Deuxième volet de notre rubrique consacrée aux revenus des médecins. Aujourd’hui, c’est une généraliste installée dans une petite ville d’Alsace qui nous parle de son pouvoir d’achat. Exerçant dans un cabinet de groupe avec son mari, elle croule sous les charges et le remboursement de ses emprunts immobiliers.

 

J’ai 36 ans, j’exerce depuis presque 7 ans dans un cabinet de 5 médecins dans une petite commune d’Alsace de 5000 habitants. Nous sommes en zone semi-rurale. Si j’ai accepté de parler de mes revenus, c’est pour montrer que les généralistes ne sont pas riches. On ne gagne pas bien notre vie, on a même des difficultés financières. Les généralistes ne sont pas des bourgeois. Quand je vois mes revenus, je me demande même parfois pourquoi je continue à faire de la médecine libérale. Surtout dans ces conditions.

 

2 610 € de revenus net par mois, avant impôts

Sur l’année 2013, j’ai gagné 7 040 € de chiffre d’affaire brut. En net, cela fait 2 610 € par mois, avant impôts. Mon, mari qui exerce dans le même cabinet, travaille un peu plus. A nous deux, on gagne à peine 6 000 € net par mois. Et on paye 850 € d’impôts sur le revenu par mois.

Je travaille 40 heures par semaine, et pas le mercredi. Je vois à peu près 15 à 20 patients par jour. Ça me suffit. Je ne vois pas de patients tous les mois pour renouveler le même médicament, ça n’a pas de sens. Pourtant j’ai l’impression que c’est comme ça qu’un généraliste peut gagner sa vie.

Je participe également à la PDS avec deux gardes par mois. Soit le soir jusqu’à minuit, soit un week-end tous les deux mois. Ce n’est pas un plus et je ne cours pas après. Quand je fais 10 actes, c’est que j’ai une bonne activité. Ce n’est pas lucratif.

Par ailleurs, j’ai quelques revenus grâce à un mandat de syndicaliste, de l’ordre de 3 000 € par an.

 

1 820 € par mois pour les charges du cabinet

Notre maison médicale existe depuis 40 ans, à l’époque, le concept était assez précurseur. Nous sommes 5 généralistes dans un immeuble dédié à la santé, avec orthodontiste, orthoptiste, infirmière, radiologue… Nous avons une SCM et nous partageons les frais : 50% en part fixe, 50% en fonction de notre SNIR. Au total nous avons 12 000 € par mois de charges. Nous employons deux secrétaires (payées 1450 € net) et une femme de ménage. Notre cabinet fait 200 m², et comprend un F1 pour loger les remplaçants, et deux parkings. Moi, je verse chaque mois 1820 € pour la SCM. Je paye 750 € par mois de cotisation Carmf et 370 € d’Urssaf. Et les charges ne cessent d’augmenter. Mon mari, lui, donne 2300 € par mois à la SCM.

 

Un budget immobilier qui pèse lourd

Je paye le remboursement de mon prêt immobilier, pour le cinquième du cabinet que j’ai acheté, soit 650 € par mois. L’achat a été fait il y a 10 ans pour 53 000 € . J’aurai fini de payer dans 3 ans. Mon mari, lui, rembourse 1000 euros chaque mois.

Le poids de l’immobilier dans notre budget est énorme, que ce soit pour le cabinet et pour la maison. On ne s’était pas rendu compte que l’achat d’immobilier professionnel n’était pas déductible du tout. En fait, nous sommes arrivés, séduits par le cabinet de 5 médecins. On n’a pas cherché plus loin, pas regardé les comptes. Finalement, à nous deux, nous payons 1 650 € pour le remboursement du cabinet. On a mis longtemps à comprendre ça.

Par ailleurs, nous avons acheté une maison, il y a deux ans. Et nous remboursons 1 950 € par mois. On se disait, qu’en tant que couple de généralistes, on pouvait bien être propriétaires. Mais lorsqu’on doit faire des travaux, ce sont nos parents qui nous donnent 10 000 € ou 20 000 €.

 

A peine 2000 € de frais divers par mois

Nous avons deux enfants de 11 et 7 ans. Nous avons 260 € de factures (eau, gaz, électricité) et 45 euros pour l’abonnement internet. Et nous dépensons entre 120 et 150 € par semaine pour l’alimentation. Les enfants font de la musique, cela coûte 120 € par mois. Nous payons 350 € par mois de périscolaire (cantine, étude…), ce qui pèse assez lourd. Moi je fais de la danse et du Pilate, ça me coûte 90 € par mois.

 

Des vacances payées par les parents

L’an dernier nous avons été gourmands nous avons pris 6 semaines de vacances en tout, dont trois l’été. Nous avons fait une semaine dans les Pyrénées et 15 jours dans les îles Grecques. Cela nous a coûté entre 3 500 et 4 000 €. Mais c’était payé en partie par nos parents. En fait pour tout ce qui est “extra”, on est sous perfusion.

Niveau budget, ça a été catastrophique, étant donné qu’on est deux à partir, et qu’on doit payer nos charges. Et puis on dépense des sous en vacances. Cette année, on sera plus raisonnables.

 

Un cabinet en sursis

L’un de nos collègues va quitter le cabinet. Mais à 4 on ne peut pas tenir. Alors, on se bat avec les élus pour que la ville rachète les locaux, on a rameuté l’ARS mais ils ne veulent rien entendre. On rencontre un problème qu’ont actuellement de nombreux cabinets de groupe, avec des babys boomers qui partent et il n’y a personne pour les remplacer. Et ceux qui restent ne peuvent pas assumer les charges.

On prône partout l’exercice en groupe, mais on ne nous donne pas les moyens. On va être obligés de baisser le salaire de nos secrétaires, car on ne sait pas comment faire pour continuer à payer.

Aujourd’hui, on est dans l’incertitude quant à l’avenir de notre cabinet : ça passe ou ça casse. Soit on nous aide, soit on va être obligé de fermer. Dans notre commune, notre groupe fait un peu office de service public. On a beaucoup de touristes, on accueille tout le monde du matin au soir et le samedi matin. C’est dommage que personne ne nous aide à conserver ça.

 

Quitter le libéral pour rien au monde

On a proposé à mon mari un poste de salariat dans un SSR (soins de suite et réanimation), pour 4500 euros net par mois avec 6 semaines de congés et 3 semaines de RTT. Il ne va pas l’accepter, car on aime la médecine libérale, on aime notre liberté et nos conditions d’exercice en groupe. Mais, malheureusement, je vais peut-être être obligée de m’installer seule ou à deux dans un cabinet, sans secrétaire et multiplier les actes. Et là c’est sûr, je gagnerai beaucoup mieux ma vie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu