D’après un entretien avec Dr F. Bianchi-Demicheli (Genève).

 

Fréquents et variés, les troubles sexuels chez la femme restent un sujet tabou pour les patientes et peu connu des praticiens. Le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste de médecine sexuelle à Genève, insiste pourtant sur l’importance pour les médecins généralistes d’aborder ce sujet avec les femmes, car ses conséquences sur la qualité de vie sont majeures.

 

“Les troubles sexuels sont très répandus dans les deux sexes. Ainsi, on estime aujourd’hui que 40 à 45 % des femmes présentent une dysfonction sexuelle sévère au cours de leur vie”, souligne le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, qui vient de rédiger avec la journaliste Ellen Weigand un livre sur les troubles sexuels féminins (1) et est responsable de la consultation de gynécologie psychosomatique et médecine sexuelle au sein des Hôpitaux universitaires de Genève.

“Ces troubles détériorent la qualité de vie, peuvent favoriser l’apparition de conflits au sein des couples, engendrer des comportements sexuels à risque. Il est donc important que les médecins généralistes s’y intéressent et l’anamnèse sexologique devrait être systématique en médecine”, insiste cet expert.

 

10 à 40 % des femmes ressentent une baisse ou une absence de désir

Les médecins sexologues ont repris la classification des troubles sexuels féminins du DSM-IV et V des psychiatres et différencient, sur le plan pratique, cinq dysfonctions sexuelles principales chez la femme : trouble du désir, trouble de l’excitation (difficulté à ressentir l’excitation sexuelle), trouble de l’orgasme, trouble sexuel avec douleur (douleur lors de la pénétration ou dyspareunie, pénétration impossible en raison de contractions involontaire du vagin ou vaginisme) et, plus récemment, trouble avec excitation génitale persistante. “Il existe cependant bien d’autres troubles sexuels”, précise le Dr Bianchi-Demicheli.

• Le trouble du désir est le trouble sexuel le plus fréquent chez la femme : 10 à 40 % des femmes ressentent une baisse ou une absence de désir. “Certes, le niveau de désir sexuel est variable d’un individu à l’autre et fluctuant au cours de la vie, et ce de manière encore plus nette chez la femme que chez l’homme.” Il est cependant important de s’intéresser aux femmes avec un désir sexuel hypoactif avéré (prévalence de 10 % environ), car plusieurs études ont montré que ces femmes ont une perception négative d’elles-mêmes et des émotions négatives. De plus, ce trouble engendre souvent des problèmes de couple.

“Pour poser le diagnostic il faut appliquer rigoureusement les critères et que le problème s’accompagne de souffrance psychologique significative”, insiste le Dr Bianchi-Demicheli. “On précisera si la femme conserve ou non des fantasmes sexuels qui font partie du phénomène du désir sexuel et dépendent des sécrétions hormonales (ils diminuent significativement par exemple après ovariectomie, ce qui montre l’importance des hormones sexuelles dans la cognition)”.

On recherchera une étiologie, notamment un état dépressif, cause fréquente de la baisse de désir, et dont le traitement pourra probablement améliorer la libido, ou une ménopause chirurgicale qui pourra tirer parti d’un traitement de substitution hormonale éventuellement avec testostérone, une thérapeutique souvent efficace mais qui doit être prescrite avec précaution en raison de ses effets secondaires. Après la ménopause, certaines femmes réagissent bien à un traitement hormonal substitutif. Les sexothérapies apportent souvent une aide utile. Des traitements pharmacologiques sont, par ailleurs, en développement pour traiter ces baisses de désir.

• En cas de dyspareunie, les causes organiques sont prédominantes (par exemple vaginites, bartholinites, en cas de dyspareunie superficielle ; endométriose, myomes, infections en cas de dyspareunie profonde). “D’où l’importance d’adresser les femmes en premier lieu à un gynécologue, de préférence formé en sexologie, pour entreprendre un bilan approfondi”.

• Les troubles de l’orgasme sont plus compliqués à prendre en charge et relèvent en général de sexothérapies. “Mais, il est important que les femmes puissent aborder le trouble avec leur médecin généraliste car cela peut avoir un important effet libérateur et il pourra adresser ces femmes au spécialiste”.

• Lorsque la femme rapporte un trouble de l’excitation, avec baisse de lubrification et sécheresse vaginale lors des rapports, “il faut aller au-delà des symptômes décrits et voir avec la patiente, s’il s’agit d’un problème génital local, ou d’un problème de désir, d’une difficulté relationnelle avec le partenaire, d’une baisse d’excitation liée à une peur de la sexualité. Une atrophie vaginale post-ménopausique, avec baisse de la lubrification, pourra être traitée par une crème estrogénique locale”.

 

L’excitation sexuelle persistante est souvent la cause de consultations répétées

• Un nouveau trouble sexuel a été reconnu en 2004 après une première description en 2001 par deux sexologues américains, Leiblum et Nathan, l’excitation sexuelle persistante, rebaptisée en 2004 excitation génitale persistante. Ce trouble, bien qu’assez rare (probablement autour de 1 % des femmes), “doit être connu car il engendre une grande souffrance chez les femmes qui en sont atteintes et est souvent la cause de consultations répétées”.

