Grigny, commune de l’Essonne, 27 000 habitants, 23 kilomètres au sud-est de Paris. Si la ville s’est fait connaître pour abriter Grigny 2, deuxième plus grande copropriété d’Europe, c’est surtout les problèmes de violence et de criminalité qui font la une des journaux. Et la santé en fait les frais. SOS médecins n’y met plus les pieds depuis 20 ans, les pharmaciens y sont régulièrement agressés et certains médecins généralistes exercent équipés de taser pour se protéger.

 

“Je connais Grigny depuis 37 ans, je m’y sens comme chez moi. Je n’ai pas peur.” Françoise, infirmière libérale de 60 ans vient pourtant de se faire casser sa voiture alors qu’elle était en visite chez un patient. “Une fois la colère passée, j’ai été très attristée par cet acte gratuit. Je m’étais habituée à ne pas être embêtée” confie la professionnelle de santé qui pour l’instant “touche du bois”, n’a jamais été agressée physiquement.

 

Menaces, pneus crevés, jets d’oeufs

Si elle reconnaît, un manque flagrant d’éducation de la part des habitants de Grigny, elle l’explique par “l’extrême pauvreté de cette population qui engendre ces exactions”. “Les jeunes n’ont pas d’avenir, ils se rabattent sur la drogue” déplore-t-elle. Malgré cela, la plupart du temps, la sexagénaire sait se faire respecter et son travail se déroule dans de bonnes conditions. “Lorsque j’arrive dans la cité, certains jeunes me disent bonjour, d’autres proposent de me porter mon sac ou encore de surveiller ma voiture” décrit-elle. L’infirmière en oublierait presque les “menaces lors des visites”, les pneus crevés “six fois en un an” ou encore les jets d’œufs sur le pare-brise…

“Compte-tenu du contexte de la ville, on a tendance à banaliser ce genre d’actes. On ne devrait pas. Ce n’est pas normal d’accepter ça” réalise-t-elle. Elle a d’ailleurs été l’instigatrice d’un mouvement de mobilisation des professionnels de santé de Grigny, suite à une énième agression de pharmacien. “Ca a fait un flop. Quand il y a un incident, on apprend les choses des semaines plus tard. Il y a un problème d’unité. On est tous dans notre routine, harassés de travail” justifie-t-elle, déçue.

Les mouvements de solidarité entre professionnels de santé existent pourtant à Grigny. Du moins entre pharmaciens. Installé depuis 27 ans dans la commune, Claude a dû surmonter quatre agressions en un mois et demi. La dernière, extrêmement violente a eu raison de lui et il a décidé de tirer définitivement le rideau de son officine. “J’étais seul dans la pharmacie. J’ai reçu plusieurs coups de crosse” raconte-t-il avant d’ajouter “après l’attaque, je me suis arrêté un mois puis j’ai repris sans enthousiasme”. A 60 ans passés, le pharmacien se serait bien vu exercer jusqu’à 70 ans mais cette agression a précipité sa retraite.

 

“Les vigiles avaient peur”

“C’est toujours délicat de constater qu’un confrère est en difficulté. C’est dramatique de voir fermer une officine sans indemnisation minimale de sa clientèle. Du coup on s’est arrangé entre pharmaciens pour racheter sa clientèle et sa licence” confie le pharmacien Jacques Besnier, qui admet modestement être à l’origine de cette initiative.

Pour lui aussi, l’exercice à Grigny était difficile lorsqu’il était installé dans le centre commercial. “Des groupes de jeunes squattaient les entrées du centre pour discuter. Les vigiles en avaient peur. Il y avait des conflit” se rappelle-t-il. Tout va beaucoup mieux depuis qu’il a emménagé en face du commissariat de police il y a quatre ans. Jacques Besnier regrette même “l’image négative” véhiculée par Grigny. “Une fois intégré, c’est une banlieue comme une autre” constate-t-il.

