Chronophages, mal payés, mal promus… Les entretiens des patients sous AVK sont loin de faire l’unanimité chez les pharmaciens. La mesure, mise en place en juillet 2013, avait déjà fait bondir les médecins.

 

“Les entretiens pharmaceutiques prennent trop de temps, sont très mal payés et ne correspondent pas à mon métier”. En quelques mots, le ton est donné. Véronique Clouet, pharmacienne dans un village de l’Hérault est remontée contre les entretiens pharmaceutiques, qui permettent aux pharmaciens de suivre les patients sous AVK.

Nés en juillet 2013 d’un avenant à la Convention pharmaceutique, ils offrent la possibilité aux pharmaciens qui le souhaitent de veiller à l’observance des patients sous AVK, sous forme de deux entretiens annuels d’une vingtaine de minutes chacun. Pour chaque série de deux entretiens, il est prévu que le pharmacien touche un forfait de 40 euros. “Le pharmacien est un acteur de proximité, sur lequel les patients peuvent compter. Nous sommes dans notre rôle d’accompagnement et de conseil”, explique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). “Il ne s’agit pas de faire des prescriptions, des prélèvements, ni des analyses. On n’empiète sur le travail de personne et ceux qui disent ça sont des menteurs”, tient à préciser le président de l’USPO pour couper court aux polémiques.

 

14 000 officines réalisent ces entretiens

Les premiers chiffres communiqués par la CNAM sur l’évaluation du dispositif semblent ravir les responsables. “On a 160 000 patients inscrits et plus de 14 000 officines réalisent ces entretiens, c’est environ deux tiers des pharmacies qui ont pratiqué en moyenne une dizaine d’entretiens ! Une étude a été commandée sur le ressenti auprès des pharmaciens et des patients, et les premiers résultats indiquent des taux de satisfaction élevés”, explique pour sa part Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et du Centre national des professions de santé (CNPS). “Dans mon officine, l’attente des patients qui ont déjà fait un entretien est forte pour en avoir à nouveau, assure Philippe Gaertner. Ceux qui les font en sont très contents.” Soit. Mais cet enthousiasme est encore loin d’être partagé par les pharmaciens sur le terrain.

“Recevoir à un an d’intervalle 40 euros pour 40 minutes d’entretiens ?”, s’indigne Véronique Clouet. Il faut dire que les quelque 90 000 entretiens qui ont été réalisés entre juillet et décembre 2013 ont effectivement été payés en… novembre 2014. “Ces retards de paiement ont beaucoup irrité les pharmaciens, et ont fait beaucoup de tort au dispositif”, reconnaît Philippe Gaertner. Il y voit là une explication au fait que le nombre de patients inscrits et d’officines participantes ait plutôt stagné par rapport à l’année dernière. “Cela a créé une vraie inquiétude chez les pharmaciens. Ça n’a pas incité ceux qui étaient inscrits à faire d’autres entretiens, et ça a dû refroidir ceux qui ne l’étaient pas”, admet-t-il.

 

“Je ne pourrai pas les faire, ce n’est pas possible !”

S’il entend les critiques et admet certaines insuffisances, il rappelle que “le taux de régularité des INR est meilleur chez les patients suivis, il y a un différentiel important. Il ne faut pas négliger ça”.

Si ce problème technique de la CNAM a déçu de nombreux pharmaciens, ce n’est pas la seule raison invoquée par ceux qui refusent d’adhérer au dispositif. “J’ai suivi une formation pour pouvoir faire ces entretiens. J’ai donc pris un remplaçant pendant ce temps, ce qui d’ailleurs ne m’a jamais été remboursé. Tout ça pour m’apercevoir que je ne pourrai pas les faire, ce n’est pas possible !”

Véronique Clouet est seule dans son officine. Elle a fait le calcul : prendre un assistant à mi-temps lui coûterait 3 000 euros. “Il faut en faire des entretiens pour pouvoir débourser 3 000 euros !” Quand, alors, prendre vingt minutes pour quitter le comptoir ? Elle n’a simplement pas le temps, assure-t-elle. Un argument balayé par Gilles Bonnefond, président de l’USPO. “Avant l’ouverture, entre midi et deux, le soir, suggère-t-il. Quand on est seul, on a aussi moins de patients, ce n’est pas du tout impossible de trouver le temps.”

Pourtant l’argument revient même chez ceux qui se montrent plutôt favorables sur le papier. “Ça me plaît d’apprendre des choses aux patients, de leur expliquer, de faire de l’éducation thérapeutique”, explique Jean-Christophe, qui travaille dans une pharmacie parisienne. L’année dernière, il a suivi la formation pour pouvoir mener ces entretiens, son officine dispose d’un local adapté… mais rien n’a encore été fait. “On a un rythme à tenir, on n’a pas beaucoup de temps par patients. On en a beaucoup parlé au début, mais tout reste encore très flou quant à la mise en place concrète pour nous.”

 

“On a très peu de demandes”

“Pourquoi avoir mis en place quelque chose d’aussi formalisé ? Au moment de la délivrance, je donne des conseils et gratuitement ! On prend toujours du temps au comptoir, on est disponibles. C’est notre différence avec les médecins, pas besoin de prendre rendez-vous. Et il faut dire qu’on a très peu de demandes”, ajoute Véronique Clouet.

Au lancement du dispositif, l’Assurance maladie a envoyé un courrier aux patients sous AVK pour les informer sur ces nouveaux entretiens pharmaceutiques. Pour autant, rares sont ceux qui se présentent spontanément au comptoir de leur pharmacie avec leur petite lettre à la main pour réclamer un rendez-vous. “Aux pharmaciens d’être plus proactifs vis-à-vis des patients. Ils ont un vrai rôle à jouer”, répond Philippe Gaertner.

Frédéric Poirot, pharmacien parisien n’est pas de ceux qui se laisseront convaincre. “Faire croire aux pharmaciens qu’ils sont indispensables et les payer une misère, c’est se moquer d’eux. Les formations leur prennent beaucoup de temps, tout ça pour faire quelques cas… Ces entretiens sont une grosse arnaque.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier