Le point sur le mouvement de protestation des généralistes contre le projet de loi de santé et la réalité du tiers-payant


Conférence de presse des
Drs. Luc DUQUESNEL, Président de l’UNOF-CSMF,
Béatrice FAZILLEAUD, Secrétaire Générale de l’UNOF-CSMF
Bertrand LEGRAND, fondateur de l’Observatoire
du Tiers-payant

L’UNOF-CSMF a engagé, depuis le mois d’octobre, les médecins généralistes dans une action de contestation de la politique de santé du Gouvernement. Sous couvert de vouloir redéfinir une nouvelle Stratégie Nationale de Santé, celui-ci organise progressivement le démantèlement de la médecine générale libérale pour assujettir ce qui en restera à la double tutelle de l’Etat via les Agences Régionales de Santé et des caisses d’assurance maladie obligatoire et complémentaire. Le tout en maintenant le niveau de la consultation à 23 euros.

1- Le bilan du mouvement de fermeture des cabinets

C’est bien l’UNOF-CSMF qui a lancé, le 16 octobre 2014, après une décision unanime de son Comité directeur, le mouvement national de fermeture des cabinets de médecins généralistes du 24 au 31 décembre 2014, rejoint ensuite par les autres organisations syndicales.

Cette grève a rencontré une adhésion très importante, en réalité historique de la part des médecins généralistes libéraux, parce qu’elle était motivée par la nécessité impérieuse de réagir face aux dangers de la transformation du système de soins voulue par le Gouvernement dans sa loi de santé et le sort inacceptable réservé à des professionnels de première ligne. Chacun a bien compris la gravité des menaces pesant sur le médecin généraliste libéral tant dans l’exercice et les contours de son métier, que dans la reconnaissance de son rôle dans la société. A cela s’ajoute le malaise très profond des médecins généralistes, auxquels la société demande de plus en plus sans leur accorder de moyens nouveaux, lorsqu’elle ne leur reproche pas les effets d’une politique de santé qu’ils ne maîtrisent pas et qui accentuent leurs difficultés au lieu d’y remédier.

Ainsi, en dépit des efforts de désinformation d’un gouvernement visiblement gêné, la participation des médecins généralistes libéraux à la grève de fin d’année, a atteint, selon les secteurs de garde, 80 à 100 %. La réalité de cette mobilisation s’est traduite par des réquisitions faites dans l’urgence par les ARS, après le début du mouvement, et notamment par la réquisition systématique des associations de SOS médecins. Dans tous les Centres 15 de France, les records d’appels reçus observés jusqu’alors ont été très largement dépassés et multipliés par 5 selon Samu de France. D’autre part, les informations recueillies auprès de nombreux établissements hospitaliers montrent une recrudescence de l’activité des urgences à cette période, jusqu’à 300 %, avec une activité tournée principalement sur la médecine générale.

La réussite du mouvement de grève des généralistes est, peut-être difficile à supporter pour le Gouvernement, mais c’est désormais une réalité indiscutable. Malgré cela, la Ministre de la Santé est resté « droite dans ses bottes » et n’a apporté aucune réponse. Pire, comme si elle n’avait pas voulu entendre ou comprendre, elle a fermé la porte aux discussions tarifaires affirmant presque que les généralistes étaient des « nantis », proposé la réécriture du volet territorial de son projet de loi qui place les médecins sous la coupe des ARS, par un responsable d’ARS, et pour finir elle impose brutalement la généralisation du tiers payant intégral.

Si l’UNOF-CSMF se félicite d’avoir su fédérer l’ensemble des médecins généralistes autour de revendications claires, en revanche, elle juge totalement contre-productive et dangereuse l’attitude de fermeture du Gouvernement. Pour l’UNOF-CSMF, toutes les conditions sont réunies pour que s’engage un conflit de longue durée. Les médecins généralistes, qui combattent pour la survie de leur métier, y sont désormais contraints. C’est pourquoi l’UNOF-CSMF a engagé de nouvelles actions. Mais d’ici là, il convient de porter le combat au niveau de la communication et de rétablir la vérité face aux contre-vérités déversées par le Gouvernement, en particulier sur le tiers-payant.

2- La réalité du tiers payant généralisé : un système incapable de fonctionner

La généralisation du tiers payant intégral est présentée comme l’élément phare du projet de loi de Santé. En dépit des arguments, nombreux, soulevés par la profession pour s’opposer à ce projet, le Gouvernement et le chef de l’Etat, se livrent à une véritable désinformation pour faire croire à l’innocuité de cette mesure.

L’UNOF-CSMF rappelle qu’il fera basculer les médecins généralistes, dont 60 % n’ont pas de secrétariat physique, dans la bureaucratisation. Ils devront successivement :
– S’assurer que leurs patients sont à jour de leurs droits au regard de la Sécu et de leur complémentaire (près de 500 régimes différents) ;
– Organiser le recouvrement de leurs honoraires, le rapprochement des versements avec leur activité, et la récupération des impayés, et supporter le coût de cette gestion administrative supplémentaire, chiffrée par la Fédération des Centres de Santé à 3,50 € par acte ;
– Supporter les avances de trésorerie faites aux caisses et complémentaires santé, avec les frais bancaires que cela engendre ;
– Accepter la démonétarisation de leurs actes, devenus facialement « gratuits », c’est-à-dire sans valeur et donc une déresponsabilisation des patients à l’heure de la recrudescence des incivilités dont sont victimes les praticiens, illustrée par les 28 millions de consultations non honorées ni annulées chaque année.

L’UNOF-CSMF refuse ce dispositif qui, en plus d’entraîner la bureaucratisation de la médecine générale libérale, pose deux problèmes que le Gouvernement élude soigneusement :
– Celui de la régulation de la dépense par les honoraires. En cas de surconsommation, comme c’est le cas en Allemagne où les patients, depuis la mise en œuvre du tiers payant, ont en moyenne 17 contacts annuels avec le système de soins contre seulement 4 pour la moyenne européenne, la régulation des coûts se fait en amputant les honoraires. En France, puisque le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre des ONDAM dégressifs jusqu’en 2017, les généralistes ont toutes les chances de voir la hausse des volumes être compensée par le retour des lettres-clés flottantes, c’est-à-dire des baisses d’honoraires. Ainsi, les médecins travailleraient plus pour gagner moins !
Celui du basculement de notre système de santé vers la privatisation à l’américaine, en donnant les commandes du paiement aux caisses et complémentaires, la conséquence sera la perte de l’indépendance professionnelle des médecins contraints d’appliquer les commandes économiques des acheteurs de leurs soins, au détriment de la qualité des soins et des patients.

Mais surtout, l’UNOF-CSMF tient à dénoncer un système qui ne fonctionne pas et dont on voit mal, en dépit des engagements du Président de la République, comment il pourrait devenir « simple », ou comme le prétend le Président de la Mutualité Française une nouvelle forme de carte bleue, puisque la carte Vitale n’est pas une carte de paiement !

En témoigne le précieux travail établi par l’Observatoire du tiers payant travail avec le soutien de l’UNOF-CSMF. L’Observatoire, qui a analysé plus de 164 177 données de facturation, montre que le tiers-payant conduit à des situations catastrophiques pour les médecins libéraux concernés avec jusqu’à 980 jours de délai pour payer une consultation (CPAM de Tourcoing). Légalement, les Caisses primaires d’assurance maladie se doivent de régler les feuilles de soins papier en 20 jours ouvrés et 5 jours ouvrés pour les feuilles de soins électroniques. C’est pourquoi, un véritable mur de la honte (voir en dernière page) a été établi à partir des délais de paiement les plus honteux constatés par l’Observatoire qui a épinglé 17 CPAM. Par exemple, la CPAM de Seine-Saint-Denis a payé en 816 jours un acte réalisé le 18 mai 2012, et celle du Bas-Rhin a fait attendre 799 jours le règlement d’un acte réalisé le 10 janvier 2012.
Quelques exemples de délais pour en finir avec le mythe de rapidité du tiers payant…
• Ille et Vilaine : 585 jours
• Yvelines : 440 jours
• Bouches du Rhône : 401 jours
• Lille-Douai : 395 jours
• Roubaix-Tourcoing : 373 jours
• Dordogne : 370 jours
• Corse du Sud : 369 jours
• Val d’Oise : 322 jours
• Loire : 314 jours
• Bayonne : 291 jours
Cette étude met en lumière la réalité des difficultés que le Gouvernement tente de dissimuler à l’opinion publique. Quel professionnel, quelle entreprise pourrait supporter des délais de paiement aussi longs ? En réalité, aucun acteur économique ne pourrait survivre à une telle gestion de la rentrée de ses recettes, sans pouvoir infliger des pénalités de retard à ses débiteurs. Ceci, n’est pas acceptable et justifie l’opposition de l’UNOF-CSMF à ce dispositif.

L’UNOF-CSMF considère que conserver les dispositifs d’avance de frais pour les populations les plus fragiles, comme le prévoit la convention médicale, est suffisant. D’ailleurs, les reports de soins ne concernent pas les consultations et les actes médicaux, mais l’optique, l’audioprothèse ou le dentaire qui ne sont presque plus remboursés par l’Assurance maladie et imposent un reste à charge très conséquent aux patients.

Pour l’UNOF-CSMF, la solution consiste en la dispense d’avance de frais, c’est à dire à mettre en œuvre le dispositif monétique sur lequel elle travaille depuis de nombreuses années aux côtés de la CSMF, afin de généraliser une carte de paiement à débit différé santé. Elle permettrait de conserver le paiement direct du médecin et de ne débiter le compte du patient que lorsque le remboursement des assurances maladie obligatoire et complémentaire sera crédité sur son compte. Ce système fonctionne déjà dans plusieurs établissements bancaires. L’étendre serait simple et rapide.

C’est dans ce sens que l’UNOF-CSMF souhaite travailler avec le Gouvernement dans le cadre de la réécriture du projet de loi de santé.