Il se caractérise par l’existence sur des périodes longues (des jours, des mois parfois) de sensations génitales et clitoridiennes persistantes (lubrification et congestion vaginale, chaleur, accélération du rythme cardiaque) en dehors de tout contexte sexuel. Ces sensations, même si elles peuvent déboucher sur un orgasme, sont vécues comme intrusives et non souhaitées par les patientes, qui ressentent souvent un sentiment de honte, n’osent pas en parler.

L’origine du trouble reste indéterminée même si plusieurs pistes organiques ont été évoquées : varices pelviennes (qui sont parfois dilatées en IRM), compression et irritation du nerf pudendal, activation du système nerveux autonome (car ce trouble est souvent associé au syndrome des jambes sans repos et à une hyperactivité vésicale), causes médicamenteuses car des cas ont été décrits après prise d’antidépresseurs essentiellement anti-sérotoninergiques, rôle des estrogènes (car le trouble survient parfois lors de la périménopause ou de la ménopause) ou des phytoestrogènes (par exemple par l’intermédiaire d’une consommation de lait de soja).

Une équipe italienne a aussi décrit une hyperactivité de certaines zones du cerveau gauche. Le contexte psychopathologique entre aussi en jeu ; ces femmes ont plus souvent des antécédents d’abus sexuels et de dépression, d’attaques de paniques, de troubles obsessionnels compulsifs… “Il faut malgré tout essayer de trouver l’étiologie pour proposer un traitement (par exemple, l’arrêt de la consommation de soja, d’un traitement hormonal substitutif)”, ajoute le Dr Bianchi-Demicheli. Aucun médicament n’est à ce jour reconnu comme efficace. “Cependant, alors même que les antidépresseurs peuvent favoriser ce syndrome, ces médicaments notamment les anti-sérotoninergiques et les tricycliques soulagent, à doses élevées, certaines femmes. D’autres patientes répondent à des benzodiazépines comme le clonazépam et des médicaments anti-épileptiques comme le topiramate”, signale le Dr Bianchi-Demicheli.

 

Des résistances psychologiques à la prise d’une contraception hormonale

Plusieurs études, dont certaines récentes (2) ont confirmé que certaines femmes présentent une baisse de libido sous pilule contraceptive, qui pourrait selon certains travaux être d’origine biologique et associée à une variabilité génétique. D’autres études, réalisées par le Dr Bianchi-Demicheli montrent qu’un nombre significatif de femmes présentent des résistances psychologiques à la prise d’une contraception hormonale. Elles rapportent des effets négatifs de la pilule sur leur désir sexuel, sont très préoccupées par une éventuelle prise pondérale liée à celle-ci. “Dans ces cas, on peut changer le type de pilule, voire le mode de contraception, ce qui résout en général le problème”, conseille le Dr Bianchi-Demicheli.

Toutefois la majorité des femmes ne présente pas de trouble du désir sous contraception hormonale et des femmes voient au contraire leur désir sexuel s’améliorer sous celle-ci, car elles se sentent plus libres.

 

C’est avec le généraliste que les femmes désirent parler en premier

“Plusieurs enquêtes, dont certaines menées en Suisse, ont d’ailleurs révélé que du fait du climat de confiance qui existe avec ce professionnel de santé, c’est avec le médecin généraliste que les femmes désirent parler en premier de leurs difficultés sexuelles, devant le gynécologue. Faute de formation au cours de leurs études, beaucoup de médecins généralistes ne sont néanmoins pas à l’aise pour aborder le sujet et ont peur d’être intrusifs. En réalité, les patientes sont presque toujours soulagées de pouvoir parler de leur trouble sexuel. Ceci diminue leur sentiment de honte, leur anxiété et peut même être thérapeutique”.

“Cela se passe en général bien si on interroge avec tact les femmes. Communiquer autour de ces troubles en consultation est aussi important, car le problème sexuel peut être l’expression d’une maladie organique. Par exemple, une diminution de la libido peut avoir, comme origine une dysfonction thyroïdienne”, rappelle le Dr Bianchi-Demicheli. “Selon qu’ils se sentent plus ou moins à l’aise, les praticiens pourront poursuivre le dialogue avec la patiente, ou l’adresser vers un sexologue”. Les patientes peuvent préparer la consultation en répondant par écrit à des questionnaires standardisés, ce qui peut atténuer leur gêne.

 

Pour se former

En France, il existe différentes associations dispensant des formations en médecine sexuelle et sexologie comme la Fédération françaisede sexologie et de santé sexuelle, la Société française de sexologie clinique, la Société francophone de médecine sexuelle, l’Association interdisciplinaire post-universitaire de sexologie (AIUS). Certaines de ces formations peuvent donner lieu à une indemnisation dans le cadre du Développement professionnel continu (DPC).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

 

(1) J’ai envie de comprendre Ma sexualité (femme). Ellen Weigand, en collaboration avec le Dr Francesco Bianchi-Demicheli. Editions Médecine & Hygiène. 200 pages. Septembre 2013, Prix 14 euros. (Un ouvrage équivalent est en préparation sur les troubles sexuels masculins). Informations complémentaires sur : www.masexualite.ch

(2) Battaglia C, et al. J Sex Med, 2014 ; 11 : 471-80.