Suivi par la Cpam de l’Oise qui lui reproche de refuser trop souvent la substitution, un généraliste doit justifier manuellement, sur de grandes feuilles, le bien-fondé de 930 prescriptions NS.

 

Au téléphone, sa voix est lasse. Et pressée, car il fait tout tout seul, il n’a pas de secrétaire. Généraliste dans l’Oise, le Dr Alain Daboul, se serait bien passé d’être la vedette d’une histoire courtelinesque à l’heure de l’informatique et de la dématérialisation. Car sa caisse primaire vient tout juste de lui demander de justifier, ligne par ligne, et de manière manuscrite, le bien-fondé des 930 mentions “non substituable”, qu’il a apposées sur ses prescriptions médicamenteuses ces derniers temps, et dont la Cpam conteste le bien-fondé. Cela fait près de quatre ans, qu’il reçoit des courriers à ce sujet. Nous en arrivons, semble-t-il, à l’épilogue.

 

Un paquet recommandé de 62 feuilles format A3

Ces demandes d’explications de la Cpam ont pris la forme ubuesque d’un paquet recommandé de 62 feuilles format A3, reprenant les prescriptions litigieuses. “On me demande de justifier à la main, à chaque fois, la raison de mon refus du générique correspondant. Mais j’en ai pour des semaines ! Je n’ai pas de temps pour cela, je n’ai pas de secrétaire !”, lâche-t-il, en cours de consultation.

La Cpam semble avoir le praticien dans le collimateur, lui reprochant le fait qu’en 2013, il n’ait réalisé que 5 % de ses prescriptions dans le répertoire des génériques. Or, “je voudrais qu’on me laisse tranquille, plaide-t-il. Tout le pouvoir est donné aux pharmaciens, qui doivent écouler leur stock. Lorsque je prescris un générique, on en délivre un autre ! Alors il m’est souvent arrivé de mettre la mention NS à la prescription d’un générique que je connais, car je ne veux pas qu’on me le change à la pharmacie. Qu’on me laisse prescrire des génériques ou des princeps, je suis tout de même le mieux placé pour savoir ce qui convient à mes patients ! ” insiste le Dr Alain Daboul, 29 ans d’installation.

Des choix qu’il justifie en fonction de sa clientèle : personnes âgées qui ne trouvent jamais la même couleur de boîte, s’y perdent et se découragent pour poursuivre leur traitement. Ou médicaments pédiatriques, dont la version générique peut avoir un goût désagréable, ce qui ne facilite pas l’observance.

 

“Je démissionne”

“Les caisses ne veulent voir que la face immergée de l’iceberg, s’irrite le généraliste. Moi, je ne prescris jamais de médicaments contre la maladie d’Alzheimer, car non seulement cela ne sert à rien, mais cela peut même être dangereux à terme. Je ne prescris rien à ces patients. Mais, cette bonne médecine-là, ils s’en moquent, cela n’entre pas en ligne de compte”, maugrée-t-il.

Alain Daboul, du coup, a décidé de lâcher l’affaire. Pas question d’entamer une partie de bras de fer, il a bien d’autres choses à faire. Il s’est engagé par écrit à rentrer dans le rang. “Je n’inscris plus aucune mention NS devant mes lignes de prescriptions. Si les patients ne sont pas contents, qu’ils en réfèrent au pharmacien ou à la caisse primaire, je démissionne”.

A la Cpam de l’Oise, on signale que le suivi dont le Dr Alain Daboul fait l’objet n’est pas une initiative départementale, mais bien l’application d’une directive nationale. Avant de quitter la direction de la Caisse nationale d’assurance maladie, Frédéric Van Roekeghem avait indiqué en mai dernier qu’une “campagne ciblée pour identifier les utilisations atypiques de la mention “non substituable”, serait lancée au deuxième et troisième trimestre. Les 500 prescripteurs environ qui font un usage quasi systématique et répété des NS, “montrant une attitude atypique” par rapport à leurs confrères pour des molécules et des situations médicales pour lesquelles a priori il n’y a pas matière à le faire, risquent des “poursuites financières”, qui pourront être engagées au quatrième trimestre. Maintenant donc.

 

Durcir le ton vis-à-vis des prescripteurs

L’enjeu est de taille, car le gouvernement entend bien réaliser 10 milliards d’économies sur le poste médicaments, d’ici 2017, grâce à la prescription de génériques alors que celle-ci semble avoir atteint un palier, et même s’essouffler (- 1 % en volume, au 1er trimestre 2014, selon les pointages du Gemme, le syndicat patronal du secteur). Pour la CNAM, l’utilisation “abusive” de la mention Non substituable représente un coût d’environ 110 millions d’euros par an.

Or, la direction de la sécurité sociale, au ministère de la Santé, semble déterminée à durcir le ton vis-à-vis des prescripteurs, après que le balancier s’est porté sur les pharmaciens d’officine et les consommateurs, avec la mise en place du mécanisme tiers-payant contre générique, qui a bien porté ses fruits. Ministère de la Santé où l’on fait remarquer que notre pays est à la traîne de ses homologues européens où les politiques fructueuses pro-génériques qui sont menées sont autrement plus autoritaires et directives qu’elle ne le sont actuellement dans l’hexagone.

Dans le cas du Dr Daboul, l’analyse de ses prescriptions est en cours auprès du service du contrôle médical. Si le service conclut à un abus d’utilisation du NS, le généraliste encourt soit un avertissement, avec un risque second d’un prononcé de pénalité s’il récidive. Soit, une pénalité financière proportionnelle au montant de l’indu de l’assurance maladie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne