Les remboursements des factures de tiers-payant émises par voie électronique, doivent être effectués dans les cinq jours. C’est en tout cas ce qui est fixé par la convention. Mais en réalité, ce délai n’est pas respecté dans 50% des cas. C’est du moins le cas dans un cabinet de groupe de Tourcoing (Nord) où un généraliste a analysé toutes les factures émises entre 2009 et 2013. Les résultats de l’étude sont si étonnants, que le praticien projette déjà de la mener sur toute la France.
 

 

C’est une étude qui risque fort de donner du grain à moudre aux opposants à la généralisation du tiers-payant. Un médecin généraliste de Tourcoing, et son interne, ont passé en revue les factures de tiers-payant émises dans son cabinet de groupe, et ils ont relevé les délais dans lesquels l’Assurance maladie a effectué les remboursements. Les résultats sont sans appel : les paiements ont été réalisés dans des délais largement supérieurs à ceux fixés par la convention, qui sont de 5 jours pour les factures électroniques (FSE), et 20 jours pour les exemplaires papiers (FSP).

Dans le détail, les deux médecins ont analysé 65 169 factures émises entre 2009 et 2013 pour 5 médecins de ce cabinet où environ 80% des patients bénéficient du tiers-payant. Il en ressort que le délai moyen des remboursements est de 10,7 jours, toutes factures confondues (FSE et FSP). Pour les factures électroniques, il est de 6,15 jours et il monte à 58 jours pour les FSP. En ce qui concerne, les FSE, le délai médian est de 5 jours. Ce qui signifie que, dans un cas sur deux, le délai conventionnel n’est pas respecté.

 

“Quelque chose d’énorme”

Auteur de l’étude, le docteur Bertrand Legrand, avoue avoir été surpris de l’ampleur des chiffres. “On ne s’en rend pas compte au quotidien, c’est très difficile à appréhender. Je sens bien quand je suis remplacé que j’ai un gros trou de trésorerie. Je sentais bien que le délai n’était pas de 5 jours. Mais c’est quand on a commencé à sortir les chiffres qu’on s’est rendus compte qu’il y avait quelque chose d’énorme.”

Certes, l’étude ne porte que sur un seul cabinet. On ne peut donc pas faire de projection au niveau national. Mais elle soulève des questions à l’heure où le gouvernement prévoit la généralisation du tiers-payant pour 2017. D’ailleurs, les auteurs de l’étude ont également comparé les données obtenues avec celles énoncées dans le rapport de l’Igas. Celui-là même qui est censé servir de base à la généralisation. Là encore, les délais annoncés sont loin de correspondre à la réalité du terrain. Le médecin a en effet constaté qu’en l’espace de 20 pages, l’Igas avait annoncé pas moins de trois délais différents pour les FSE : 2, 4 ou 5 jours.

 

“Des problèmes de trésorerie”

“On est complétement en dehors des clous, constate le médecin.Ce n’est pas acceptable d’avoir une convention qui serait appliquée du côté des médecins et pas du côté de la Caisse. Si la convention n’est pas appliquée alors qu’on utilise le tiers-payant seulement à minima, je ne vois pas comment on peut aller plus loin et généraliser. C’est impossible”, s’insurge le généraliste, qui confie se faire honorer la quasi-totalité de ses actes en tiers payant. “Je suis favorable au tiers-payant social. Il est ce qu’il est, mais il est nécessaire.”

Aux vus des résultats, Bertrand Legrand s’inquiète pour l’avenir. “Quand on va passer en tiers-payant généralisé, ça va être très dur pour les médecins. Aujourd’hui, ils sont habitués à être payés immédiatement, là ils vont avoir des problèmes de trésorerie. Ceux qui ont des charges énormes, avec des secrétaires à payer, vont se retrouver en grande difficulté.”

Mais comment expliquer ces délais ? Au tout début de l’étude, les premiers résultats montraient que les soins des bénéficiaires de l’AME étaient les plus longs à être remboursés. Mais à l’analyse de la totalité des factures, aucun facteur discriminant ne se dégage que ce soit pour les patients sous CMU, sous CMU-C, ou en ALD. Seul constat étonnant, les délais augmentent si la feuille de soin est émise durant le premier semestre de l’année ou entre le 4ème et le 7ème jour de la semaine. “C’est peut-être une piste à étudier, mais il faudrait confronter avec des chiffres à l’échelle nationale. Il est possible qu’il y ait un biais dans notre pratique de télétransmission, ou dans la pratique de la caisse”, remarque le docteur Legrand.

 

“Pas tenable”

Pour le médecin, le problème, c’est surtout que l’Assurance maladie s’est engagée sur quelque chose qu’elle ne peut pas assumer. “Ce qui est sûr, c’est que le process électronique n’est pas tenable en cinq jours. A la rigueur, elle pourrait s’engager sur un délai de 10 jours. Ce qui ne serait pas choquant. Le problème, c’est que la caisse n’assume pas la réalité des choses.”

Fort de ces résultats, le généraliste entend prolonger l’étude à une échelle nationale. Pour cela il fait appel aux généralistes de l’hexagone. “On va mettre en place un logiciel qui permettra aux médecins de de déposer les fichiers ameli.fr qui seront anonymisés en ligne et qui leur donneront leur délai moyen. Cela permettra de faire une analyse en temps réel, sur l’ensemble de tous ceux qui déposeront. Avec des données indépendantes.” L’occasion de voir si les chiffres trouvés dans le cabinet du docteur Legrand, se confirment à l’échelle de la France. “Je suis presque sûr que cela se confirmera.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu