En février 1927, le savant soviétique Ilya Ivanov tente la première insémination de deux femelles chimpanzés avec du sperme humain. Il veut prouver qu’il est possible de créer un être hybride mi-homme, mi- chimpanzé. Ses recherches sont soutenues par l’Institut Pasteur.

 

Ilya Ivanov est un savant d’une très grande renommée qui travaille essentiellement sur l’insémination artificielle d’animaux domestiques et de chevaux. Sa spécialité, ce sont les hybrides. Le savant est déjà à l’origine de plusieurs hybrides, entre un zèbre et une ânesse, entre une vache et une antilope, entre un bison et une vache. Et Ilya Ivanov a une grande théorie : il est persuadé qu’on peut aussi créer un hybride humain animal. Pour cela, il va tenter l’expérience avec l’animal censément le plus proche de l’humain, le chimpanzé.

 

Une expédition pour capturer deux femelles

Mais avant, il doit convaincre les autorités soviétiques de financer son projet. Il n’a pas grand mal, étant donné la renommée que la communauté soviétique pourrait tirer d’une pareille découverte. On raconte que Staline lui-même se serait intéressé aux travaux du savant, avec la secrète idée de produire une nouvelle race d’ouvriers ou une armée. Mais cette rumeur s’est avérée fausse. Finalement, c’est Nikolaï Petrovitch Gorbounov, directeur du département des institutions scientifiques, qui accepte de prêter 10 000 dollars à Ilya Ivanov. En 1926, l’insémination est programmée.

Le chercheur se rend donc dans une animalerie guinéenne gérée par l’Institut Pasteur, pour trouver ses cobayes. Seulement, l’institut n’a pas d’animal sexuellement mature. Après plusieurs semaines de longue attente, le scientifique décide de s’installer à Conakry, au jardin botanique. Il est accompagné de son fils, biochimiste. Comme aucun animal ne fait l’affaire au sein de l’animalerie, les deux hommes décident, avec l’aide des autorités guinéennes de monter une expédition pour capturer les génitrices des futurs hybrides. Ils trouvent deux femelles qu’ils nomment Syvette et Babette.

 

Persuadés que des accouplements entre hommes et chimpanzés ont lieu

Naturellement, les Guinéens n’ont pas la moindre idée de ce qui va arriver à ces animaux. Ivanov, qui se méfie des Africains, garde le secret. Dans une lettre, Ilya écrit à un ami : “La grande majorité des nègres sont des gens paresseux et stupides à qui on ne peut pas faire confiance.” Par ailleurs, le savant et son fils sont persuadés qu’en Afrique, des accouplements entre hommes et chimpanzés ont bel et bien lieu, au fin fond de la forêt. “Les femmes violées par des singes sont souillées. Ces femmes font l’objet d’intimidations, comme des parias, elles sont socialement mortes et, comme on me l’a dit, elles disparaissent habituellement”, expliquent-ils.

Les Ivanov père et fils décident donc de procéder à l’insémination le 28 février 1927, à Conakry et dans le plus grand secret. On ne sait pas qui a donné le sperme, les deux hommes ne l’ont jamais révélé. Il est fort probable qu’il s’agisse d’un Africain, plus proche génétiquement du chimpanzé, comme le croit Ivanov.

 

Tenter l’expérience inverse

Faute d’avoir pu enfermer les animaux dans une cage adaptée, Ivanov immobilise les deux femelles dans un filet et les endort. Il introduit donc le sperme dans le vagin de Babette à l’aide d’une simple pipette et d’un miroir, puis réitère avec Syvette. L’insémination a-t-elle pris ? Seule le temps pourra le dire.

Seulement les deux hommes doivent quitter l’Afrique. Ils prévoient donc leur voyage vers la France, puis la Russie, accompagnés des chimpanzés et d’une dizaine de leurs congénères. Mais le voyage sera fatal pour Babette et Syvette. L’autopsie, pratiquée à bord du bateau révèle qu’elles n’étaient pas enceintes.

Ivanov est de retour en Russie, déçu. Mais il ne veut pas s’arrêter là. D’Afrique, il a rapporté plusieurs chimpanzés, et il a l’idée de tenter l’expérience inverse : inséminer une femme avec du sperme d’animal. En 1929, il aurait enfin obtenu l’autorisation de pratiquer l’intervention sur cinq femmes volontaires. Mais le dernier chimpanzé serait mort avant que l’on ait pu récupérer sa semence.

Victime d’une purge stalinienne, le savant est arrêté en 1930, et déporté à Alma-Ata. Il y meurt quinze mois plus tard. Jamais personne n’a retenté de donner vie au grand mythe de l’homme singe.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin

 

[Avec Lepoint.fr]