“Une banlieue comme une autre”, c’est aussi ce qu’a voulu croire Inès de Renty lorsqu’elle a choisi de racheter une officine dans la commune, il y a quatre ans. “Je travaillais à Grigny depuis dix ans, je connaissais déjà la pharmacie et le personnel”, explique la jeune femme. L’année dernière, elle a fait les frais de deux braquages avec agression. La seconde lui a valu 12 points de sutures. “Le temps a fait son effet et je retravaille de manière sereine. Si ça recommence, je ne suis pas certaine de tenir le coup”, s’inquiète la pharmacienne qui est pourtant attachée à sa clientèle. D’autant “qu’avec les traites à payer tous les mois”, il n’est pas simple de pouvoir partir…

A l’unanimité, les professionnels de santé de Grigny se sentent peu soutenus, qu’il s’agisse de la mairie, du gouvernement ou de l’Union régionale des professions de santé (URPS). Après les multiples agressions de pharmaciens l’année dernière, un courrier du maire a été déposé dans les boîtes aux lettres pour alerter les habitants. Claude a même eu droit à une voiture de police devant son officine après sa quatrième agression. Enfin, en théorie… “Les policiers se mettaient dans le petit parking derrière la pharmacie. Du coup, ils ne voyaient rien. Ils avaient peur de se faire caillasser. Le préfet m’a même dit que des policiers n’allaient pas se faire tuer pour moi” se souvient le pharmacien retraité. Elisabeth Eté, adjointe au maire, en charge de la santé reconnaît que “la police a peur de ces jeunes qui brisent les pare-brise et jettent des pierres aux gardiens de la paix”.

 

Taser, micro et haut-parleurs

Le Dr Colette Joswiak, généraliste dans le grand pôle de santé de Grigny a trouvé plus efficace que la police pour se protéger. Elle exerce équipée d’un taser (pistolet à impulsion électrique). Elle a également mis au point une alarme incendie “pour permettre de dérouter l’adversaire”, ainsi qu'”un micro avec haut-parleurs pour que les gens qui hurlent s’entendent hurler!” énumère-t-elle amusée.

Maître de stage, la praticienne a déjà accueilli 20 internes dans son cabinet. Aucun n’a choisi de s’installer dans la ville. “Il faudrait être fou ou bien kamikaze pour s’installer ici” plaisante-t-elle avant de se justifier : “Je vois en moyenne trois patients par heure. La plupart des patients ne parle pas français et je dois me débrouiller avec google traduction. Beaucoup de médecins ont déjà été attaqués physiquement, pourquoi les jeunes se casseraient les pieds à ce point ? Le sacerdoce, c’est bien mais il a des limites.” D’ailleurs, la dernière interne du Dr Joswiak lui a demandé pourquoi elle ne partait pas. “J’aime mon métier, ma ville, mes patients même s’ils m’embêtent !” confie la généraliste.

SOS Médecins a jeté l’éponge en 1994 après une agression. “En visite, un médecin s’était fait frapper à coup de barres de fer devant la porte d’un patient. Quand le praticien a demandé à ce dernier de témoigner, il a refusé”, se remémore le Dr Joswiak. Depuis, l’association ne remet plus les pieds dans les quartiers sensibles de Grigny. D’après les pharmaciens, quelques médecins se déplaceraient encore rarement dans la zone pavillonnaire de la commune.

 

Des médiateurs lors des visites

“Pendant des années, SOS avait son centre d’appel à Grigny à cause de la zone franche. Ils n’ont pas payé de charges pendant cinq ans. Ils ne viennent plus et ce n’est pas normal. La santé est un droit. J’ai écrit au préfet qui n’a rien pu faire parce que c’est une association libérale”, déplore Saïd Laatiriss, autre adjoint au maire. “Il y a toujours des solutions. Ils auraient pu prévoir un local dans la zone où ils ne veulent pas se déplacer. Après avoir profité des exonérations fiscales, le minimum est de rendre service aux habitants”, s’insurge Ines de Renty. D’autant que “l’agression date de 20 ans” ajoute Françoise. La mairie a proposé à l’association que les médecins soient accompagnés d’un médiateur lors des visites. Sans succès. SOS Médecin n’a pas souhaité réagir.

Une réunion entre professionnels de santé et équipe municipale est prévue le 25 septembre prochain. “Nous allons parler des problèmes et surtout du maintien des professionnels de santé sur la ville. Ma plus grosse inquiétude serait qu’ils partent”, confie Elisabeth Eté. Un contrat local de santé a été signé en janvier dernier avec l’ARS sur le maintien et le développement de la santé sur la ville. “Nous n’en sommes qu’au maintien”, soupire l’adjointe.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin