n’est quand même pas un hasard si certains petits hôpitaux publics demandent que pour les soins externes et les consultations, le patient avance la part complémentaire.

Quelle est solution? Faut-il enlever cette partie de la loi ?

Non, car il y a trop de difficultés financières pour l’accès aux soins. Mais il faut dire que le tiers-payant sera généralisé dès que les obstacles techniques et administratifs seront levés, sur la base du volontariat.

Les médecins n’y croient pas…

Certains y sont favorables et pratiquent beaucoup le tiers-payant. Lorsque le président Bouet propose dans sa lettre : “nous plaidons pour un tiers payant non obligatoire, expérimenté, sur la base proposée par l’Ordre pour les affections de longue durée”, je me demande s’il n’y a pas une erreur. Le tiers-payant pour les ALD est déjà possible. Il suffit de cocher la case “tiers-payant social”. Pourquoi proposer une expérimentation sur quelque chose qui est déjà possible ? Pour ceux qui ne sont pas ALD, lorsque l’on coche cette case, la part assurance maladie est prise en charge et le médecin se fait tout de suite verser la seule part complémentaire.

Par contre je pense que le tiers-payant devra se faire sur une base volontaire. Il faut recréer la confiance et marcher en entraînant et non en contraignant. Ceux qui feront des dépassements d’honoraires pourront préférer ne pas passer par là. Néanmoins pour certains patients, le tiers-payant sera obligatoire, notamment pour les CMU, les CMU-C ou les ACS. Les médecins qui ne sont pas opposés sur le principe, en voyant que ça fonctionne, pratiqueront le tiers-payant. Il y aura aussi des patients qui voteront avec leurs pieds parce que le tiers-payant pourra être pour eux un réel plus. Ils iront chez des médecins qui offrent cette opportunité.

Au sujet du C, comprenez-vous les médecins qui demandent une revalorisation du prix de la consultation ?

De manière moins ambitieuse que le Dr Bouet qui demande un grenelle de la santé, je pense qu’il fautune remise à plat de l’ensemble des problématiques de la médecine générale. La ministre vient d’y répondre avec l’ouverture d’un grand chantier. Tous les sujets doivent être posés sur la table. Mais les tarifs dépendent de la convention pas de la loi Santé !

Je suis frappé du faible niveau d’information des médecins, ils sont le nez dans le guidon ! Un certain nombre de dossiers devraient être synthétisées pour lever un certaines incompréhensions et faire l’objet de débats dans les régions.

Sur la question de la rémunération, il est clair qu’il serait difficile, aujourd’hui, d’aller vers les revendications des médecins. Il ne faut pas supprimer les rémunérations forfaitaires sur objectif de santé publique ! Si on les supprime, ce n’est pas 25 euros qu’ils réclameront mais bien davantage. Des discussions conventionnelles vont s’ouvrir l’an prochain après les élections professionnelles et je pense que les problèmes de rémunération des généralistes devront être mis à plat. Il est bien clair que les généralistes français font partie des moins rémunérés d’Europe. Ils sont aussi moins rémunérés que la plupart des spécialistes en France, tout en ayant autant de travail et des astreintes beaucoup plus importantes. C’est un élément qui rentre en compte dans la revalorisation du métier afin de le rendre plus attractif, pour combattre l’érosion démographique.

Les cliniques ont obtenu un accord oral de la ministre de pouvoir pratiquer des dépassements à l’exception des urgences, êtes-vous satisfaits ?

La ministre a donné de grandes preuves d’ouverture et les cliniques l’ont reconnu. Il faut maintenant que les choses avancent dans la manière dont cela va être écrit. La difficulté qui est à traiter est celle de l’accessibilité pour tous. Pour les services d’admission en urgence, dans quasi tous les cas, il n’y a pas de dépassements d’honoraires.

La clinique située sur ma commune à Toulouse, a par exemple passé depuis plus de 20 ans, par convention, un accord le CHU. Elle régule et sectorise l’accueil des urgences dans l’agglomération. C’était une erreur absolue, je dirais même une incongruité d’avoir voulu sortir ces accueils d’urgence en clinique privée de la façon dont elles fonctionnaient déjà, en harmonie avec le public.

Par ailleurs, il y a des territoires où l’offre privée est nécessaire pour répondre aux besoins d’offre de soins. Pour associer ces activités aux services publics hospitaliers, il faut que les patients aient les mêmes conditions en matière d’opposabilité qu’à l’hôpital public. Il faut négocier un pourcentage d’activités où les médecins de telle ou telle spécialité, s’engagent à pratiquer en tarif opposable, ou bien, sans reste à charge en cas de dépassement d’honoraires. Il faut négocier puisque les directions des cliniques n’ont pas autorité sur le choix que font les praticiens de leur statut d’exercice. Il faut donc une adhésion volontaire des médecins qui s’engageraient par convention.

Tout cela reste à discuter et à confronter aux réalités dans les territoires : ce sera l’objet du groupe de travail spécifique, comprenant le président des CME des établissements privés.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin