Parmi les 3 654 Justes que compte la France, 52 médecins et étudiants en médecine ont eux aussi agi de façon extraordinaire, sauvant des Juifs de la mort ou de la déportation, au péril de leur vie et parfois au risque de ne plus jamais pouvoir exercer. Un hommage leur a été rendu le jeudi 6 novembre dernier à l’Académie nationale de médecine par l’Amif (Association des médecins israélites de France). Récit de ces parcours héroïques.

 

Elle avait 17 ans quand elle a vu pour la première fois les“hommes en noir”, comme elle dit, fouler le sol de son village de Bretagne. A cette époque, le Pr Anne Beaumanoir ignorait encore tout ou presque du sort qui était réservé aux Juifs de l’autre côté du Rhin. Mais elle ne tarda pas à le découvrir et entra dans la résistance dès 1941. “Mon premier acte de désobéissance intelligente a eu lieu à la faculté de médecine de Rennes où je venais de m’inscrire, raconte-t-elle. Sur un formulaire, on nous demandait d’indiquer notre religion, ainsi que celle de nos parents et de nos grands-parents. J’ai refusé de répondre.”

Membre des Jeunesses communistes, elle rejoint la capitale au début de l’année 1942 et interrompt ses études pour devenir résistante à temps plein. C’est à Paris qu’elle rencontre son premier amour, un juif allemand, assassiné par les milices en 1944. Ensemble, ils vivent dans la clandestinité, passant de caches en caches pour échapper aux rafles. Un jour où elle se rend place d’Italie pour récupérer un colis envoyé par sa famille, elle apprend qu’une rafle aura justement lieu le lendemain dans le 13e arrondissement. L’amie de ses parents chez qui elle est la supplie de bien vouloir cacher le boulanger du quartier et sa famille.

 

“J’ai tout fait pour les sauver”

“Je n’avais pas le droit de le faire, le Parti était très clair là-dessus : pas d’acte individuel, pas d’initiative personnelle. Mais je n’ai pas hésité et j’ai tout fait pour les sauver. Malheureusement, vu mon jeune âge, le boulanger ne m’a pas cru quand je lui ai dit que j’étais résistante et n’a pas voulu me suivre. Seuls ses enfants, Daniel et Simone, âgés de 14 et 16 ans, sont venus avec moi. Ce sentiment d’échec me taraude encore aujourd’hui…”

Elle assiste ce jour-là à des adieux déchirants, entre ce père et ses deux enfants qui ne se reverront plus jamais. Puis elle organise la fuite des deux adolescents vers le domicile familial à Dinan. Elle écope alors d’un blâme du Parti communiste et est envoyée à Lyon et à Marseille où elle “fera la libération”. Daniel et Simone sont devenus ses frères et sœurs. A 91 ans, Anne Beaumanoir raconte ce passage de sa vie sans en oublier le moindre détail, et avec une émotion encore très vive.

 

“Un élan vital”

“Quand on m’interroge sur ma motivation, j’ai toujours tendance à trouver la question un peu stupide car pour moi c’était normal, obligatoire même. Un élan vital. Et puis il y avait aussi un peu d’égoïsme de ma part car c’est bien plus confortable de vivre avec sa bonne conscience que le contraire”, dit-elle pour conclure, le sourire aux lèvres.

Comme elle, 52 médecins ou étudiants en médecine ont été faits Juste en France, un titre créé dès 1953 par Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem. Faux certificats de santé, résultats de labo tronqués, chirurgie plastique pour cacher la circoncision, hébergement au sein des établissements hospitaliers ou transfert vers des pays d’accueil frontaliers en ambulance…Certains n’ont pas manqué d’imagination ni de courage. C’est le cas notamment du Dr Georges Lauret, dont l’histoire est racontée par son fils, Philippe. Une histoire qu’il n’a découverte qu’à la mort de son père, grâce aux fillettes qu’il avait sauvées, Pauline et Gaby Ganon.

 

Malade imaginaire

Les faits remontent au 16 janvier 1943. Linda Ganon, qui a déjà perdu son mari, arrêté et déporté à Auschwitz, prétend souffrir terriblement au moment où les policiers tentent de l’emmener, elle et ses deux fillettes, vers la gare. Elles sont finalement envoyées à l’hôpital où travaille Georges Lauret. “Une coïncidence qui leur sauvera la vie”, précise Philippe Lauret. Linda avoue tout de suite qu’elle n’a mal nulle part mais qu’elle veut protéger ses filles. Le médecin lui répondra simplement : “Ne parlez à personne, du reste j’en fais mon affaire.”

Pendant de longs mois, les fillettes font semblant d’être malades et la mère est alitée, simulant une pathologie rare. Pour déjouer les contrôles policiers, le Dr Georges Lauret évoque un cas scientifique intéressant à explorer et nécessitant de les garder en observation. Puis quelques semaines avant la Libération, comme un signe du destin, l’un des commandants allemands, ayant compris ce qu’il se tramait, choisit de fermer les yeux.

 

La désobéissance médicale

Qu’aurions-nous fait à leur place ? Comment aurions-nous réagi ? Difficile d’y répondre quand on sait que des milliers de lettres ont alors été écrites par des médecins pour dénoncer leurs confrères aidant les Juifs. Et sous-jacent se pose la question de la désobéissance. “Tous ces médecins qui ont obéi à des ordres criminels sont un déshonneur pour la profession, estime le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique. C’est plus grave encore pour un médecin que pour un autre citoyen car il a dans ses gènes le devoir de désobéir à ce qui lui semble inique.”

“Un médecin ne peut ainsi jamais s’enfermer dans un protocole et ne doit pas hésiter à le transgresser si besoin. Obéir par exemple à son chef de service qui nous impose une injonction létale est un crime”, a tenu à rappeler Didier Sicard, choisissant de faire là un parallèle qui risque d’en choquer plus d’un tant le consensus sur l’euthanasie est loin d’exister aujourd’hui, dans le corps médical et au-delà.

 

276 médecins reconnus Justes parmi 44 nations

Parmi les pays qui comptent le plus de médecins ayant reçu le titre de Juste, il y a les Pays-Bas (55 médecins), la Pologne (52) et la France (52).

44,5 % de ces médecins ont aidé des Juifs grâce à leur spécificité médicale.

13 d’entre eux ont été déportés.
26 ont été emprisonnés.
12 ont été exécutés pour actes de résistance.
2 ont été exécutés pour aide aux Juifs.
2 ont été envoyés sur le front russe.


 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Concepcion Alvarez