3- La réponse de l’UNOF-CSMF au Gouvernement sur le revenu des Généralistes : le C à 31 € sans ROSP, ni forfait

Pour justifier son refus de revoir la valeur de la consultation des généralistes fixée à 23 euros, par l’avenant n° 23 de la convention médicale de 2005, signé le 30 mars 2007, et alors que les Français soutiennent la légitime revendication de l’UNOF-CSMF d’une revalorisation significative, comme le démontrent tous les sondages sur ce sujet, le Gouvernement tente de faire passer la profession comme nantie. En effet, en amalgamant le montant de la Rémunération de Santé Publique (ROSP) à la consultation, alors que ces deux rémunérations ne concernent en rien les mêmes missions, le Gouvernement tente de faire croire à une augmentation de 3,1 % de la rémunération des généralistes en 1 an et prétend que le montant réel de la consultation serait de 31,40 €.

Déjà, l’UNOF-CSMF observe de l’inflation dans les chiffres du Gouvernement. Après avoir annoncé en décembre que le véritable montant de la consultation était de 28 €, la Ministre a annoncé la semaine dernière que ce montant était de 31,40 €.

L’UNOF-CSMF prend la Ministre au mot et demande que le montant de la consultation soit porté immédiatement à 31 € avec un abandon de tous les forfaits et de la rémunération sur objectif de santé publique (ROSP).

Ainsi, les médecins seront déchargés de toutes les tâches administratives liées à ces forfaits et à la ROSP ce qui leur permettra de consacrer plus de temps médical à leurs patients. De même, ils n’auront plus à supporter les surcoûts liés à la ROSP auprès des éditeurs de logiciels.

L’UNOF-CSMF rappelle que le montant de la rémunération des médecins généralistes français est un des plus bas d’Europe et est indigne au vu des missions qu’ils remplissent et de leurs consultations quotidiennes de plus en plus complexes du fait du vieillissement d’une population présentant de plus en plus de pathologies chroniques.

L’UNOF-CSMF rappelle que le financement de la formation médicale continue pour les médecins généralistes de secteur 1 faisait partie du contrat conventionnel et de leur engagement à respecter des tarifs opposables. Avec un DPC réduit en 2015 à une seule action par an, cela correspond à une rupture du contrat conventionnel et à une dévalorisation d’environ un euro de la consultation.

En 2015, le C n’est plus à 23 € mais à 22 €, et bientôt avec l’impact du coût du tiers payant à 3,50 € par acte, la Consultation sera en réalité à 18,50 €.

L’UNOF-CSMF exige désormais un C à 31 €.

 

5- L’UNOF-CSMF poursuit sa mobilisation avec la grève administrative

L’UNOF-CSMF déplore le manque d’écoute du Gouvernement qui relève de la provocation car le malaise de la profession est grave et profond.

L’UNOF-CSMF ne participera pas aux trois groupes de travail annoncés la semaine dernière par la Ministre.

L’UNOF-CSMF n’est pas prête à un compromis sur le tiers-payant généralisé. Elle ne participera donc pas au groupe de travail chargé de le mettre en place.

L’UNOF-CSMF ne participera pas non plus au groupe de travail sur la réorganisation territoriale s’il est seulement piloté par un DG ARS.

Concernant le 3ème groupe de travail sur les pratiques avancées, l’UNOF-CSMF sera là aussi absente de ce groupe de travail puisqu’il s’agit de mettre en œuvre la vaccination chez les pharmaciens ou les infirmières cliniciennes.

L’UNOF-CSMF a participé activement à la réunion du 8 janvier avec tous les syndicats représentatifs. L’UNOF-CSMF est d’accord pour participer à la réécriture du projet de loi dans le cadre de 5 groupes de travail (Dispense d’avance de frais ; Réorganisation territoriale : Médecine générale et Médecine spécialisée de proximité ; Pratiques avancées et contours du métier de médecin ; Prévention ; Hospitalisation) composés de représentants des syndicats représentatifs de médecins libéraux. Ces groupes devront être pilotés par un administratif et un médecin libéral.

Pour continuer à faire pression, l’UNOF-CSMF a engagé une grève administrative totale qui commence à noyer les caisses d’assurance maladie sous la paperasse. Cette grève consiste à revenir à la formule papier pour toutes les formes de contact avec les services de la Sécu, et pour tous les types de formulaires. S’agissant des feuilles de soins, l’UNOF-CSMF rappelle qu’en cas de tiers payant social (CMU, AME, ACS, …) ce n’est pas le patient qui sera pénalisé mais ce sera bien le médecin généraliste qui s’autopénalise en rallongeant son délai de paiement. Bien évidemment, l’UNOF-CSMF reste très attentive à ne pas pénaliser les patients.

L’UNOF-CSMF, qui est en contact avec les autres organisations syndicales représentatives, mais qui ne fait pas partie du prétendu « Front généraliste » dont elle ne partage pas les objectifs ni les idées, prépare de nouvelles actions destinées à motiver une réponse rapide et constructive de la part du Gouvernement.

L’UNOF-CSMF appelle les médecins généralistes à rester mobilisés à ses côtés pour obtenir la réécriture du projet de loi de santé et l’ouverture de négociations tarifaires, en participant massivement au mouvement de grève administrative et aux autres actions qui vont se dérouler dans les semaines à venir, localement et nationalement.