Thomas Lilti est généraliste remplaçant. Le reste du temps, il fait du cinéma. Depuis ses premières années de fac, il a entretenu cette double vie. Et il y tient. L’un ne va pas sans l’autre. Sans médecine, le contact avec les patients, l’écoute, le diagnostic lui manqueraient. Sans cinéma, il se laisserait déborder par le doute et l’angoisse. Dans Hippocrate, son dernier film, il réconcilie enfin ses deux métiers qu’il a toujours cloisonnés.
Dès l’adolescence, Thomas Lilti avait une envie dans un coin de sa tête : faire du cinéma. Les samedi soir passés à regarder des films en famille lui ont donné très tôt le goût de l’image. Mais de bons résultats au lycée dans les matières scientifiques et la pression d’un père médecin le destinent à une autre voie. “Opter pour les études de médecine, c’était une manière d’acheter ma tranquillité”, assume-t-il aujourd’hui.
A 17 ans, il quitte donc la banlieue parisienne pour la capitale. La journée, il suit ses études à la faculté René Descartes. Le reste du temps, il découvre la multitude de cinémas parisiens et se forge une solide culture cinématographique. “J’étais en deuxième année quand j’ai commencé à faire des courts métrages, avec une petite caméra Super 8 trouvée dans une brocante”. Ce sera son école à lui. “Je savais que c’était ce que je voulais faire, alors je me suis mis à filmer”.
Voilà sa double carrière lancée. Un jour, il décide de montrer l’un de ses films à un festival de courts-métrage à Nanterre. “Et j’ai gagné”. “Ca n’avait aucune forme d’importance comme prix, mais ça m’a donné hyper confiance. Je me suis dit, peut-être que je suis fait pour ça”. Les courts-métrages s’enchaînent, de plus en plus professionnellement. Des producteurs le soutiennent. En 2002, l’un de ses films est sélectionné au Festival de Cannes.
A la fac, hormis quelques très proches amis, personne n’est au courant. “Quand mon court-métrage a été sélectionné à Cannes, j’étais interne. J’ai pris trois jours de vacances auxquelles j’avais droit, et je suis parti sans rien dire”. Un médecin qui se prend pour un artiste, ça fait mauvais genre. “Par contre, dans le cinéma, je disais toujours que j’étais étudiant en médecine. Ca donnait de la crédibilité, ça les impressionnait… Il y a tellement de glandeurs dans le cinéma”, se souvient-t-il en riant.
Tout son temps libre, il le consacre à sa passion. Aux fêtes interminables, il préfère les heures d’écriture. Ses soirées, ses week-ends y sont consacrés. “Même pendant les gardes, ça m’arrivait d’écrire”. Cette autre carrière lui demande beaucoup de temps et l’a guidé vers la médecine générale. “Il me semblait que faire une spécialité, passer le concours de l’internat, avoir un bon poste… c’était trop. Je me suis dit essayons déjà de faire de la médecine générale, et faisons-le bien”.
A l’entendre, on dirait que la question du renoncement au cinéma ne s’est jamais posée. Mais s’il avait vraiment dû ne faire que de la médecine, il se serait vu chef dans un hôpital, faire de la recherche, publier. “J’aurais peut-être échoué, mais j’aurais eu cet objectif”.
Aujourd’hui Thomas Lilti concilie ses deux métiers en faisant des remplacements, quand ses projets de cinéma lui en laissent le temps. De moins en moins d’ailleurs, mais pas question d’arrêter.”J’aime la médecine. J’ai dû mal avec l’exercice solitaire du remplaçant en libéral, mais j’aime le contact avec les patients, la thérapeutique, l’écoute et le diagnostic. Même en médecine générale, en libéral, je trouve qu’il y a de la place pour ça et ce serait un crève-cœur de m’en priver.”
Dans son dernier long-métrage, Hippocrate, Thomas Lilti réconcilie pour de bon ses deux vies qu’il a toujours tant cloisonnées. “Cette histoire raconte un peu mon internat. Je savais qu’il fallait que j’en fasse un film, mais je n’étais pas prêt”. Il aura fallu du temps et du recul pour comprendre et pouvoir raconter cet épisode de sa vie. “Ce sont des années importantes, où tout se transforme dans une vie”.
Hippocrate donne à voir un hôpital du côté des gens qui y travaillent. Avec son matériel en panne, les gardes interminables, des décisions prises entre deux portes, des soignants parfois à bout. Mais Thomas Lilti se défend d’avoir voulu faire un film critique. “J’ai voulu parler de l’hôpital que j’ai connu, qui existe, de manière sincère”, explique Thomas Lilti.”J’ai voulu rendre hommage aux médecins étrangers, qui m’ont appris beaucoup de choses, aux malades aussi, aux familles de malades et à ce jeune homme que j’étais”. Sans nier les dysfonctionnement, qui font partie de la vie hospitalière, il tient surtout à souligner le dévouement de ses personnages.”Je montre que les gens qui travaillent à l’hôpital sont des gens bien, humains, qui ne font pas ça par hasard, qui sont motivés par ce qu’ils font”.
Dans le film, un médecin algérien rappelle à l’interne déboussolé : “Médecin, ce n’est pas un métier. C’est une sorte de malédiction”. Une phrase qui pourrait être de la bouche de Thomas Lilti. “Médecin, c’est 24h sur 24h. Quand j’exerce, je vis avec le doute. Je rentre chez moi, je repense aux patients. Je me dis : peut-être que j’ai fait une connerie de donner ce traitement, je vais le rappeler, non ça va l’inquiéter, si je l’appelle ça va être pire, finalement je crois que j’ai bien fait. En permanence, et même sur des choses insignifiantes”.
Le cinéma, c’est donc un peu sa bouée de sauvetage. Pour ne pas être tout le temps plongé dans cette angoisse. “Peut-être que je n’ai pas été capable de laisser la médecine envahir toute ma vie, de laisser la malédiction envahir toute ma vie”.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier
Hippocrate sortira en salles le 3 septembre. En attendant, voilà la bande-annonce.