Ils ont retouché des clichés d’observation, pris des libertés avec l’analyses de leurs données ou ont tout simplement inventé de toute pièce des essais cliniques. La triche n’échappe pas au monde de la recherche médicale et les fraudeurs réussissent bien souvent à tromper la vigilance des éditeurs de revues scientifiques. Si bien que, depuis 1975, le taux de rétractation d’article pour fraude a été multiplié par dix. Zoom sur quelques-uns des médecins récidivistes de la triche scientifique, repérés par une enquête de Sciences et avenir.
Des données un peu trop suspectes
L’un des plus célèbres médecins fraudeur est le Japonais Naoyuki Nakao. En 2003, il publie dans la prestigieuse revue The Lancet un article sur l’efficacité de l’association de deux médicaments antihypertenseurs (un antagoniste des récepteurs à l’angiotensine II (ARAII) et un inhibiteur de l’enzyme de conversion) dans le traitement de l’insuffisance rénale chez des malades non diabétiques. La thèse fait grand bruit dans le monde. Cinq ans plus tard, le Wall Street Journal annonce qu’environ 140 000 patients américains ont été traités par ce traitement combiné, au cours de l’année 2008.
Mais cette même année, un groupe de chercheurs suisses trouve les données du médecin japonais un peu trop suspectes. Ils alertent la direction du Lancet et une enquête approfondie est menée à l’hôpital de l’université Showa à Yokomama.
Elle révèle que l’essai clinique rapporté dans l’article paru cinq ans plus tôt dans le prestigieux journal médical n’avait été validé par aucun comité d’éthique et qu’il n’avait pas été mené en double aveugle, condition essentielle pour qu’il soit scientifiquement valide. Pire, on n’a retrouvé aucun consentement éclairé des patients participants à cette étude. Par ailleurs aucun statisticien n’aurait travaillé sur l’analyse de ces données.
Trois articles, dont celui paru dans The Lancet, furent immédiatement rétractés. Mais en juillet 2012, la revue Pharmacotherapy, annonce que des milliers de patients sont encore traités par cette association médicamenteuse. Et il suffit d’ailleurs d’interroger la base de données biographiques PubMed pour constater que certains articles émanant de Naoyuki Nakao ne sont toujours pas accompagnés d’une notice de rétractation.
168 faux essais cliniques
Un autre japonais s’est illustré dans la fraude scientifique, l’anesthésiste Yoshitaka Fujii. Ce médecin est l’auteur de 168 essais cliniques tous aussi faux les uns que les autres, la méthodologie étant totalement biaisée. On a notamment remarqué que ses données concernant les effets secondaires de différents médicaments ne variaient pas d’un article à l’autre !
Au total, le Canadian Journal of Anesthesia a retiré pas moins de 17 articles du Dr Fujii et considère comme possiblement suspects de fraude 17 autres. Dans une étude parue en juillet dernier dans PLOS One, des chercheurs considèrent qu’il est très probable que d’autres articles de cet anesthésiste nippon soient retirés dans l’avenir. A noter qu’il se sera écoulé plus d’une décennie entre le soupçon de fraude et les rétractations.
Interdit de publier pendant 10 ans
Le Dr Fujii ne bat néanmoins pas le record de son compatriote, le virologue Noaki Mori (université de Ryukyus, préfecture d’Okinawa). Cet expert reconnu du virus HTLV-1, un rétrovirus responsable d’une forme rare de leucémie de l’adulte à lymphocytes T, a vu 36 de ses articles retirés de revues pour avoir manipulé des données et truqué des images.
Noaki Mori travaillait notamment à l’évaluation de plusieurs molécules capables d’inhiber la prolifération du HTLV-1. Après 23 rétractations de la revue Infection and Immunity, publiée par l’American Society of Microbiology (ASM), il a démissionné de son poste à l’Université et a été interdit de publier pendant 10 ans.
En 2012, fin de l’interdiction, il signe un nouvel article sur son sujet de prédilection. Il est publié dans Biochimica et Biophysica Acta (BBA), mais les éditeurs assurent cette fois avoir procédé à un contrôle très minutieux de ses données. Pour Ferric Fang, rédacteur en chef, d’Infection and Immunity, pas de pardon : l’Association américaine de microbiologie (ASM) refuse toujours de republier ce chercheur.
Des millions de patients traités sur des résultats fantômes
Le professeur Joachim Boldt est lui un célèbre anesthésiologiste qui exerce dans l’un des plus grands centres hospitalo-universitaire allemand. En 2009, la revue Anesthesia & Analgesia publie l’une de ses études, avant de se rétracter. En effet, après enquête, il s’est avéré qu’aucun document ne puisse attester que des patients aient réellement participé à un quelconque essai clinique. Et aucun résultat d’analyse biologique n’a par ailleurs été retrouvé.
Au total, 88 articles publiés depuis 1999 firent l’objet de rétractations. Cet anesthésiologiste mondialement connu, qui avait réussi à contourner la vigilance de ses pairs, a depuis quitté l’Allemagne.
Le Dr Joachim Boldt est encore aujourd’hui le chercheur en biomédecine qui totalise le plus de rétractations. Des millions de patients ont été traités sur la base de résultats fantômes.
Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.
[Avec Sciencesetavenir.fr et Mediapart.fr]