Répondant présents à l’appel de l’Union nationale des professions libérales (Unapl), les syndicats médicaux participeront massivement à la journée sans professionnels libéraux pour s’opposer à Bercy qui veut instaurer la déréglementation de 37 professions libérales (professions juridiques, médicales et de service), dans le cadre de la future loi Croissance et Pouvoir d’achat. Mais les professionnels de santé ont bien d’autres sujets de mécontentement dans leurs besaces.
 

 

Toutes les rancœurs vont s’exprimer

Pour les professions de santé, le mouvement promet d’avoir une particulière ampleur, tant les sujets de discorde avec le gouvernement sont nombreux et aigus. Ce mardi 30 septembre sera alors un happening national où toutes les rancœurs vont s’exprimer, à commencer par celles suscitées par la future loi de santé, signée par Marisol Touraine. Aux yeux de la Csmf, du SML et de la FMF, du Bloc et de l’Ufml du Dr Jérôme Marty, ce texte qui instaure le tiers-payant obligatoire (repoussé par plus de 90 % des praticiens, selon un sondage réalisé pour le SML), étatise le système de santé en plaçant l’assurance maladie, réduite à un simple rôle d’effecteur, sous tutelle du ministère de la Santé. La loi de santé sectoriserait la médecine de proximité sous la tutelle réglementaire des ARS, donnant la part belle à l’hospitalisation publique et réduisant parallèlement la liberté d’installation. De plus, cette loi mettrait à bas le système conventionnel national, l’Etat étant amené à fixer préalablement le cadre de la négociation, à charge ensuite à l’assurance maladie et aux professionnels de santé de lui donner du contenu. Ce qui réduirait quasiment à néant, le pouvoir de négociation des syndicats représentatifs nationaux.

MG France, qui a rejoint le peloton des contestataires (alors qu’il appuie la mise en place du tiers payant par exemple), veut faire de cette journée le point de départ d’une contestation plus vaste, basée sur la crise traversée par la spécialité. “Seule spécialité dont les honoraires sont bloqués, qui aurait des missions confiées à d’autres professionnels de santé, une densité de médecins généralistes en chute de 8,5 % depuis 2005, et subirait la création d’une administration des soins par la loi de santé”, énumère le syndicat qui ajoute le chapitre spécial de la loi sur l’accessibilité des cabinets. Laquelle fait peser sur les propriétaires des cabinets qui n’auront pas procédé aux travaux nécessaires – à leurs frais – d’ici 2018, la menace de très lourdes sanctions pouvant aller jusqu’à des peines de prison.

 

Un front des généralistes

Pour marquer les esprits, le SML a voulu frapper fort, lors de son dernier congrès à Marseille. Il a appelé les syndicats médicaux à dénoncer la convention pour obliger le gouvernement à négocier. Sans succès à ce jour. Mais le syndicat va lancer une pétition pour informer les patients du changement profond de système, induit par la future loi de santé. MG France, pour sa part, veut recréer un “front des généralistes”, ouvert à toutes les forces vives de la spécialité.

Pour la Csmf, qui vient de tenir son université d’été à Lille, la loi de santé ” met un terme à la liberté d’installation, satellise la médecine libérale spécialisée, écarte les cliniques privées du service public hospitalier et, pour couronner le tout, démantèle la convention médicale nationale. Une telle réforme relève de la provocation pour les médecins libéraux. Quoiqu’en dise la ministre de la Santé, c’est bien ce qui est écrit dans le texte, et à ce jour, aucun autre ne circule.”, ajoute le Dr Jean-Paul Ortiz.

Réuni en bureau national, l’Unof-Csmf a aussi constaté que “des dangers particulièrement graves menaçaient les médecins généralistes libéraux et leur indépendance”. Le syndicat du Dr Luc Duquesnel rappelle que les médecins généralistes libéraux sont une profession libérale réglementée, comme beaucoup d’autres. “Aujourd’hui, à travers ce projet de loi, on s’attaque aux pharmaciens, aux biologistes, aux ophtalmologistes mais aussi aux médecins généralistes en ouvrant la possibilité à des investisseurs, non professionnels de santé, c’est-à-dire à des groupes capitalistiques, de prendre le contrôle de leur outil de travail, les Sociétés d’exercice libérales (SEL), de les priver de leur indépendance professionnelle, et de les faire travailler toujours plus pour enrichir leurs actionnaires”, explique le président de l’Unof-Csmf, en redoutant que cette mesure ne conduise des investisseurs “comme les Hypermarchés Leclerc ou la Mutualité” à prendre le contrôle des cabinets pour salarier les médecins et “faire du business sans se préoccuper de l’offre de soins existante”.

 

Le gouvernement redoute un nouveau front social

C’est un euphémisme de dire qu’en ces périodes de crise et d’absence de résultats tangibles en matière de lutte contre le chômage, le gouvernement observe avec acuité, le mouvement des libéraux contre la déréglementation. Il redoute l’ouverture d’un nouveau front social, alors qu’il n’avait pas prévu une telle mobilisation, considérant que les esprits allaient plutôt s’échauffer sur le dossier du travail dominical, partie du projet de loi. Aussi, note-t-on depuis le départ d’Arnaud Montebourg, une inflexion nette de la part de son successeur Emmanuel Macron vers le dialogue avec les professions concernées. Il est vrai que tant Marisol Touraine que Christiane Taubira, la Garde des Sceaux, freinent des quatre fers sur l’ouverture de la vente des médicaments en grande surface ou la multiplication des débits de boissons, proposés par la future loi. Ou sur l’entrée de la concurrence dans les métiers juridiques.

“On ne va pas résoudre les problèmes des Français en sacrifiant les notaires ou les pharmaciens. Il ne faut pas raconter d’histoires. Je ne vais pas dire qu’on rendra 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français, ce n’est pas vrai, c’est une illusion”, a récemment déclaré sur les ondes Emmanuel Macron, taclant sévèrement son prédécesseur. Il envisage dorénavant “une série de petits déverrouillages sur plein de sujets”, les professions réglemententées n’étant qu’un “tout petit bout de cette réforme pour l’activité et de cette loi pour la croissance”, a-t-il voulu rassurer.

 

Pas pressé de présenter la future loi de santé

Alors que les rencontres avec les représentants de ces professions se succèdent, le ministre de l’Economie a enfin publié le fameux rapport de l’Inspection générale des finances, prélude à cette fameuse loi. Un pavé de 800 pages en trois volumes, dont la lecture, selon Michel Chassang, le président de l’Unapl, devrait convaincre les plus indécis de se joindre au mouvement du 30 septembre. Car, selon l’Unapl, ce rapport est une “entreprise de démolition. Il est rédigé totalement à charge. En procédant par « sondages », il compare la rentabilité de TPE libérales à celle d’autres secteurs d’activité dont les charges d’exploitation sont très différentes !” Il a été rédigé par des hauts fonctionnaires, “dont il ne viendrait à l’idée de personne de déréglementer le statut très protégé, et qui travaillent en dehors de la réalité des entreprises libérales”, persiffle Michel Chassang.

L’ancien président de la Csmf a prévenu qu’il préparait une deuxième journée de mobilisation des libéraux, “un dimanche d’octobre”, pour acculer Bercy à la reculade. Et il se dit qu’Avenue de Ségur, on n’est plus si pressé que cela de présenter la future loi de santé au conseil des ministres. Car si le professions de santé sont vent debout, que dire des parlementaires, y compris de la majorité, qui entendent retailler très largement un projet loi “fourre-tout et sans vision”. Bref, l’examen parlementaire initialement prévu en début d’année semble repoussé… à des jours meilleurs.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne