Médecin à l’étranger (6/6) – Depuis 3 ans, Emmanuel Berceot, médecin généraliste de 32 ans, partage son temps entre des remplacements en France et des missions en Afrique avec Médecins sans Frontières, en Ethiopie ou au Congo. Il raconte à Egora ce travail radicalement différent, dans des conditions souvent frustrantes.

 

Egora.fr : Comment avez-vous commencé à travailler en Afrique ?

Emmanuel Berceot : C’était un peu un hasard. J’étais en vacances en Ethiopie quand j’ai rencontré la coordinatrice de MSF France là-bas. Elle avait justement besoin de médecins pour s’occuper des déplacés du sud-soudan vers l’Ethiopie. Elle m’a motivé, et m’a conseillé de postuler auprès de MSF. J’ai donc fait les trois journées d’accueil à Paris, puis j’ai eu mon premier poste en Ethiopie. C’était une mission de six mois, que j’ai prolongée d’un mois. Ça s’est fait très vite, j’ai passé ma thèse en février 2011, je suis parti en mars. Depuis, je suis parti 3 fois, en Ethiopie et au Congo.

 

Aviez-vous déjà pensé à participer à ce type de mission ?

Quand j’étais étudiant, dès la fin de la première année de médecine, j’ai fait partie d’une association qui avait des projets humanitaires en Afrique. Je suis parti un mois au Sénégal, puis quasiment tous les étés, je partais un mois au Burkina-Faso. On ne faisait bien sûr pas de médecine, mais on s’occupait d’orphelins du sida, d’un centre social de réinsertion. A force de partir, je me suis mis à adorer l’Afrique, et au fur et à mesure de mes études, j’ai eu de plus en plus l’envie d’aller faire de la médecine là-bas.

 

Est-ce pour l’Afrique que vous vous êtes engagé auprès de MSF ?

Avec MSF, on ne choisit pas ses destinations, mais on est libre de refuser ou pas. De fait, la plupart des missions sont en Afrique. Mais je serais parti ailleurs si on me l’avait proposé.

 

Qu’est-ce qui vous a plu dans cette façon d’exercer la médecine ?

Le fait de participer à un projet humanitaire apporte beaucoup de choses. Ça nous apprend à organiser son projet, à le défendre auprès de personnes influentes. J’ai aimé avoir ce type de responsabilités. De plus, sur place, on remarque que les gens ont vraiment une attente. Même dans les projets humanitaires étudiants auxquels j’ai participé, tout de suite, je me suis senti responsabilisé. A l’inverse, en tant qu’étudiant en médecine, à l’hôpital notamment, on reste stagiaire et on n’est pas toujours très bien considéré. Il y avait vraiment un changement de statut qui m’a beaucoup plu.

 

Quel est votre travail sur place ?

Les missions se passent dans un dispensaire, un hôpital ou un camp. Mais on est rarement plus de 2 ou 3 expatriés. Le reste de l’équipe, ce sont des locaux. Donc moi, mon travail, c’est en grande partie du médical pur avec des consultations et des visites. Mais ce rôle de soin est surtout rempli par le staff local, que MSF recrute et forme.

Donc mon travail, c’est aussi d’organiser l’activité, de m’occuper du recrutement en fonction des besoins, de faire les plannings… Je gère aussi les besoins en matériel, en nombre de lits, de salles de consultation… C’est la partie qui se différencie le plus de mon travail de généraliste quand je suis en France.

Il y a aussi une partie de prise d’information. On cherche s’il y a des zones ou des familles isolées qui n’ont pas d’accès aux soins. On se renseigne pour savoir si des épidémies sont en train de se déclarer ou s’il y a des zones instables, des réfugiés qui arrivent, des zones de violences qui pourraient avoir un besoin particulier de soins. Dans ce cas, le médecin et le responsable de mission vont orienter l’activité. On va dans les villages, pour évaluer les besoins sanitaires, on fait des rapports et des propositions à MSF pour ouvrir ou développer un nouveau projet. C’est une partie du travail qui me plait. Mon rôle n’est pas seulement de soigner.

 

Quelles sont les pathologies que vous rencontrez là-bas ?

Du paludisme, des maladies diarrhéiques, typhoïdes et des méningites. Forcément, ce sont des pathologies qu’on voit quotidiennement en France.

 

Comment êtes-vous perçu sur place par vos patients ?

Il y a un grand respect. En France les généralistes se sentent moins considérés, ils ont l’impression d’être des usines à prescrire des médicaments. Là-bas, le médecin MSF qui arrive, on l’écoute, on a confiance en lui.

 

Vous êtes très attendu ?

On a surtout l’avantage de donner des soins gratuits, ce qui en Afrique est très rare.

 

Quelles sont les conditions sanitaires dans les pays dans lesquels vous avez travaillé ?

En général, là où j’ai été en tout cas, le plus gros problème est l’approvisionnement en médicaments. Il y a aussi un gros problème en ressources humaines, il y a très peu d’infirmières, encore moins de médecins. Donc le rôle de MSF est finalement assez basique : on apporte des lits et des médicaments. Mais c’est quelque chose qui n’existait pas avant.

 

Quelles difficultés rencontrez-vous dans l’exercice de votre métier ?

Le principe qu’on essaie d’avoir, c’est de se rapprocher au maximum de la qualité de soins qu’on pourrait avoir dans un pays occidental. On essaie d’être le plus strict possible sur les règles d’hygiène, sur les règles de stérilisation… On essaie aussi d’avoir un panel de médicaments le plus vaste possible, pour prendre en charge le maximum de patients possible. Mais on reste limité par les problèmes de logistique. On ne peut pas installer du matériel de radiologie partout où on passe. Parfois ça crée des frustrations. Il faut savoir qu’on travaille essentiellement sur des urgences. Ce qui fait que pour toutes les maladies chroniques, comme le diabète, où celles qui nécessitent des soins longs comme les cancers ou les hépatites, on ne peut pas assurer de soins. Avec MSF, on reste 6 mois, voire un an. Et on sait que quand on va partir, le diabétique ne pourra plus prendre ses médicaments.

Il y a aussi des limites budgétaires. Il y a certaines interventions qui coûtent trop cher, qui ne sont pas réalisables dans le pays où on travaille. Et cela nous arrive de devoir dire à des parents que leur enfant, qui est atteint de telle ou telle malformation ou maladie ne pourrait pas être pris en charge, car il faudrait le transférer en France ou en Afrique du Sud. C’est une grosse frustration de se dire que si cet enfant était né dans un pays occidental, il aurait pu être soigné et aurait eu une vie normale.

 

Avez-vous l’impression d’être plus utile en Afrique qu’en France ?

Quand on vient en France, on voit qu’il y a aussi une demande énorme de soins. On ne se sent pas forcément plus utile là-bas. Un malade c’est un malade.

 

Quelles sont vos conditions de vie là-bas ?

Elles sont plutôt acceptables, mais c’est vrai qu’il y a des côtés difficiles. On n’a pas souvent accès au téléphone, on n’a pas internet pour des motifs personnels. On reste longtemps sans pouvoir donner de nouvelles aux proches. C’est difficile. Il faut aussi savoir que sur place, on est disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. S’il y a un problème en pleine nuit, j’y vais. On peut être réveillé comme ça cinq nuits par semaine. Ce rythme est difficile. Et la pression de savoir qu’il peut se passer quelque chose à tout moment, ça met aussi la pression. On vieillit plus vite là-bas.

 

Combien êtes-vous payé ?

Je suis sous un statut de volontaire indemnisé. Au début, la première année on a 800€ par mois. Là je suis autour de 1100 € par mois.

 

Comment se passent vos retours en France après une mission ?

Je pars 6 mois, et après je rentre faire des remplacements, soit en soins de suite, soit en libéral, comme c’est le cas en ce moment à Marseille. La réadaptation se fait assez-vite, car j’ai fait toute ma formation dans le système de soins français. C’est juste un peu bizarre, de reprendre l’ordinateur pour faire des ordonnances. Le côté administratif de la médecine libérale est, à la rigueur, le plus déroutant quand on revient. Mais un patient reste toujours un patient… Le jeu de la consultation est finalement le même.

 

Pensez-vous repartir ?

On m’a proposé des missions mais je ne sais pas quand je repartirai. On m’a proposé la Guinée pour Ebola, le sud-Soudan, où il y a beaucoup de réfugiés, et un grand besoin de soins ou Nairobi, dans un quartier déshérité pour créer un service de consultations. J’ai l’envie de repartir, mais c’est vrai que les conditions sont difficiles, alors je vais peut-être attendre un peu.

 

Souhaitez-vous continuer ces missions dans l’avenir, ou plutôt vous installer en France ?

Idéalement, je me vois plutôt en France, en libéral ou en clinique en France. Mais j’aimerais aussi pouvoir me libérer 3 ou 4 mois par an pour faire des missions. Je ne veux pas arrêter, mais je ne veux pas faire ça toute l’année, toute la vie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

 Crédits photo : MSF