Chirurgien-urologue et neurobiologiste de formation, le Dr Laurent Alexandre s’intéresse aux bouleversements que vont engendrer la science et les biotechnologies sur l’humanité. Également diplômé de Science Po, d’HEC et de l’ENA, ce fondateur de Doctissimo.fr et d’une dizaine d’entreprises hi-tech dirige aujourd’hui DNAVision, une société spécialisée dans le décryptage du génome. Il nous livre son expertise en technologies médicales du futur.
 

 

Egora.fr : Quel est le cœur d’activité de DNAVision ?

Dr Laurent Alexandre : DNAVision fait du séquençage d’ADN, c’est-à-dire que nous analysons le génome afin de personnaliser les thérapies en cancer, de comprendre l’origine des pathologies. Nous travaillons à la fois pour des médecins et des centres de recherche, mais pas pour des particuliers, car je considère qu’un patient n’est pas apte à interpréter son génome sans la présence d’un intermédiaire médical, d’un médecin, car c’est trop compliqué.

J’ai souhaité m’orienter vers l’univers des nanobiotechnologies après la vente de Doctissimo, car je considère qu’avec l’effondrement du coût du séquençage et, de fait, la démocratisation de l’accès à cette technique, la pratique médicale va profondément être bouleversée.

Tous les Français vont être séquencés dans les dix à quinze ans qui viennent.

 

Notre société en a-t-elle conscience ?

Absolument pas. Le fondateur de Google a récemment annoncé qu’ils allaient faire des machines qui dépasseraient l’homme dans quelques années.

On n’est pas très loin du moment où l’intelligence artificielle va devancer l’intelligence humaine. D’ici 2050, voire même avant.

Les ordinateurs sont déjà plus rapides que nous. Aux échecs, un homme n’est déjà pas capable de lutter contre un ordinateur. Sur le séquençage de l’ADN, ce sont les ordinateurs qui analysent les 3 milliards de bases ADN des chromosomes d’un malade alors que cela prendrait des décennies à un homme. Les champs dans lesquels les ordinateurs interviennent à la place de l’homme ne cessent d’augmenter.

La Google Car conduit mieux qu’un être humain. De plus en plus de fonctions humaines sont remplacées par l’intelligence artificielle et la robotique, et demain elle les dépassera. En tout cas, c’est la conviction des dirigeants de Google, et la mienne.

 

Jusqu’à quel point le développement technologique et sa manipulation doivent-ils être encadrés par les puissances publiques ?

Pour que la puissance publique encadre et régule cet univers, il faudrait qu’elle prenne conscience de ses enjeux. Or, elle est complètement à côté, particulièrement ici. En France, les pouvoirs publics s’intéressent peu aux enjeux techniques, technologiques et aux industries du futur. Ils se préoccupent principalement de la préservation des industries du passé. Il y a très peu de prise de conscience des pouvoirs publics sur la problématique de l’intelligence artificielle. Pourquoi ? Le pilotage politique est à très court terme en France, et les hommes politiques sont technophobes. Il est d’ailleurs significatif que le président de la République n’ait même pas d’ordinateur sur son bureau. C’est insensé…

De plus, il n’y a quasiment pas d’hommes politiques ingénieurs en France alors que la quasi-totalité des dirigeants chinois sont des ingénieurs. Dans notre pays, depuis trente ans, on recrute dans la sphère politique des apparatchiks et des fonctionnaires qui n’ont jamais travaillé. Nos politiques sont des professionnels de la politique. C’est très particulier. Le président de la République n’a jamais travaillé de sa vie. Pareil pour le Premier ministre.

Donc nos élites ne sont absolument pas au courant de ce qu’est le fonctionnement économique, car ils n’ont jamais participé à l’économie. Aux États-Unis, ils doivent d’abord réussir dans le business avant de faire de la politique.

 

Quelle est votre position par rapport à cette avancée de Google ?

C’est très simple, il s’agit d’une entreprise magnifique mais qui est en train de devenir trop puissante et qu’il va falloir démanteler. Elle réussit trop bien ! La puissance publique américaine devrait donc la diviser avant qu’elle ne devienne plus puissante que les États.

Le projet de Google est un projet transhumaniste : tuer la mort et développer l’intelligence artificielle. Cela a des conséquences importantes car il s’agit d’une modification de l’humanité. L’idéologie transhumaniste véhiculée par la Silicon Valley en général, et par Google en particulier, doit être connue. Ce qu’ils font est extraordinaire, mais il faut l’encadrer, car le destin de l’humanité est en train d’être décidé par les entreprises de la Silicon Valley.

Et le fait que Google et Apple entrent dans le monde de la santé montre bien que la Silicon Valley ne s’occupe pas uniquement d’informatique mais aussi des technologies du vivant, des sciences du cerveau. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de réguler ce qu’ils font. On pourrait même envisager d’interdire par la loi une intelligence artificielle supérieure à une intelligence humaine. C’est un vrai dilemme car, en parallèle, l’intelligence artificielle peut apporter beaucoup à l’humanité. Je ne suis pas sûr qu’on encadre tout cela.

 

De quelle manière ces recherches pourraient-elles révolutionner la médecine ?

Le premier élément important est que la watsonisation de la santé va être foudroyante. Watson est le premier système expert en santé, un programme informatique d’intelligence artificielle développé par IBM.

Les médecins vont rapidement être dépassés par ces systèmes experts. Avec le développement de la biologie moléculaire, des capteurs intégrés, des capteurs sur nos téléphones portables, et avec le développement de la génomique, notre dossier médical va s’enrichir de plusieurs milliards d’informations par jour. Aucun esprit humain ne va pouvoir traiter ces milliards d’informations quotidiennes, il n’y a que les systèmes experts, les algorithmes.

La décision va donc passer du médecin aux algorithmes. Actuellement, Watson fait mieux qu’un cancérologue avec le cancer du poumon, car un être humain n’est pas capable d’analyser les milliards d’informations et les chromosomes d’une tumeur du poumon alors que Watson le fait en quelques secondes.

 

Est-ce que cela ne déshumanise pas la médecine ?

Est-ce que cela déshumanise l’aviation que ce soient des ordinateurs qui conduisent un avion à la place des pilotes ? Est-ce que cela déshumanise la lecture d’acheter un livre sur Amazon plutôt que chez le libraire ? Est-ce que cela déshumanise la musique d’acheter un morceau sur iTunes d’Apple plutôt que de l’acheter chez un disquaire ?

Vers 2025-2030, la prescription ne sera plus faite par un médecin, il se contentera de lire l’ordonnance. Le médecin de 2030 aura le statut de l’infirmière de 2015. Et on ne leur demandera pas leur avis, et ce serait une erreur de croire qu’on va le faire, tout comme Apple ou Amazon n’ont pas demandé l’avis des disquaires et des libraires. De toute façon, les médecins n’auront pas le choix, car ils ne pourront pas analyser les données avec la génomique.

Même si les recherches ont lieu aux États-Unis, les algorithmes vont arriver en France en restant la propriété des entreprises de la Silicon Valley. Cela va arriver vite, et le choc pour les médecins va être extrêmement violent, car ils ne font pas de prospective, ils ne s’intéressent pas au futur ni aux technologies, et ils vont prendre une claque comme jamais. Il y a très peu de médecins qui ont compris qu’ils seront les infirmières de 2030, car c’est cela la réalité !

 

La formation des médecins n’est-elle pas en cause ?

Avant que les universitaires de 60 ans changent la formation des jeunes médecins et la rendent compatible avec le futur, il va se passer un certain temps. Le système universitaire est complètement verrouillé par des gens âgés qui ne sont pas au fait de ces technologies. Il faudrait que les programmes soient davantage construits par les étudiants plutôt que par les professeurs. On est dans une période où ce sont les jeunes qui apprennent aux anciens et quand le programme est fait par les anciens, il a trente ans de retard sur le plan technologique.

La façon dont on apprend la médecine aujourd’hui est indécente, indigente. On ne forme pas les médecins au big data, au data management, aux algorithmes. On forme les médecins à la médecine de 1980 et non à la médecine de 2030. Or, c’est en 2030 qu’ils vont exercer ! On est en train de prendre un retard très important, mais comme dans d’autres domaines. Il y a cinq ans, quand Google a parlé de faire des voitures sans conducteur, Renault et Peugeot ont rigolé ! Sauf qu’aujourd’hui la Google Car existe. La Chine a quant à elle une croissance insolente, et la Corée du Sud, avec Samsung, fait des progrès dans toutes ces technologies. L’Asie est plus dynamique sur ce secteur que l’Europe. Les États-Unis gardent le leardership, mais la science chinoise progresse très vite en nanotechnologies et représente une part significative des publications mondiales.

 

Quels sont les risques auxquels nous pouvons être confrontés avec le développement des Nbic ?

Il y a mille dangers, et tout ceci doit être encadré, mais les pouvoirs publics étant loin de s’en rendre compte, ils ne réfléchissent pas à cela. Quand on voit que l’un des dirigeants de Google annonce que l’on pourra mettre des dispositifs électroniques dans le cerveau humain dès 2035, cela fait réfléchir. Mais les pouvoirs publics ne s’y intéressent pas. Or, il peut également y avoir des accidents génomiques, des accidents avec les nanotechnologies, il y a des risques de manipulation des gens avec des implants intra-cérébraux et il y a des risques que l’intelligence artificielle devienne hostile et veuille supprimer l’homme. Il va falloir anticiper rapidement. La puissance des ordinateurs est multipliée par 1000 chaque décennie. Il faut raisonner demain et non pas aujourd’hui.

 

Ces évolutions sont-elles la clé pour parvenir à lutter contre les maladies chroniques ?

L’ensemble des technologies Nbic vont faire reculer la mort, vont faire du cancer une maladie chronique tout à fait supportable, vont lutter contre le vieillissement, et c’est pour cela que Google entre dans cette thématique-là. Les bienfaits sont majeurs et plus importants que les méfaits potentiels. Mais il ne faut pas sous-estimer les effets secondaires.

 

Entre nous…

La qualité que je préfère ? La rapidité.

Mon principal défaut ? La grandiloquence.

Quel serait mon plus grand bonheur ? Je suis déjà très heureux.

Quel serait mon plus grand malheur ? C’est tabou, je ne veux pas en parler.

Ce que je voudrais être ? Je suis très content de ce qu’a été ma vie.

Ce que je déteste par-dessus tout ? La connerie.

Le don de la nature que je voudrais avoir ? Être un bon mathématicien.

Comment j’aimerais mourir ? Jamais.

Les fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence ? Les échecs quand on a tenté quelque chose.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin